Culture

Théodore Rousseau, La voix de la forêt (Petit Palais)

Auteur : Olivier Olgan
Article publié le 20 juin 2024

Sous prétexte de peindre la nature ou la faune, beaucoup d’artistes ont été étiquetés par facilité anachronique « écologiste » comme Rosa Bonheur. Sauf que pour Théodore Rousseau (1812-1867) l’appellation est légitime puisque le peintre paysagiste, passionné de la forêt de Fontainebleau, obtient pour l’épargner de toute exploitation, la création par décret impérial du 13 août 1861 de la première réserve naturelle au monde, sous le nom de « réserve artistique ». L’exposition du Petit Palais jusqu’au 7 juillet réhabilite pour Olivier Olgan  cet artiste indocile à toutes règles académiques, doublement précurseur, en peignant la nature pour elle-même, non comme décor, mais comme sentiment.

« Rousseau fut largement visionnaire, un écologiste avant l’heure. La forêt aura été son cadre avec son atelier dans le village de Barbizon, mais aussi son combat. »
Servane Dargnies-de Vitry et Annick Lemoine, commissaires

Rousseau, Etude de troncs d’arbre, 1833 La voix de la forêt (Petit Palais) Photo OOlgan

Barbizon, refuge et laboratoire collectif

Figure charismatique du groupe d’artistes (peintres et photographes) qui s’installent à Barbizon, Théodore Rousseau met en place un nouveau langage pictural, qui abonne toute référence historique ou littéraire de la culture académique – qui lui rendra bien puisqu’il fut « refusé » au Salon de 1836 à 1841. Pour y accéder enfin en 1852 !

Théodore Rousseau, La voix de la forêt (Petit Palais) Photo OOlgan

Passionné de nature en général, et d’arbres en particulier, sa pratique « en plein air » sur le motif renouvelle radicalement la pratique du paysage, tout en fixant les canons « esthétiques » qui vont courir jusqu’à la fin du XIXe : l’immersion et la relation directe avec la nature, sans médiation basée sur « une religion de la nature universelle ». Il ne s’agit plus d’une étude « d’après » nature, mais d’être en sympathie avec elle, pour  cristalliser un anthropomorphisme héroïsant l’arbre.

Les créations des peintres et des photographes contribuent a définir un paysage nouveau, dans son sujet – la foret de Fontainebleau et ses différents objets végétaux et minéraux – comme dans son traitement. Grace a la fortune de leurs accomplissements, cette Arcadie familière devient l’une des incarnations du paysage Français, immédiatement reconnaissable.
Elle est l’espace ou se mettent en œuvre de nouvelles approches, picturales et photographiques.
Dominique de Font-Reaulx, Dans la foret de fontainebleau. Les photographes dans les pas de Theodore Rousseau

Rousseau, Clairière dans la Haute Futaie, forêt de Fontainebleau, avant 1868 Photo OOlgan

Depuis sa jeunesse, Rousseau entretient un rapport privilégié – quasi mystique – avec les arbres. Traquant « l’âme » des arbres, il s’installe des journées entières dans une totale solitude et dans une parfaite immobilité pour en brosser le portrait spectaculaire et théâtralisé animé de forces telluriques, où l’homme est effacé devant le spectacle grandiose d’une nature qui sature l’espace.

« La présence humaine » laisse place à celle de l’arbre, un motif qui devient une figure doté de qualités expressives et morales. Ils sont les nouveaux héros de sa peinture. »
Zeonon Mezinski, L’arbre ans la peinture, Citadelles & Mazenod

Rousseau, L’entrée de la vieille futaie de la Reine Blanche, vers 1860 Photo OOlgan

« Le massacre des innocents »

Constatant les violences faites aux arbres, dans une exploitation irraisonnée, le « grand refusé » n’hésite pas dans une pétition datée de 1852 écrite au nom de « tous les artistes qui peignent dans la forêt », à stigmatiser la mauvaise gestion de la forêt de Fontainebleau, l’abattage aveugle pour remplacer les chênes tutélaires par de pins médiocres.  Joignant le texte à l’image, il s’appuie sur un tableau manifeste « Abattage d’arbres dans l’île de Croissy », mais aussitôt surnommé « Le Massacre des innocents ».

Théodore Rousseau, Le massacre des innocents, 1847 La voix de la forêt (Petit Palais) Photo OOlgan

S’agrègent à son combat, les grandes plumes de l’époque, de Victor Hugo à Georges Sand.  Le 13 août 1861, un décret impérial institue la réserve artistique de la forêt de Fontainebleau, 1 097 hectares de futaie primitive soustraits aux coupes et aux aménagements « au plaisir exclusif du promeneur et de l’artiste ».

« Si on reconnaît que les monuments des hommes, que les vieilles églises, les vieux palais doivent être conserver avec respect, ne serait-il pas aussi raisonnable d’ordonner que les plus sublimes monuments de la nature aient aussi une tranquille fin »

Théodore Rousseau, Groupe de chênes, Apremont, Expo Universelle (Petit Palais) Photo OOlgan

Alors écologiste, Rousseau ?

« S’il agit et peint avec un souci flagrant de la préservation de la nature qui conjoint enjeux mémoriels et esthétiques, il ne le fait jamais afin, si l’on peut dire, de sauver la foret pour elle-même, mais bien parce qu’il souhaite la sauvegarder pour l’homme, que celui-ci soit touriste cultive ou, mieux encore, peintre. En ce sens, Rousseau est pleinement un peintre de paysages : quelqu’un qui ne se contente pas de figurer de simples fragments de nature mais tente, tel un chasseur cherchant sa propre trace dans une foret chaotique, de donner forme a son expérience vécue en ces lieux.
Le paysage n’est pas que la nature, il est, bien plus, la nature affectée par notre expérience vécue en son sein. »
Pierre Watt, Une écologie patrimoniale. Theodore Rousseau et la foret de Fontainebleau, essai du catalogue

Rousseau, Le ‘Jean de Paris’, forêt de Fontainebleau, 1857 (Petit Palais) Photo OOlgan

Le mérite de cette passionnante réhabilitation – malgré un accrochage parfois trop sombre qui ne rend pas justice aux œuvres souvent expérimentales – est de souligner des préoccupations esthétiques qui dépassent le cadre de la peinture – la photographie naissante eut elle aussi un rôle prépondérant pour diffuser les « canons »  du « langage des forêts » – pour  une prise de conscience d’un patrimoine naturel à préserver et à valoriser.

Olivier Olgan 

Pour aller plus loin

Jusqu’au 7 juillet, Petit Palais, ouvert tlj sauf le lundi.

Catalogue sous la direction de Servane Dargnies-de Vitry, Paris Musées, 208 p., 35 €. « Si le peintre incarne la recherche de sa propre génération pour transformer le genre du paysage, sa relation inédite au végétal, son regard pose sur le vivant et son combat a la fois esthétique et politique pour la défense de la foret le rendent particulièrement actuel. Il apparait comme le témoin privilégié, sensible et engage, d’un rapport nouveau de l’homme a la nature, qui peut aujourd’hui nous inspirer.

Car l’artiste cherche inlassablement à restituer sur sa toile l’harmonie qu’il éprouve dans la nature, tout à l’étude des arbres et des forets, ainsi que de l’air et de la lumière qui y circulent. »

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