Cinéma en salles : Sidonie au Japon, d'Elise Girard
À l’invitation de Kenzo, son éditeur japonais, pour la réédition de son premier roman, Sidonie se rend à reculons au pays du soleil levant et des cerisiers en fleur. A partir d’un fil scénaristique au départ plutôt tenu, l’étrangère qui s’empêtre dans les us et coutumes d’une civilisation dont elle ne connait rien, Elise Girard, réalisatrice de Belleville Tokyo (2011) et de Drôle d’oiseaux (2017), tisse un beau film aux jolies teintes rose pâle mélancoliques. Patrice Gree salue aussi la performance d’Isabelle Huppert – loin de ses postures habituelles – qui incarne à merveille une femme égarée dans son passé.
sabelle Huppert incarne Sidonie au Japon, d’Elise Girard Photo 2023 1015! Prod. Lupa Film Box Trod.
Pour Sidonie au Japon, j’ai eu envie de saisir ce qui se passe lorsqu’on est soudain déplacé loin de chez soi : c’est ce qui arrive à mon héroïne, elle effectue moins un voyage qu’elle n’est, soudain, déplacée. C’est exactement ce que, moi, j’ai ressenti là-bas.
Elise Girard, réalisatrice
En deuil, Sidonie est une écrivaine en peine autant qu’en panne !
Le fidèle et mutique éditeur l’accueille dès l’aéroport, selon les traditions où courbettes respectueuses et distances imposées sont le pivot des relations sociales. Traditions, dont Sidonie ignorant tout, ne seront pas sans créer quelques effets assez comiques dans ce très beau film aux jolies teintes rose pâle mélancoliques. Comme ses parents et son frère quelques années auparavant, Antoine, le mari de Sidonie meure dans un accident de voiture…Elle, miraculeusement indemne, survie dans son souvenir ! Kenzo en naufragé de l’amour conjugal, qui a perdu ses parents dans Hiroshima bombardé, regarde Sidonie d’un œil où le deuil tient une place singulière. La mort souterraine est le lien qui unit dans un silence plein l’écrivaine et son éditeur. Antoine le mari mort de Sidonie profite de son séjour au Japon – « le pays des fantômes » selon Kenzo – pour réapparaître au détour d’un couloir ou dans une chambre d’hôtel…
sabelle Huppert et Tsuyoshi Ihara, Sidonie au Japon, d’Elise Girard Photo 2023 1015! Prod. Lupa Film Box Trod.
La dimension fantastique de ces scènes renforce la poésie qui se dégage du film.
Est-ce que les morts tragiques font plus facilement des fantômes que les morts naturels ?
La mort est décidément la passagère clandestine de ce récit d’une rencontre improbable qui se métamorphosera en relation amoureuse ! L’impossible deuil prendra fin. La beauté, alors… remplira le silence.
Isabelle Huppert et Tsuyoshi Ihara, Sidonie au Japon, d’Elise Girard Photo 2023 1015! Prod. Lupa Film Box Trod.
Confrontée à l’étrangeté du pays, j’ai compris pourquoi les fantômes sont si nombreux dans le cinéma japonais.
J’ai eu envie d’un fantôme pour mon film, à cette différence près que je voulais un fantôme à l’occidental, plus proche de celui, interprété par Rex Harrison, dans Le Fantôme de Madame Muir de Mankiewicz, que de ceux, effrayants, des films d’Akira Kurosawa. (…) j’ai eu l’idée d’un fantôme tranquille et même cool, confronté à une personne vivante qui, elle, ne l’est pas du tout ! J’aimais cette inversion.
Cette « normalité » rejoint une conviction très forte chez moi : la mort
n’efface nullement les liens que nous avons avec les disparus
Une incarnation sensible
Isabelle Huppert incarne à la virgule près cette femme arrachée brutalement à l’homme qu’elle aimait, mort qui continue à errer en elle, sans autre but que de prolonger dans l’illusion cet amour devenu impossible. Toujours un peu absente, mais loin de son personnage habituel délicieusement agaçant, tenant à distance les évènements néfastes, et dominant avec un cynisme jouissif, de sa petite taille, celles et ceux qu’elle affronte, l’actrice joue à merveille ici la femme égarée dans son passé, cherchant un avenir possible… Quelle magnifique actrice !
