La revue Carnets d’ailleurs célèbre la rencontre du voyage et du dessin
Carnettistes et Urban Sketchers
D’où vous est venue l’idée de vous associer pour lancer Carnets d’ailleurs ?
Jean-Paul Moulin : En tant qu’auteur, Joël poursuit un travail à cheval entre deux univers, celui du carnet de voyage et de la bande dessinée. Dans le cadre de 21g, la maison d’édition que je dirige, j’ai publié deux de ses albums. Nous échangeons donc régulièrement sur nos métiers. Un jour, alors que Joël était de passage à Paris, nous avons eu l’idée de lancer un magazine, une idée folle dont nous étions cependant convaincus du bien-fondé, d’abord, parce qu’il n’y a pas de magazine équivalent dans les kiosques, ensuite, parce qu’il existe deux communautés solides autour du carnet de voyage qui ne demandent qu’à se développer. D’une part, les carnettistes, les gens qui apprennent le carnet de voyage, d’autre part, les Urban Sketchers, en référence à ces illustrateurs qui ont commencé à dessiner ensemble dans les rues à Portland en 2007. Eux qui n’étaient qu’une poignée au départ sont aujourd’hui 50 000. Mille d’entre eux sont attendus à Nantes du 1er au 7 mai pour le symposium national des Urban Sketchers dont nous sommes partenaires.
Joël Alessandra : Fréquentant la communauté des carnettistes, nous avons senti qu’il y avait une demande pour un support de ce type, un sentiment que corrobore l’expérience que je fais chaque fois que je vais dans un salon, à commencer par celui de Clermont-Ferrand, le plus prestigieux, pendant lequel on prend le pouls de la profession. On perçoit vraiment cette envie des carnettistes de se faire davantage connaître. Des maisons d’édition comme La Martinière ou Elytis font beaucoup pour diffuser notre travail mais le secteur reste marginal.
Un écrin pour le carnet de voyage
Avec Carnets d’ailleurs, les illustrateurs disposent donc désormais d’un canal de diffusion supplémentaire ?
L’objectif de Carnets d’ailleurs et de faire connaître le travail mais aussi le talent des carnettistes.
Jean-Paul Moulin : Nous sommes partis du constat qu’il s’agissait d’un travail magnifique mais peu connu. Partant de là, nous avons voulu faire un écrin donnant à voir la philosophie derrière le carnet de voyage. Celle-ci est en effet spécifique, très différente d’autres façons de dessiner.
Joël Alessandra : Aujourd’hui, à l’ère du numérique, on a tendance quand on voyage à faire des dizaines de photos à la seconde avec notre téléphone. Le rapport au temps est tout autre avec le dessin qui a une vraie carte à jouer.
Quand on dessine notre environnement, on regarde, on comprend. L’ADN du carnet de voyage, c’est vraiment cela : s’imprégner de ce que l’on voit et le retranscrire sur le dessin ce qui est une manière de mémoriser de façon absolue ce que l’on voit autour de nous.
Il m’arrive de prendre dans ma bibliothèque des carnets que j’ai faits il y a une dizaine d’années et, en regardant un dessin, de me rappeler instantanément le contexte dans lequel je l’ai fait, parfois même l’odeur, l’atmosphère autour.
Comment le projet a-t-il concrètement vu le jour ?
Jean-Paul Moulin : Joël a une expérience de la publicité et de la communication, moi d’éditeur. Nous connaissions donc les coûts, la structure, et les réseaux de distribution. Après, s’agissant du financement, il est certain qu’il faut avoir des interlocuteurs compréhensifs, des distributeurs qui acceptent de payer un peu en avance, et des imprimeurs qui acceptent d’être payés un peu en retard… Nous avons fait une campagne de préfinancement qui nous a permis de payer le premier numéro. Nous ne remercierons jamais assez nos contributeurs. Ils ont été plus de 600 à nous suivre ce qui est la preuve que le magazine répond à une attente.
Nous sommes distribués par abonnement auprès de nos contributeurs, mais aussi dans les kiosques, les librairies, y compris en Belgique et en Suisse.
Cela nous permet d’aller chercher les lecteurs là où ils sont. Des lecteurs, cela se confirme sur tous les salons, qui ont envie qu’on leur parle du voyage différemment comme le fait Carnets d’ailleurs.
Aquarelle, peinture, encre de Chine
Comment présentez-vous le premier numéro de Carnets d’ailleurs ?
Pour mettre en valeur le travail des carnettistes qui nous ont fait l’honneur de nous rejoindre, nous avons fait le choix d’une maquette sobre, design mais sans fioritures.
Joël Alessandra : Pour reprendre le mot de Jean-Paul, nous voulions pour ce grand format un écrin élégant qui ne phagocyte pas le travail des auteurs.
