DJ Mehdi : Made in France, de Thibaut de Longeville (série documentaire Arte)
Un héros musical méconnu
Né en 1977, le jeune Mehdi commence à mixer et devenir DJ à la fin des années 1980, il passe son temps à écouter des disques en tout genre, de la Disco aux musiques orientales. Il écoute tout ce qui lui passe par les mains avec boulimie, puis il sample les morceaux, en prenant une boucle de la musique afin de la remodeler à sa sauce. Le procédé classique des producteurs de Hip-Hop. Au-fur et à mesure, sa palette musicale s’élargit en étant plus éclectique avec du rock, de la techno et du jazz.
Du fait maison
A l’époque, un sampler coûte 20 000 francs ce qui est beaucoup trop cher et inabordable pour le jeune DJ. Il décide d’enregistrer les boucles de ses vinyles sur des cassettes à bandes, avant de les découper pour les monter et en faire lui-même un morceau. Son procédé est totalement artisanal, avec une production ‘fait maison’ guidé uniquement par son oreille et son feeling.
Il reconstitue un Sampler S 330 lui-même avec des pièces détachées grâce un ami qui lui a passé les plans de la machine. C’est de la débrouille à l’état pure mais c’est comme ça qu’il va développer une créativité et une originalité qui lui est propre.
Le rap français sort de la musique de niche
Ses armes se peaufinent en produisant le groupe Idéal Junior, groupe du rappeur emblématique Kerry James qui était encore un gamin de 14 ans à l’époque. Comme décrit dans le documentaire de Thibaut de Longeville, le Hip-Hop est alors une musique de niche qui n’est pas encore appréciée du grand public.
Surtout, elle fait peur aux producteurs qui n’osent pas investir dans des morceaux décrivant les conditions difficiles des jeunes vivant en HLM, dépeignant une réalité morose bien moins reluisante que celle des classes privilégiées. Piégé dans un contrat de 4 ans, le groupe devra ronger son frein avant de pouvoir changer de label et sortir la musique qu’ils veulent réellement créer, loin des standards commerciaux imposés par leur production.
Idéal J : le son du ghetto français
Bercé au rap New-yorkais des années 90, « l’âge d’or » du Hip-Hop avec ses MC légendaires comme Nas, Mobb Deep, Wu-tang Clan et ses beat makers fabuleux comme DJ Premier, Pete Rock & CL Smooth et Q Tip de Tribe Called Quest.
Un des plus grands collectifs du rap français va se former autour d’Ideal J, la fameuse « Mafia K1 Fry » soit « Mafia africaine » en verlan.
Le groupe se compose de 17 rappeurs provenant de Vitry sur Seine, notamment le groupe 113 composé de Rim’k, AP et Mokobé. Nous y retrouvons également Rohff, Karlito, Demon One et Manu Key.
Mafia K1 Fry, Pour ceux
Le morceau le plus emblématique et populaire de la Mafia K1 Fry c’est « Pour ceux ». Lorsque Las Montana, l’un des membres du groupe est retrouvé assassiné dans des conditions atroces, le collectif accuse un choc énorme. Au point que leur leader, Kerry James, décide de se retirer de la musique complétement pour se consacrer à la religion. Il reviendra par la suite pour faire une excellente carrière, mais cet arrêt provoque une cassure nette avec Mehdi.
Un truc de fou
A l’aube des années 2000, la radio Skyrock a des quotas en devant diffuser 40% de chansons françaises, incluant 25% de nouveau talents. C’est ainsi que 113 fait son apparition sur les ondes avec son titre « Truc de fou ». Une exposition nationale transformant leur aura, passant de groupe seulement connu dans leur département du 94 à devenir écouter par 3 millions d’auditeurs quotidiennement.
Le DJ prometteur sort avec le groupe des morceaux mythiques comme « Les princes de la ville » ou « Tonton du Bled ».
Des Victoires de la musique au procès pour plagiat
Tonton du Bled parle de Rim’k lorsqu’il revenait en Algérie avec toute sa famille, la voiture chargée à ras-bord de sacs Tati. Le morceau racontant le périple et les vacances au Bled est un sample provenant du titre « Ahmed Wahby – Harguetni Eddamaa ». Cette scène iconique avec le break 504 est interprétée lors des Victoires de la musique en l’an 2000. Le groupe y décroche deux prix : le meilleur album de rap ainsi que la révélation de l’année.
Le single Tonton du Bled devient un tube, passant de disque d’or à disque de platine, ce qui représente 300 000 ventes de CDs à l’époque. Malheureusement les ayants droits leur tombent dessus pour plagiat lorsque le morceau est devenu un hit, attendant 5 ans pour leur coller un procès sur le dos. DJ Mehdi doit reverser une somme considérable, une des raisons qui va le pousser à mixer et enchaîner les tournées.
Un virage électro pour influencer la French touch
En 1996, la « French touch » soit la musique électronique française se créée une place dans l’échiquier mondiale, notamment pour ses tubes dansants. Une effervescence portée par les Daft-Punk en figure de proue, puis les groupes comme Cassius et Justice par la suite. Des morceaux portés par des phrases en anglais simples type « One more time » ainsi que des mélodies envoûtantes. Lorsque Mehdi tombe sur le premier album de Daft Punk, il se dit « c’est les mêmes machines, c’est les mêmes sampleurs, c’est des gars qui habitent à deux pas et ont le même âge que moi ». Le laissant légitimement penser qu’il aurait pu être à la production.
