Les Sentinelles, de Clara Olivares & Chloé Lechat (Opéra National de Bordeaux, Opéra de Limoges, Opéra Comique)
Deuxième opéra à tout juste 31 ans
L’ouvrage scénique est un genre qui l’attire pour sa dimension collaborative, ce travail d’équipe qu’elle recherche et qui lui permet de dépasser ses propres limites, d’aller là où elle n’aurait peut-être pas osé se diriger seule.
Clara Olivares, compositrice
La compositrice franco-espagnole n’a que 24 ans lorsqu’elle écrit son premier opéra Mary, un format de chambre pour une chanteuse et ensemble instrumental (Ensemble 21-n), avec marionnettes et électronique, donné en création lors du festival de Bruxelles Ars Musica.
Un an plus tard
En 2019 qu’elle rencontre, à l’Académie du Festival international d’Art Lyrique d’Aix-en -Provence, la librettiste et metteuse en scène Chloé Lechat. Naît alors spontanément le désir d’un travail en binôme qu’elles co-signent, dans une volonté d’écrire de nouveaux récits et de s’adresser à de nouveaux publics en leur proposant des sujets d’actualité qui les concernent.
Avec Les Sentinelles, la promesse est tenue !
Un opéra 100% féminin
Dans Les Sentinelles, elles sont quatre femmes sur le plateau, trois chanteuses et une comédienne : d’un côté une mère et sa fille sur-douée qui voit un psy et fait état de sa différence. De l’autre un couple de femmes dont la liaison bat de l’aile.
Chloé Lechat, qui assure également la mise en scène, prend de la distance avec ses personnages en les désignant par des lettres A, B, C, E (mystère du D manquant!).
On apprend tout de même que A est libraire, C, comédienne et B architecte d’intérieur. A et C se rencontrent et débutent une relation amoureuse, quand B, jalouse, s’en mêle, se rapproche du nouveau couple et propose un ménage à trois, au dépend de l’enfant qu’elles sont censées protéger (en devenant ses sentinelles) et qui décide, quant à elle, « d’aller vivre ailleurs ». Entre amour et illusion, jalousie, mensonges et non-dits, c’est l’image de la spirale qui revient sur l’écran sous toutes ses formes et ses couleurs, celles du vidéaste Anatole Levilain-Clément qui créent du mouvement dans une mise en scène où manque une vraie direction d’acteur.
Un récit chronologique
L’opéra est en deux actes de neuf scènes chacun, qui déroulent le récit de manière chronologique, tel un scénario de film avec ses repères temporels au fil des heures et des jours. L’action est balisée par les trois séances de l’enfant avec son pédopsychiatre : scènes enregistrées et images d’animation colorées. Elles offrent un autre espace d’écoute et une certaine dimension fictionnelle hors temps où la fantaisie, sinon l’humour, y est entretenue par l’inattendu des propos de E. On apprend, de la bouche de l’enfant, que sa mère lui fait prendre des médicaments sans la prescription du pédopsychiatre…
Coté décor et costumes, l’engagement du Zéro achat
Troisième production dite « zéro achat » de l’Opéra National de Bordeaux, les décors et costumes (Céleste Langrée et Sylvie Martin-Hyszka) sous l’éclairage soignée de Philippe Berthomé, proviennent d’anciennes productions ou d’éléments 100% recyclés : une mission bien accomplie et un décor d’intérieur plutôt élégant qui se renouvelle, souvent sous les yeux du public, jusqu’à cette fête d’anniversaire travestie que l’on aurait souhaitée plus intense encore avant que n’advienne l’irréparable.
Côté scène, le chant est généreux et les trois voix féminines somptueuses
Le soprano aisé d’Anne-Catherine Gillet/A rayonne en femme amoureuse et mère faussement bienveillante ; la voix est souple, d’une belle clarté d’élocution ; des qualités que l’on retrouve dans le mezzo velouté de Sylvie Brunet-Grupposo/B, la plus posée des trois, quand le timbre éclatant et l’ardeur vindicative du soprano de Camille Schnorr/C, qui jette son dévolu sur A, frise parfois l’hystérie.
Clara Olivares jongle habilement avec la voix parlée (légèrement amplifiée et semi-rythmée) de l’enfant – Noémie Develay-Ressiguier épatante – et la voix de la mère qui lui répond en chantant.
Une écriture d’orchestre perfectible
Elle est moins à l’aise avec l’écriture de l’orchestre – celui de Bordeaux Aquitaine sous le geste énergétique de Lucie Leguay – et si l’option de doubler les voix est trop systématique, le choix du long interlude entre les deux actes est, certes, un rien ambitieux mais dramatiquement bien vu, laissant sourdre une tension qui va se resserrer dans le deuxième acte.
Chez Olivares, les peaux graves (toms et grosse caisse) déferlent assez souvent au sein d’un orchestre qui charrie une matière plutôt sombre, musique de trames volontiers monochromes regardant vers l’écriture d’un Dusapin, émaillée de signaux qui en relancent la dramaturgie.
Des questions en résonnance avec le public
Que signifie aimer, comment vivre cet amour en couple lorsque la norme sociale se déplace, comment accepter la différence… autant de questions de société qui nous interpellent comme elles ont interpelé le public bordelais venu nombreux, attentif et de toute évidence concerné par cette nouvelle production 100% féminine.
En témoigne son enthousiasme et la pertinence de ses questions lors de la rencontre avec les artistes après le spectacle, dans le grand foyer de la maison.
Les sentinelles, opéra en deux actes de Clara Olivares (né en 1993),
sur un livret et une mise en scène de Chloé Lechat,
dirigé par Lucie Leguay, Orchestre National Bordeaux Aquitaine,
scénographie de Céleste Langrée ; lumières de Philippe Berthomé ; costumes de Sylvie Martin-Hyszka ; vidéos d’Anatole Levilain-Clément
Avec : Anne-Catherine Gillet (A, soprano) ; Sylvie Brunet-Grupposo, (B mezzo-soprano) ; Camille Schnoor (C, soprano) ; Noëmie Develay-Ressiguier (E, comédienne).
- Jusqu’au 14 novembre, Opéra National de Bordeaux
- les 22 et 24 janvier, Opéra de Limoges avec l’Orchestre de l’Opéra de Limoges
- les 10, 11 et 13 avril, Opéra-Comique de Paris avec l’Orchestre National Bordeaux Aquitaine