Un écrin, de surcroît, qui convienne à tous les styles de dessin puisqu’on trouve aussi bien de l’aquarelle, de la peinture, de l’encre de Chine…
Jean-Paul Moulin : Dans tous les cas, il était important que la maquette s’efface derrière le dessin. S’agissant des rubriques, nous tenions à structurer le magazine de manière lisible, en particulier s’agissant des destinations. Il ne s’agissait pas de noyer les lecteurs sous une trentaine de destinations. À partir de notre point d’entrée principal, à savoir notre invité d’honneur, nous avons équilibré entre les destinations lointaines – au sein desquelles on peut trouver des destinations inédites à l’image, dans le premier numéro, d’Alula en Arabie saoudite – les destinations européennes, et les destinations en France. Nos invités d’honneur pour ce premier numéro sont Claire et Reno Marca avec un sujet sur le Japon. Un choix qui allait de soi.
Dans le milieu des carnettistes, ce sont des stars. Leur travail sophistiqué est publié entre autres chez Flammarion. Ils voyagent en permanence et ont eu la gentillesse de nous dire on est partants, allez-y ! Qui plus est, le Japon est dans l’esprit de beaucoup de gens aujourd’hui.
Relation intime aux lieux
Chaque sujet se clôt avec des informations pratiques
Jean-Paul Moulin : Certes mais Carnets d’ailleurs n’est pas un magazine touristique qui va dire ce qu’il faut aller voir à Lisbonne ou ailleurs. En revanche, il montre ce qu’une personne aime vivre dans sa ville, chaque texte étant à la première personne. Dans le numéro 2 par exemple, nous publions un sujet sur Djibouti du général Thierry Laval, un militaire qui fait de l’aquarelle. Un sujet qui donne très envie d’aller à Djibouti.
A côté du texte à la première personne, nous rappelons dans quel contexte on peut voyager à Djibouti, quelles sont les formalités, quelle est l’histoire du pays. En l’occurrence, il n’est pas facile d’y aller, cela coûte cher, et il y a des bases miliaires importantes. Cette rubrique est aussi l’occasion de rappeler les petits morceaux d’histoire ou des anecdotes sur les destinations.
Vous êtes, Joël, l’auteur du sujet sur Alula. Pouvez-vous parler de cette expérience ?
Joël Alessandra : Alula illustre parfaitement l’ADN du magazine. Il y aurait beaucoup à dire sur l’Arabie saoudite sur le plan géopolitique et des droits de l’homme. Mais encore une fois ce n’est pas le propos de ce magazine dans lequel nous souhaitons avant tout prôner le contemplatif et le temps lent.
A côté de mon activité d’auteur, je fais beaucoup d’ateliers à l’étranger.
Alula, que je ne connaissais pas, faisait partie des destinations pour lesquelles j’ai formé de jeunes auteurs et autrices, au dessin, au carnet et à la bande dessinée. Cette destination m’a fasciné. Alula est la deuxième capitale des Nabatéens avec Petra en Jordanie. C’est une destination aussi merveilleuse que Petra mais beaucoup plus confidentielle pour des raisons géopolitiques et de coût. Mais c’est un endroit magique qui nous plonge plus de 2500 ans en arrière.
Que trouvera-t-on dans le numéro 2 en plus de Djibouti ?
Jean-Paul Moulin : Jacques de Loustal, qu’on ne présente plus, nous a fait l’immense honneur d’accepter de nous proposer une couverture et des souvenirs de ses voyages dans les îles. Nous pouvons d’ores et déjà annoncer Miles Hyman, un grand illustrateur de l’Amérique, et le navigateur et artiste Titouan Lamazou pour les numéros suivants. Que ces grands noms acceptent d’être nos invités d’honneur est une autre validation de notre projet.
Joël Alessandra : sans compter qu’à côté de ces grands noms du dessin et du carnet de voyage, des personnalités venant d’autres univers nous suivent aussi. Michel Bussi a écrit une tribune pour le premier numéro, Emmanuel Pierrat en signe une autre pour le second. Cet élan nous porte.
Jean-Paul Moulin : En France, nous mettrons le cap sur Saint-Etienne avec Zac Deloupy qui nous raconte sa ville, et on a immédiatement envie d’y aller alors que spontanément nous ne percevons pas Saint-Etienne comme une destination touristique
Joël Alessandra : Nous irons aussi à Barcelone avec Santi Sallés.
Jean-Paul Moulin : Et aussi à Lisbonne avec Emilie Bourel, une artiste qui n’avait jamais été publiée auparavant. Sa proposition nous est arrivée par mail, son travail est très beau et sensuel, nous avons immédiatement eu envie de le mettre en valeur.
Joël Alessandra : On découvrira aussi entre autres un sujet sur La Havane de Jeroen Jenssen et un reportage dans les parcs italiens sur les oiseaux du dessinateur animalier Federico Gemma. Du coté de la bande dessinée – il y a en effet dix pages de bande dessinée dans chaque numéro – après Simon Hureau qui a ouvert le bal avec le Groenland, Clément Baloup lui emboîte le pas avec un sujet sur Macao.