Divorce à la française (tout sauf à l’amiable) d’Éliette Abécassis (Grasset)

(Artistes inspirantes) Le droit, qui aime les faits, est moins à l’aise avec la fiction, a fortiori quand il n’y en a pas une mais des dizaines qui hypothèquent un peu plus encore la possibilité que justice soit rendue… La démonstration de cette affaire de divorce sous la plume d’Éliette Abécassis, qui tire habilement partie des procédures du droit de la famille pour déployer son talent de romancière, est implacable. Le roman est bien le grand gagnant de ce Divorce à la française (Grasset) dont les protagonistes avancent sabre au clair. Et pour Anne-Sophie Barreau font mouche pour se faire mal.

Deux versions contradictoires

Qui croire, quand chacun des deux protagonistes de ce Divorce à la française, haletant et glaçant, ne s’accorde plus sur rien, pas même sur les circonstances de leur rencontre ?

Lui, Antoine Maurepas, chirurgien viscéral, prétend qu’il était dans sa voiture, quand il a  entendu à la radio celle qui allait devenir sa femme :

« Je me suis précipitée à Europe 1 pour voir à qui la voix appartenait. Un timbre un peu cassé comme les actrices italiennes, avec une douceur touchante, émouvante ».

Elle, Margaux Lunel, auteure de romans policiers – qui ont pour titres Mère fatale ou La suicidée du lac de glace entre autres – parle d’une rencontre fortuite dans un cabinet médical, après qu’elle a pris rendez-vous avec un urologue pour des « cystites réitérées » :

« Au bout d’une demi-heure est apparu dans l’encadrement de la porte un homme jeune assez grand et bien fait, aux yeux un peu ternes, entre vert et gris, et aux petites lunettes cerclées de fer, aux cheveux bouclés, longs, mince, séduisant sans être beau ».

Une affaire collective de divorce

A l’heure de trancher la question de la garde des enfants, dans cette affaire de divorce qui semble ne jamais devoir finir, les versions contradictoires s’enchaînent devant la juge aux affaires familiales. Au premier chef, celles, donc, d’Antoine Maurepas et de Margaux Lunel. Mais aussi, dans leur sillage, celles de leurs soutiens respectifs – la deuxième épouse de l’un, les mères respectives, l’ami de l’un, l’amant de l’autre…sans oublier les enfants, et une certaine… Eliette Abécassis, amie de l’auteure.

Des aveux troublants

La fantaisie, l’élégance, l’imagination débordante de Margaux Lunel dissimulent-elles un  trouble « borderline » ? Est-elle cette « femme qui a toujours eu un problème avec la jouissance » ? Antoine Maurepas, à côté de l’homme empathique, posant « des questions pertinentes, fines, montrant une vive intelligence et un intérêt réel », n’est-il pas cet être violent dont son ex-femme a craint jadis « qu’il la pousse dehors par l’une des fenêtres » et qui n’aurait pas hésité à maquiller le meurtre en suicide ?

Qui dit vrai et/ou faux ?

Éliette Abécassis signe Divorce à la française (Grasset) Photo G. Harten

Dans ce tourbillon de pièces, bien affuté celui, juge ou lecteur – l’un et l’autre en effet se confondent grâce à un astucieux dispositif narratif  – qui pourrait démêler le faux du vrai. Les tiroirs sont à double, voire à triple fond. L’auteure se régale à faire venir virtuellement les différents témoins à la barre, et nous avec elle. Mention spéciale à la mère d’Antoine Maurepas, directrice des ressources humaines, qui défend son fils et dit tout le mal qu’elle pense de son ex belle-fille, dans la langue qui sied à sa profession :

« A mon avis, elle n’est pas loin de la faute grave. Il faut la sanctionner ».

Cependant, certains mots sonnent justes, terriblement justes

« Un monde s’est ouvert à moi, différent de celui que je croyais connaître » écrit ainsi Margaux en référence à sa découverte des métiers de la justice – avocats, huissiers, médiateurs, notaires – un monde, ajoute-t-elle, « de chiffres, d’argent et de haine où tous les coups sont permis, où les enfants sont des outils, des armes pour atteindre l’autre.

Un monde sans loi, ou pire, où la loi pervertie reproduit non pas le jugement de Salomon mais sa ruse : couper l’enfant en deux pour voir qui est la vraie mère ».

Renversement de situations

De même, s’il est certain que Margaux Lunel a joué avec le feu, ne reculant devant rien pour enquêter sur son ex-mari, il est tout autant avéré que les courbes professionnelles et financières des ex-époux sont inversement professionnelles : d’interne en médecine laissant sa femme, alors au faîte de sa gloire littéraire, prendre en charge tous leurs frais au début de leur mariage, Antoine Maurepas, au moment des faits, est un médecin fortuné, quand Margaux Lunel, dorénavant discrète sur la scène littéraire, n’est plus en mesure d’assumer un loyer parisien.

On ne dévoilera pas la fin.

Disons juste qu’elle fait écho à une actualité tragique, et que la justice, à l’instar de ces avocats qui pendant leur plaidoirie n’oublient jamais de faire valoir leurs activités hors des prétoires, en prend pour son grade : elle aurait bien fait de ne pas exclure des débats les mains courantes déposées par Margaux Lunel pendant et après son mariage avec Antoine Maurepas. Main courante, soit le titre de son premier roman…

Le dernier roman d’Éliette Abécassis, lui, est une réussite.

Anne-Sophie Barreau