Cinéma en salles : Boléro, ou le mystère Ravel, d'Anne Fontaine
Nos vies nous échappent et la mort nous emporte… C’est le message musical subliminal du Boléro de Ravel ! En tentant de percer le « mystère Ravel« , Anne Fontaine nous raconte les circonstances de la gestation de la partition classique la plus jouée au monde. Et à travers l’accouchement difficile de cette drôle de pièce, celle tourmentée de son créateur, entièrement dédié à son art. Patrice Gree voit aussi dans les 17 minutes (en moyenne !) de cette mythique scansion répétitive et hypnotique, le raccourci en mode dramatique de nos vies.
Tout commence dans la boue…par la visite d’une usine en activité.
Les bruits mécaniques entêtants, répétitifs des machines infernales inspirent Ravel ! J’ignore si l’anecdote est juste, mais elle est formidablement cinématographique. Nous sommes à la fin des années folles. Maurice Ravel vient d’accepter à contre cœur une commande de la danseuse Ida Rubinstein, pour son prochain ballet. Ravel pas ravi traine des pieds pour le composer. Subtilement interprété par Raphaël Personnaz, le dandy torturé offre au monde un visage calme, à la limite de l’absence !
Malgré une vie bordée par des femmes…
C’est l’occasion pour la réalisatrice Anne Fontaine de dresser par en dessous un portrait du compositeur à travers ses relations aux femmes qui l’entourent. Femmes puissantes, intelligentes, bavardes, dominantes et audacieuses, qui le mangent des yeux…Ravel le silencieux se laisse à peine grignoter ! Une mère aimante qu’on ne verra que mourante, Misia l’amie grande amoureuse, Ida Rubinstein l’artiste libérée mondaine et crispante, et Marguerite Long en veilleuse attentive, sont les quatre personnages féminins du film.
Le mélancolique compositeur semble passer à côté de l’amour.
La musique occuperait-elle tout le terrain jusqu’à celui de la sensualité ? Amateur de bordels, Ravel ne demande aux filles qu’il paye, que d’enfiler des gants de soie, pour écouter les froissements du tissu sur la peau féminine… La vie érotique de l’élégant musicien n’est que son.
Son Boléro, né au forceps, dont Ida sublima l’érotisme caché est à la fois un tournant et un tourment dans la vie de Ravel.
Tournant car il le rendit incroyablement populaire et tourment car le compositeur ne le supportait pas, prenant cette danse espagnole à trois temps pour une œuvre totalement mineure qui éclipsait honteusement le reste de son répertoire !
Le Boléro se prête à de multiples jeux d’interprétations.
S’il est à l’évidence à la fois érotique, charnel, terrien et aussi aérien pour l’ivresse musicale dans laquelle il nous entraine, on peut également le voir comme un raccourci dramatique de nos vies. Comme une obsession…quelque chose qui n’arrive pas à se dire.
Et seule la mort fera taire ce qui ne pouvait se dire.
Superbe film…
Pour aller plus loin :
- Maurice Ravel, de Marcel Marnat, Fayard, 1995, remarquable biographie sur laquelle Anne Fontaine et Claire ont adapté leur scénario,
- Ravel, de Jean Echenoz, éditions de minuit, 2006, ce roman retrace avec une sensibilité toute nuance les dix dernières années de la vie du compositeur.
- Ravel, de Vladimir Jankélévitch, Point essais, 2018 avec une préface d’Alexandre Tharaud