Culture
La conquête de l’est parisien du photographe Pascal Rivière
Auteur : Anne-Sophie Barreau
Article publié le 13 janvier 2025
(Artiste inspirant) La ville est son terrain d’élection et le noir et blanc sa signature : la rapidité – il n’est « entré » en photographie qu’en 2015 – avec laquelle Pascal Rivière a affirmé son écriture photographique impressionne. Sur son territoire d’adoption, en Seine-et-Marne, rien ne lui échappe, ni l’omniprésence de la culture américaine, ni l’irréductible liberté des êtres, matière (é)mouvante incorporée au point de devenir la sienne. Le photographe, dont le travail est rapproché de ceux de Lewis Baltz et Vanessa Winship, se confie à Anne-Sophie Barreau.
D’où vient votre goût pour la photographie ?
Cela reste assez mystérieux. Mon grand-père, cela dit, était photograveur, et pendant toute mon enfance, j’ai eu l’habitude de voir les photos de famille qu’il prenait. J’ai longtemps fait de la photographie en dilettante, essentiellement pour avoir des photos souvenirs. A l’aube de mes 40 ans, j’ai ressenti le besoin d’une relation plus proche avec un art, et même si j’ai toujours fait de la musique, c’est vers la photographie que je me suis tourné.
Les commentaires positifs de mes proches sur mes premières photos ont été décisifs.
J’ai eu envie de confronter mon travail à un œil professionnel – celui, en l’occurrence, de Sylvie Hugues, ancienne rédactrice en chef de « Réponses photo » – dans le cadre de lectures de portfolios à la Maison européenne de la photographie. La critique a été rude mais bienveillante.
Sylvie Hugues a choisi trois photos qui étaient parmi les meilleures de la série et m’a encouragé à poursuivre mon travail. Je l’ai scrupuleusement écouté, et un an plus tard, dans le cadre d’un stage dans les Alpes qu’elle dirigeait avec Jean-Christophe Béchet, j’ai fait un reportage sur un éleveur d’âne. Au moment de l’editing, elle était un peu interloquée.
En un an, j’avais, semble-t-il, acquis une certaine qualité dans mon approche photographique.
Avec tout de suite une signature : le noir et blanc…
Ce choix est lié à mes influences et peut-être aussi aux photos de famille qui, pour la plupart, sont en noir et blanc. Du côté des influences, la découverte de Garry Winogrand au Jeu de Paume en 2015 a été un déclic. J’ai été happé par la puissance et la force de ses photos, par leur côté dynamique. Cela n’a fait que renforcer mon intérêt pour la photo de rue. Celle-ci est fondatrice dans mon parcours. Daidō Moriyama est un autre photographe que je vénère.
Le noir et blanc est pour moi associé à l’énergie et à la mélancolie.
Pourquoi la mélancolie ? Cela vient sans doute de mon parcours.
Je suis parisien mais j’habite aujourd’hui à Marne-la-Vallée dans un territoire de banlieue à l’américaine. Pour autant, je me sens toujours profondément urbain. Pour moi, la photo de rue et l’urbain dans son aspect atemporel ne peuvent pas être autrement qu’en noir et blanc.
Dans vos séries, le thème de la ville revient en effet inlassablement
Je suis très sensible aux lieux, où qu’ils soient. Je peux détester un endroit ou inversement m’y sentir très bien. Il y a quelques années, dans le cadre de mon métier d’informaticien, je suis allé à Las Vegas, et je me suis senti oppressé par l’urbanisme, le son, les images, la lumière…
Pour autant, je vais sans doute bientôt y retourner, il faut donc croire que ce lieu dans le même temps m’attire. Mais cette fois, ce sera en connaissance de cause, je sais à quoi m’attendre. Cet état d’esprit n’est pas sans ressemblance avec ce que j’ai vécu après avoir quitté Paris.
Lorsque je suis arrivé à Marne-la-Vallée en 2002, il a fallu que je m’habitue à ce nouvel environnement. C’est grâce à la photographie, à l’errance dans cet espace alors inconnu, que j’y suis parvenu.
Vous évoquiez Las Vegas à l’instant. La banlieue que vous photographiez – on pense à votre série « The New East » – reprend les codes américains
« The New East », ma série en cours, a débuté il y a un an. Comme pour « Stigmates d’une vie rêvée », série précédente à laquelle elle fait écho, je suis resté autour de chez moi. Le titre est un clin d’œil à Robert Adams et à « The New West », le travail qu’il a réalisé dans les années 70 autour de l’extension de l’urbanisme dans l’ouest américain.
