Cavalières, de et avec d’Isabelle Lafon (Théâtre de la Colline)
Un réel suspense
Un présage enfle dès que le silence se fait dans la salle au moment où une clarté solaire rectangulaire marque avec densité l’ouverture d’un décor qui n’existe pas : il va se passer quelque-chose. Quatre femmes s’avancent alors vers le devant de la scène dépouillée du Théâtre de la Colline, inutile de les éclairer tant une lumière les entoure comme un halo qui se fera de mots dans quelques secondes.
Une parole libre et collective
L’une d’entre elles prend la parole, aussitôt la force mais aussi le facétieux s’adossent à une célérité discursive impressionnante pour littéralement emplir tout l’espace d’un texte touchant et déterminé, infatigable. Les trois autres entrent alors dans la chorégraphie de la première mais, au final, un monde d’autant réel qu’il compense une réalité que chacune a contournée sans la fuir émerge et fait récit, un monde réel du vivre plus avec qu’ensemble.
Pluralités conjuguées
Quand on dit quatre femmes, il faudrait ajouter un autre personnage, visuellement absent celui-là (on a envie de dire celle-là), une petite fille différente que la première confie alternativement aux autres, toutes se retrouvant tantôt dans le dérisoire tantôt dans l’existentiel essentiel. L’unité de lieu, sobre, laisse une ample place à une pluralité de temporalités que chacune des quatre porte avec elle et qu’elle traduit pour les autres, toutes partageant en restant elles-mêmes.
L’autrice, Isabelle Lafon nous tend la longe qui lie le cheval au cavalier, en l’occurrence quatre cavalières sans apocalypse aucune, nous la saisissons en suivant le jeu des polysémies de mots que la grammaire tente de réguler, le texte et les paroles des actrices est à la fois guidé et très libre.
Le théâtre trouve grâce dans une création comme Cavalières, une grâce due à Isabelle Lafon et aux trois autres comédiennes complices (Sarah Brannens, Karyll Elgrichi, Johanna Korthals Altes) à ses côtés. Le collectif laisse sourdre une profonde proximité et un respect infini de l’autre dans une singularité augmentée par leur dialogue.
Cela importe les questions que nous utilisons pour penser d’autres questions, cela importe les histoires que nous prenons pour raconter d’autres histoires […] Quelles pensées pensent les pensées ? Quelles descriptions décrivent les descriptions ?
Donna Haraway, Habiter le trouble, Éditions Gallimard, 2019
Jusqu’au 31 mars 2024, Théâtre de la Colline, 15 rue Malte Brun, Paris 20ème – Tél. : + 33 1 44 62 52 52 et billetterie.colline.fr
du mercredi au samedi à 20h30, le mardi à 19h30 et le dimanche à 15h30
conception et mise en scène : Isabelle Lafon
écriture et jeu : Sarah Brannens, Karyll Elgrichi, Johanna Korthals Altes, Isabelle Lafon
lumières : Laurent Schneegans – costumes : Isabelle Flosi