Un parfait inconnu, de James Mangold, ou la déflagration rock Bob Dylan
Une météorite
Lorsque Bob Dylan apparaît sur la scène folk new-yorkaise à l’orée des années 60, le petit monde des troubadours à la guitare en bandoulière est stupéfait.
Comment un aussi jeune homme, à peine 20 ans en 1961, peut-il écrire des chansons d’une telle force évocatrice ?
Le tocsin de la révolution culturelle à venir
À son corps défendant Dylan va porter sur ses épaules les espoirs d’une jeunesse prête à renverser les conventions conservatrices des générations précédentes. Pris dans les rets d’une notoriété fulgurante, il en concevra une émancipation artistique qui sonnera le tocsin de la révolution culturelle à venir.
Du barde folk à l’aura de gourou
Un parfait inconnu, de James Mangold n’est pas à proprement parler ce qui est couramment et grossièrement appelé un biopic. Il s’agit de l’adaptation de l’ouvrage érudit Dylan électrique (Dylan goes electric) de Elijah Wald qui raconte comment de barde folk à l’aura de gourou, Bob Dylan dynamite toutes les conventions et s’émancipe du carcan étriqué dans lequel une horde de puristes voulait le confiner.
Réalisateur en 2005 du réussi Walk the line, autour de la personnalité de Johnny Cash (d’ailleurs bien présent dans Un parfait inconnu), James Mangold réussit à capter l’essence d’une période qui va voir naître la contre-culture et surtout à évoquer avec une grande acuité la personnalité d’un jeune homme appelé à devenir une référence incontournable de la musique populaire contemporaine.
La tentative de Todd Haynes
En 2007, Todd Haynes a réalisé une première et brillante tentative de cerner le caractère éminemment indiscernable du prix Nobel de littérature de 2016. Doté d’une magnifique idée, celle de faire interpréter Bob Dylan par différents acteurs (dont une femme, Cate Blanchett pour le fameux passage à l’électrique), suivant chaque période de sa vie, I’m not there figurait déjà la difficulté de cerner la volatilité d’un personnage insaisissable. Ce que personnifie le titre Un parfait inconnu.
Le premier rock existentiel
Extrait d’une œuvre majeure, le morceau emblématique Like a rolling stone, que nous pourrions qualifier de premier rock existentiel. Il dépeint en 6 minutes et 10 secondes les déconvenues et les errements qui attendent ce parfait inconnu (au sens invisible), qui figure aussi en chacun d’entre nous.
Ce titre fût révolutionnaire à bien des égards.
Les radios refusèrent la version intégrale, trop longue à leur goût pour intégrer leurs formats de diffusion, un véritable tollé les contraignit à la passer dans sa version originale. La longueur du texte et sa poésie cryptique fit qu’il en découla une telle série d’interprétations que l’éminent critique rock Greil Marcus en a conçu tout un ouvrage Like a Rolling Stone : Bob Dylan à la croisée des chemins. Une pièce de théâtre fût même créée à partir de ce livre.
Considérée aujourd’hui comme l’une des compositions les plus importantes de la musique pop, elle fit entrer le rock dans l’âge adulte.
D’ailleurs les Beatles après leur rencontre en août 64 avec Bob Dylan qui leur fit découvrir les voluptés de la marijuana, ne purent plus jamais écrire des je veux te tenir la main et t’acheter une bague en diamant. John Lennon affirmera même plus tard que c’est Bob Dylan qui lui inspira In My Life.
Et s’il vous faut mesurer à quel point Like a Rolling Stone a son importance, jetez un œil sur la vidéo interactive, que Sony commanda à la plateforme EKO pour le 50ème anniversaire de la chanson.
A la hauteur de son sujet et le recul nécessaire de Timothée Chalamet
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Un parfait inconnu, de James Mangold Timothée Chalamet incarne Bob Dylan photo Macall Polay Courtesy of Searchlight Pictures – 2024 Searchlight Pictures All Rights Reserved
Le film raconte donc ce qui mène à cet aboutissement en forme de pavé dans la mare (tel que le suggère à deux reprises Johnny Cash à Bob Dylan). Tout en suivant le parcours foudroyant de Dylan entre 1961 et 1965, James Mangold parvient à se hisser à la hauteur de son sujet sans jamais lui accorder cette déférence si souvent insupportable dans ce genre d’exercice.
Il faut mentionner le parfait recul de son acteur principal (Timothée Chalamet), qui sans s’essayer au mimétisme incarne avec profondeur son personnage.
Un tour de force
La mise en scène totalement imperceptible réussit le tour de force d’amener un éclairage qui nous subjugue.
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Un parfait inconnu, de James Mangold photo Macall Polay Courtesy of Searchlight Pictures – 2024 Searchlight Pictures All Rights Reserved
Lorsque Dylan fait la connaissance de Pete Seeger (référence de la musique folk de l’époque), nous ressentons sans aucun effet de manche de la part du réalisateur à quel point l’irruption de ce jeune homme dans un monde étriqué va tout changer. Il apparaît sans que nous ne comprenions comment, comme un phare dans la nuit.
Bien sûr, même si est soigneusement évitée la question des stupéfiants, Bob Dylan de notoriété publique en était adepte (en particulier les amphétamines), elle transpire dans la deuxième moitié du film au travers du jeu de l’acteur.
Il en ressort que ce qui semble survolé (en ce qui concerne les connaisseurs), n’en est que plus suggéré de façon aussi insaisissable que la personnalité de Robert Allen Zimmerman dit Bob Dylan.
Un parfait inconnu (A complete unknown), réalisé par James Mangold, écrit par James Mangold et Jay Cocks, Inspiré par le livre Dylan Goes Electric d’Elijah Wald
Directeur de la photographie : Phedon Papamichael, Costumes: Arianne Phillips, Producteur musical exécutif :Nick Baxter
Avec Timothée Chalamet (Bob Dylan), Monica Barbaro (Joan Baez), Edward Norton (Pete Seeger), Elle Fanning (Sylvie Russo), Boyd Holbrook (Johnny Cash), et Scoot McNairy (Dan Fogler).
À écouter
- Les influences new-yorkaises d’un parfait inconnu, Bob Dylan (France Inter)
- Bob Dylan, l’inattendu, un podcast France Inter en 9 épisodes par Michka Assayas