D’une certaine façon, on peut dire que dans l’est parisien, en Seine-et-Marne, l’Amérique continue aujourd’hui à étendre son modèle d’urbanisme. Il y avait cette idée d’un parallélisme entre les deux approches.
Au fil du temps, j’ai commencé à m’intéresser aux gens qui vivent sur ce territoire. Nous sommes tous inspirés d’une façon ou d’une autre par la culture américaine. Partant de là, j’ai choisi quatre sujets : la danse country, la consommation – avec notamment Costco, géant américain de la distribution qui s’installe en Ile-de-France -, les voitures américaines, et enfin, les activités équestres « western ».
Impossible de ne pas parler d’Alex, la série au cours de laquelle vous avez accompagné un jeune homme en transition
« Alex » est né d’une rencontre au moment où je réalisais la série « Stigmates d’une vie rêvée ». Autour de chez moi, on croise assez peu de quadras et de quinquas – les gens de cette tranche d’âge se déplacent d’une zone à une autre en voiture ou en transports en commun – en revanche, on voit beaucoup d’adolescents et de jeunes adultes.
J’ai d’abord connu Victor et Hugo – je croyais à une mauvaise blague mais pas du tout, ce sont vraiment leurs prénoms – deux très bons amis. Nous avons échangé nos adresses Instagram et avons commencé à nous suivre. C’est alors qu’ils m’ont fait rencontrer Alex qui était en couple avec Clémence. Lorsqu’Alex a déclaré en 2020 qu’il entamait une transition de genre pour devenir un homme, je lui ai demandé s’il accepterait que je le suive. Il a tout de suite dit oui. Lui-même a pris l’habitude de documenter sa transition, y compris dans ses aspects administratifs, à travers Instagram. J’ai fait des copies d’écran et lui ai proposé de compléter le journal. Nous avons en quelque sorte mixé les deux.
L’histoire s’étale sur trois ans, entre 2020 et 2023.
Aujourd’hui, beaucoup de jeunes gens documentent leur vie à travers Instagram. Ce désir d’une affirmation sur les réseaux sociaux, indépendamment de la question de la transition de genre, dit aussi beaucoup de notre contemporain.
Le livre qui en résulte, AleX (éditions Photopaper), a été financé grâce au financement participatif. Parlez-nous de cette expérience
Le financement participatif est aujourd’hui devenu pratiquement incontournable pour les auteurs photographes y compris pour ceux qui sont connus. Vendre son travail quand on n’y est pas habitué représente une véritable épreuve. J’ai heureusement eu la chance d’être accompagné en tant que lauréat de l’appel à projet « Kickstarter X Polka ». Le magazine Like m’a également soutenu depuis le début. Il n’en reste pas moins – nous en avons fait le constat avec Elisabeth Hébert mon éditrice – que le sujet de la transition est clivant. Quant à l’objet livre, c’est exactement celui que je souhaitais.
Avant toute chose, c’est le journal d’Alex. Mais c’est aussi un objet contemporain qui parle au plus grand nombre.
Nous avons fait équipe, Alex, l’éditrice et moi. Je continue aujourd’hui à photographier Alex. Il n’est pas militant mais il soutient la communauté des personnes en transition. En tant qu’homme cisgenre, cette expérience m’a changé. J’ai beaucoup discuté avec mes filles qui étaient adolescentes quand j’ai commencé ce travail.
Pour elles, ces questions de genre sont communes. Ces discussions ont nourri le livre.
Propos receuillis par Anne-Sophie Barreau
Pour suivre Pascal Rivière
le site de Pascal Rivière
Publications
AleX, éditons Photopaper (2023)
« C’est toute la force du travail de Pascal Rivière qui nous fait prendre conscience à travers ses photographies, à travers son livre, que ce que certaines franges politiques dénoncent comme un drame, la fin de notre civilisation, une catastrophe, n’est rien d’autre que la liberté d’être qui l’on veut être. » Frédéric Martin, 5, rue du, 71123
Olympiades – Le Monde de la Photo, Hors Série N°36 (2018)
#Terresdebanlieue, Revue fisheye.fr (2017)
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