Ce qui est surprenant, c’est que la musique electro « house » provient comme le Hip-Hop des ghettos noirs américains (Chicago, Detroit), émergeant dans les années 1980.
Dépasser deux mondes séparés
Dans l’Hexagone, le documentaire souligne avec précision que la musique électro est écoutée par des blancs, en général de classe aisée tandis que le rap est produit, destiné et écouté par les populations de banlieues issues des classes populaires. Il y a cette opposition musicale de deux mouvements naissants, à l’image d’une guerre froide où il fallait choisir son camp et bien y rester.
Mehdi fera évidemment exactement le contraire….
La naissance du label Espionnage
Le virage de DJ Mehdi vers la musique électronique le pousse à monter son propre label baptisé Espionnage. Un nom qui en dit long sur sa volonté d’intégrer un nouveau milieu, comme s’il rentrait dans un laboratoire afin d’expérimenter de nouvelles manières de créer du son, tout en gardant son côté Hip-Hop.
Spanish Harlem
Grâce à sa constante recherche d’inspirations venues de toutes parts, l’artiste tombe sur un sample complètement fou et inattendu pour une production Hip-Hop. Pendant une session studio regroupant de nombreux rappeurs, les premiers à choisir ne veulent pas récupérer l’instrumentale proposée. Un refus qui fait le bonheur du 113, complétement scotché et fasciné par cette prod extraordinaire. Un sample fou venant du groupe de techno allemand Kraftwerk, une ambiance haletante digne d’un thriller avec un BPM élevé (110), fonctionnant étrangement bien avec les rappeurs. Un exemple prouvant à nouveau que la musique n’a aucune frontière ni limites.
113 fout la merde
Après le succès de leur premier album « Les princes de la ville », le 113 doit frapper encore plus fort, sauf qu’ils ont passé trois ans en tournée, dissipant leur inspiration. En effet, ils ont à ce moment moins de recul, ce qui est normal lorsqu’ils enchaînent les concerts.
Ils sortent en 2002 leur deuxième album, dont le titre le « 113 fout la merde », conçu avec Thomas Bangalter, membre du groupe français iconique Daft Punk. Il intervient avec son vocodeur sur le morceau du titre homonyme à l’album. Il faut savoir qu’à ce moment, le duo français le plus en vogue refuse de travailler avec des super stars planétaires comme Madonna ou Janet Jackson.
Le bide commercial de l’album solo
Après la production de ce deuxième album, le producteur décide de faire un album solo baptisé « The story of espion », où il invite des rappeuses et rappeurs comme Diam’s, Rim’k, Rocé ou Karlito. Un album très personnel qui fait cependant un bide commercial à l’époque.
Très proche du label Headbanger, il est celui qui pousse Justice à garder leur morceau « Waters of Nazareth », qu’ils étaient prêts à mettre de côté ou pire à carrément vouloir le jeter à la poubelle.
Lucky boy
Son deuxième album solo « Lucky boy » en 2006, se nourrit d’ influences club et des morceaux dansants comme « I am somebody » ou entêtants avec « Signatune ». Le clip de ce dernier à été tourné par Romain Gavras, inspiré d’un documentaire sur le tunning où chacun des protagonistes cherche à avoir la voiture la plus rapide grâce à un moteur trafiqué. La musique couplée aux images donne vraiment un côté nerveux et intense à l’histoire, montrée comme le jour d’une vie pour le personnage principal.
Son duo avec Riton sort en 2010 des morceaux incroyables sur le label Headbanger avec Carte blanche, .
Le drame fauche le rassembleur
le 13 septembre 2011, lors d’un dîner avec des amis, l’effondrement d’un toit emporte Medhi et quelques autres dans une chute mortelle. L’événement tragique frappe brutalement ses proches et la musique française, rap et électro confondu. Sa mère rappelle que Mehdi signifie « rassembleur », montrant qu’il a toujours su lier les autres entre eux, qu’importe leurs milieux ou leurs origines, à l’image de sa musique.
Playlist subjective du top 10 produits par DJ Mehdi
- Mafia K1 Fry : Pour ceux
- Carte blanche : Gare du nord
- 113 : Au summum
- Fabe : Excusez-nous
- Rim’K & Lil Dap : Know about me
- DJ Mehdi : Signatune
- DJ Mehdi : Spanish Harlem
- Karlito : A ta façon
- Diam’s : Partir
- 113 : Tonton du Bled
DJ Mehdi : Made In France, sur Arte TV
- Réalisation et Scénario : Thibaut de Longeville – Image : Nicolas Desaintquentin – Montage : Zakaria Cheurfa, Jules Renault, Nayla Baghdadi – Musique : Thomas Roussel
- Avec Kery James, Busy P (Ed Banger), Rim’K, Mokobé & A.P. (113), Gaspard Augé & Xavier de Rosnay (Justice), Boombass (Cassius), DJ A-Trak, Santigold, MC Solaar, -M-, Dave One (Chromeo), Fafi, Romain Gavras, So-Me (Ed Banger), Riton (Carte Blanche)