Culture

Je m’appelle Erik Satie comme tout le monde, de Laetitia Gonzalbes (Théâtre Le Funambule)

Auteur : Patricia de Figueiredo
Article publié en juin 2024, revu le 23 novembre 2024

Connaissez-vous Erik Satie (1866-1925) ? Commande du Théâtre de la Contrescarpe, Laetitia Gonzalbes signe et met en scène un éclairage sensible et subtile d’un véritable « ovni » de la musique « savante » il est repris au Théâtre Le Funambule jusqu’au 2 février 2025. Solitaire, mais compagnon de route de Debussy, Cocteau, ou Picasso, indifférent aux modes, mais en avant des avant- gardes dadaïste et surréaliste, délicieux ou odieux selon qu’il se sentait aimé ou rejeté, l’auteur des Gymnopédies et autres Glossiennes est incarné avec une intensité poétique par Elliot Jenicot, avec à ses côtés la touchante Anaïs Yazit. Le duo brosse la vie d’un artiste anticonformiste acharné pour Patricia de Figueiredo, emporté le 1er juillet 1925 d’une cirrhose du foie « soigneusement cultivée ».

La pièce commence dans un hôpital psychiatrique, une infirmière vient voir son patient qui se prend pour Erik Satie. Commence alors une évocation toute en finesse, avec humour et émotion de ce compositeur, inclassable né le 17 mai 1866 à Honfleur.

Laetitia Gonzalbes signe une pièce délicate sur un ovni de la musique dans Je m’appelle Erik Satie comme tout le monde, Théâtre de la Contrescarpe Photo Fabienne Rappeneau.

« Moi, pour la modestie, je ne crains personne. »

Ami de Stéphane Mallarmé et de Paul Verlaine, Satie a eu une relation amoureuse avec l’artiste Suzanne Valadon qui le laissera exsangue. Il compose alors Vexations en souvenir de sa « Biqui ». En 1915, il rencontre Jean Cocteau. Naitra Parades, œuvre rejetée à l’époque notamment par le critique Jean Poueigh (Il en nourrira une profonde amertume). En 1920, il fait partie du Groupe des Six qui comprend outre lui et Cocteau, Georges Auric, Louis Durey, Arthur Honegger, Darius Milhaud, Francis Poulenc et Geneviève Tailleferre.

Elliot Jenicot et Anaïs Yazit dans Je m’appelle Erik Satie comme tout le monde, Théâtre de la Contrescarpe Photo Fabienne Rappeneau.

Le secret était son quotidien

Sa vie excentrique pour le moins se déroule devant nos yeux avec en arrière fond les illustrations sous forme d’animation qui apportent une touche de légèreté décalée et qui semblent coller au compositeur, dont son écriture manuscrite signe une personnalité décalée. Quelques chants, quelques pas de danse, des jeux de lumières. L’ensemble séduit.

Elliot Jenicot et Anaïs Yazit dans Je m’appelle Erik Satie comme tout le monde, Théâtre de la Contrescarpe Photo Fabienne Rappeneau.

Lever le voile sur un excentrique

La relation entre les deux personnages est révélée à la fin de la pièce. En y repensant, l’auteure nous avait laissé des indices. La pièce en poupée russe aurait-elle une poupée en trop ? Peut-être. Plusieurs degrés de lecture sont possibles. Mais l’important est ailleurs. Dans l’interprétation toute en justesse, émotion, des deux acteurs qui sont habités par leur personnage. Tantôt fragile et tantôt forte, Anaïs Yazit avec sa solide formation de danse – contemporaine et, flamenco rend son personnage attachant jusqu’au bout

Et que dire de Elliot Jenicot : ce comédien a travaillé le mime à ses débuts. Puis il a été, en autre, pensionnaire de la Comédie française de 2011 à 2019. Il nous transmet ici toute la sensibilité à fleur de peau de Satie, ses doutes, ses interrogations et une poésie certaine.

Elliot Jenicot et Anaïs Yazit dans Je m’appelle Erik Satie comme tout le monde, Théâtre de la Contrescarpe Photo Fabienne Rappeneau.

Un mythe errant

Erik Satie et sa musique n’ont cessé, ne cessent et ne cesseront d’énerver ou d’émerveiller. Je m’appelle Erik Satie comme tout le monde lève le voile sur un compositeur insaisissable et donne envie de découvrir toutes les facettes d’une œuvre hors des sentiers battus, loin des étiquettes, et qui le reste.

Citons Erik Satie lui-même, dans une sorte d’avertissement’ pour son oratorio : « Ceux qui ne me comprennent pas sont priès, par mpi, d’observer le plus respectueux silence et de faire montre d’une attitude toute de soumission, toute d’infériorité »

Patricia de Figueiredo

Jusqu’au 2 février 2024,  jeudi, vendredi, samedi 21h et dimanche 20h, Théâtre Le Funambule.

Écrit et mis en scène par Laetitia Gonzalbes, avec Elliot Jenicot et Anaïs Yazit
Création musique et son Tim Aknine et David Enfrein – Création costumes et décors Claire Avias
Voix-off Laetitia Gonzalbes, Jennifer Karen et Axel Krot – Illustrations et animations Suki

Pour aller plus loin sur Erik Satie

« La musique de Satie choisit ses amis elle ne veut pas être aimée de tout le monde ; elle nous éprouve par des grimaces pour savoir si nous lui restons fidèles. Il faut donc la mériter. Elle décourage les cuistres, les personnages importants et la frivolité conformiste. A ceux qui ont bien travaillé, elle livre son message, et l’on verra que ce message est à la fois plus compliqué que nous le souhaitons et bien plus simple que nous le craignions. »
Vladimir Jankélévitch.

Discographie sélective :

« Satie est insaisissable. Lorsqu’on croit l’avoir attrapé, il est déjà ailleurs. Dans la vie, il disparaissait régulièrement. Le secret était son quotidien. Nul ne savait où il habitait. Loin de sa vie mondaine, de la bourgeoisie musicale parisienne – qu’il détestait tout en la fréquentant – il menait à Arcueil une existence d’ascète, dans un grand dénuement, donnant quelques cours de cuisine aux enfants du quartier. »
Alexandre Tharaud

Tout Satie! (EMi, 10 cd 2015) « Un génie sans tapage d’une douce et tendre rêverie, à l’écriture d’une inclassable fantaisie, et pas que pour le piano : pour la voix et l’orchestre du ballet, la musique de chambre aussi et même …l’opéra. (…) C’est un génie de la petite forme, intime, ciselée comme autant d’enluminures secrètes d’une infinie pudeur. » par Alexandre Tharaud, Aldo Ciccolini, Jean-Yves Thibaudet, Anne Queffélec, Gabriel Tacchino, Michel LeGrand, Catherine Collard, Yan Pascal Tortelier

Erik Satie, par Romaric Gergorin (Actes Sud, 2016, 176 p. ) Synthèse stimulante et brillante sur « le premier compositeur qui sort de l’histoire de la musique pour devenir un mythe errant sans identité propre, évoqué ici au miroir du monde contemporain qu’il reflète déjà ».

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