La Mouette, d’Anton Tchekhov, par Stéphane Braunschweig (Théâtre de l’Odéon)

Respect du texte, absence d’effets scéniques tapageurs, acteurs peu connus mais dont le jeu est juste, la mise en scène de Stéphane Braunschweig de La Mouette, d’Anton Tchekhov au Théâtre de l’Odéon jusqu’au 22 décembre 2024 fait ressortir pour Philippe Raimbourg l’intensité dramatique, la cruauté de certains personnages et le désarroi des autres… On ne peut pas reprocher à Braunschweig l’exiguïté de son budget, ce dont il s’était plaint.

Tout l’espace de la scène de l’Odéon et même les cintres sont mobilisé

La Mouette, d’Anton Tchekhov, par Stéphane Braunschweig (Théâtre de l’Odéon) photo Simon Gosselin

En dépit de très rares décors,  l’espace de la scène en prélude et en fin de pièce, est limité par le rideau de scène qui délimite une bande étroite où les acteurs évoluent. Ceux-ci portent des costumes de ville du XXI° siècle. Il n’y a guère d’effets scéniques, à l’exception d’une montée dans les cintres de Nina (La mouette) qui déclame son texte accrochée à un câble, d’une tombée de mouettes en carton qui restent suspendues à leur filin et, en fin de spectacle, à nouveau d’une montée dans les cintres du fils lors de son suicide. L’ensemble est plutôt réussi et même émouvant.

Cette parcimonie d’effets concentre le spectacle et les spectateurs sur l’essentiel : le texte, et laisse bien sûr une certaine responsabilité aux acteurs et à leur direction. Le pari est dans l’ensemble gagné : les acteurs jouent juste, mettent bien en valeur le texte et font ressortir l’intensité dramatique de cette œuvre.

Renoncer à une lecture historico-économique

La Mouette, d’Anton Tchekhov, par Stéphane Braunschweig (Théâtre de l’Odéon) photo Simon Gosselin

Ce partis pris porte l’attention sur les drames humains qui s’y déroulent. L’accent a souvent été mis, lors des représentations de cette œuvre, sur les mutations que la société russe était censée connaître : une aristocrate terrienne déclinante, vivant de moins en moins bien de ses rentes, est confrontée à une classe montante industrielle (évoquée sans être représentée sur scène) et à une intelligentsia numériquement croissante, futur terreau d’un mouvement révolutionnaire, et représentée dans La Mouette par l’instituteur.

Stéphane Braunschweig quitte cette interprétation économique pour nous proposer une lecture plus ontologique.

C’est ainsi que l’instituteur n’est pas présenté de façon très positive : il est fréquemment moqué pour ne se préoccuper que de considérations financières, et il constitue ainsi, à ses dépens, une parenthèse humoristique dans l’ensemble sombre qu’est devenue la pièce.
Car le metteur en scène éclaire d’une lumière impitoyable les passions dévorantes de certains personnages et le désarroi qu’elles engendrent autour d’elles : une mère qui, telle Chronos, détruit son propre fils et l’accule au suicide, un auteur célèbre et volage qui, cédant à sa fantaisie amoureuse, n’hésite pas à ruiner les espoirs et la vie d’une jeune femme.

Tout est noir et sans espoir chez Tchekhov

La Mouette, d’Anton Tchekhov, mise en scène par Stéphane Braunschweig (Théâtre de l’Odéon) photo Simon Gosselin

Mais d’une noirceur différente de celle qui règne dans l’œuvre de Maupassant. Car celui-ci est évoqué dans la pièce au titre de la nouvelle Sur l’eau que Dorn, le médecin, est en train de lire. Et, amusante provocation de Tchekhov, le médecin déclare qu’il s’agit là d’une littérature ennuyeuse.

Mais on le comprend ! Car face à l’égoïsme étriqué des paysans et petits-bourgeois normands, la démesure, toute slave, et l’égoïsme des personnages de Tchekhov apparait comparable à celle des divinités grecques.

Et la grande réussite de Stéphane Braunschweig est bien là : avoir placé La moue(e au rang des drames grecs ou raciniens.

Tout n’est pas parfait, bien sûr

La Mouette, d’Anton Tchekhov, par Stéphane Braunschweig (Théâtre de l’Odéon) photo Simon Gosselin

Elles portent principalement sur une certaine aridité de la représentation. Peu d’éléments viennent flatter l’œil du spectateur : la scène est nue, ou presque, et les costumes des acteurs sont ceux que l’on voit tous les jours dans la rue. On comprend bien sûr qu’il s’agit de se focaliser sur l’essentiel. Mais il ne faut pas pour autant que l’on ait l’impression d’une lecture de pièce et non d’une représentation.
Un peu de fiction aurait réconforté le spectateur : une toile peinte, un samovar, ou que sais-je, permettant de se transporter dans une Russie (imaginaire) de la fin du 19° siècle.

Séduire le spectateur est aussi important lors d’une représentation, et ce n’est pas cet éventuel plaisir qui l’empêcherait de prendre ses distances et de réfléchir au drame qui se déroule devant lui.

A défaut d’être séduit, le spectateur que je suis a été ému par cette représentation, et c’est bien là l’essentiel.

Philippe Raimbourg

avec Sharif Andoura, Jean-Baptiste Anoumon, Boutaïna El Fekkak, Denis Eyriey, Thierry Paret, Ève Pereur, Lamya Regragui Muzio, Chloé Réjon, Jules Sagot, Jean-Philippe Vidal