Culture
100% L'Expo 2025 confirme l’effervescence de la jeune création (Grande Halle La Villette)
Comment les artistes nés au 3e millénaire définissent-ils leur rôle dans une société écartelée entre divertissement et marché ? Pour la 7é année, 100% L’Expo à la Grande Hall de la Villette jusqu’au 11 mai 2025 concentre une génération tout juste diplômée d’une dizaine d’écoles d’Art (des Beaux-Arts de Paris, de Marseille, à la Villa Arson Nice).
Parmi la quarantaine d’artistes présentés par la commissaire Inès Geoffroy à Paris, puis à Madrid, Singular’s a fait une sélection subjective d’une dizaine. Sa diversité vous invite à vous frotter dans cette création qui relève le défi du comment aimer l’art quand c’est la fin d’un monde ? Si vous redoutez l’art du présent, un grand week-end de performances les 19 et 20 avril et des visites guidées tous les samedis et dimanches lèvent les réticences. Il est stimulant d’aller à la rencontre de ces artistes encore libres des contraintes du marché et nourris d’espérances à trouver leur public.
Ni salon d’art contemporain, ni exposition thématique

Chada, Le radeau, 2024 (100% L’Expo, Grande Halle de La Villette) photo OOlgan
100% L’EXPO se définit comme un instantané non exhaustif de la jeune création, présentant en accès libre et gratuit une pluralité de profils et de sujets. Les œuvres d’une quarantaine d’artistes se déploient sur plus de 3 500 m² dans la Grande Halle de la Villette, dans une scénographie entièrement composée d’éléments de récupération des événements précédents. Chaque année, La Villette collabore avec des écoles d’art françaises pour présenter des artistes récemment diplômés.
Pour cette nouvelle édition, la Haute école des arts du Rhin Mulhouse – Strasbourg intègre 100% L’EXPO et rejoint les Beaux-Arts de Marseille, les Beaux-Arts de Paris, l’École des Arts Décoratifs – PSL, l’École Nationale Supérieure d’Arts de Paris-Cergy et la Villa Arson Nice. Sans oublier l’intégration de la Fondation Culture & Diversité pour la quatrième année consécutive.
Tremplin professionnel et une vitrine de la scène émergente
Avec la volonté de présenter plus largement la scène émergente, 100% L’EXPO formule chaque année des invitations à des collectifs, festivals, lieux de résidence et médias afin de montrer la diversité et la richesse d’un écosystème de l’art contemporain pensé par et pour la jeune création. Cette année, les deux temps forts sont le 12 avril avec une invitation au média Manifesto XXI pour la sortie de leur revue « Comment s’aimer quand c’est la fin du monde ? » et un grand week-end de performances les 19 et 20 avril.
Côté spectacle vivant, deux pièces sont présentées en semaine avec Idio Chichava et Annabel Guérédrat.
Enfin, dans la volonté d’affirmer son accompagnement des artistes de 100% L’EXPO, La Villette met en place des formations, ainsi que des temps de rencontres professionnelles.
Pour présenter les artistes de notre sélection, nous avons choisi de garder les mots éclairants de la la commissaire Inès Geoffroy, qui cherchent à être les plus ouverts et incitatifs pour aller à leur rencontre.

Thomas Besset, Organ, 2022‑2024 (100% L’Expo, Grande Halle de La Villette) photo OOlgan
Thomas Besset, Organ, 2022‑2024
À travers la sculpture, le son et l’image animée, les installations du diplômé en 2023 Beaux-Arts de Paris mêlent biomimétisme et lutherie expérimentale. L’installation Organ se situe au croisement de différentes entités : la plante, la fleur, la machine et le corps. Modulaire, elle prend une forme différente à chaque accrochage.
Thomas Besset interroge la frontière entre l’inerte et le vivant, entre le synthétique et l’organique. Inspirée du fonctionnement des instruments à vent mécaniques, Organ se transforme en un orgue hybride composé de poumons, de cœurs et de lèvres, où des éléments apparaissent ou s’effacent, créant une réflexion sur l’empathie que l’on peut ressentir pour les machines.
Yannis Briki, Red skies, Violet Dreams, 2024 (Dreamgazing, 2024 – Bonne Nuit Xali, 2024 – La Nuit de l’Ogresse, 2021)
En mettant en lumière la résurgence des souvenirs personnels, le diplômé en 2022 ENS Arts de Paris-Cergy interroge dans ses installations vidéo comment les archives émotionnelles façonnent notre identité. Dans ses œuvres, il crée des figures ambiguës et féroces, évoluant dans des décors surréalistes, révélant des personnages errant dans le labyrinthe de leurs souvenirs.

Yannis Briki, Red skies, Violet Dreams, 2024 (100% L’Expo Grande Halle de La Villette) photo OOlgan
Dans Dreamgazing, réalisé en collaboration avec le compositeur M’Hand Abadou Djezairi, Yannis Briki recrée un souvenir en Kabylie, une nuit où un feu de forêt approche, tandis que tout le monde dort sur les toits. Ce moment de suspens, où le mystique envahit la nuit, rappelle les contes de l’Ogresse de Kabylie, une figure à la fois protectrice et cruelle. Bonne Nuit Xali est un monologue d’un enfant à son oncle, évoquant les souvenirs d’enfance des hommes maghrébins, loin des clichés des médias.
L’œuvre fait référence à la culture diasporique parisienne, mêlant des odeurs de cuir, chemma (tabac à priser algérien) et musique kabyle. Enfin, La Nuit de l’Ogresse est un film qui explore la nuit comme sanctuaire et refuge pour les monstres, où l’amour devient fragile et troublant. Inspiré par la légende kabyle de l’Ogresse, le film met en lumière des récits mythiques et des figures pop comme Barbara et Lolo Ferrari.
Rose‑Mahé Cabel, Weaving Mutation, Premier tableau, 2023, Il y a encore des graines à cueillir et il y a encore de la place dans le sac des étoiles, 3 – 4 – 5 – 6 – 7, 2023‑2025

Rose‑Mahé Cabel, Weaving Mutation, Premier tableau, 202 (100% L’Expo, Grande Halle de La Villette) photo OOlgan
La diplômée en 2020 Haute Ecole des Arts du Rhin, Mulhouse-Strasbourg utilise son alter‑égo fictionnel, Rose, pour convoquer des créatures déviantes, interrogeant les relations entre les humains et non‑ humains. Dans Weaving Mutation, iel explore la figure de l’araignée dans ce qu’elle a de potentiels émancipateurs.
Pour l’artiste, la figure de l’araignée se trouve aux croisements des questions sociales, anthropologiques, écologiques, créations de communs, questions de genre, d’architectures, de gestes et de danses. Elle est riche de sens, ambivalente, à la fois attrayante et repoussante.
Les sculptures hybrides, comme des paniers‑araignées réalisés avec des techniques traditionnelles, contiennent des œufs en cire renfermant des plantes et des textes, offrant une réflexion sur la mémoire, la fiction et l’écologie, convoquant des références à Louise Bourgeois, Ursula K. Le Guin, Monique Wittig et autres parentes choisies.

Chada, Le radeau, 2024 (100% L’Expo, Grande Halle de La Villette) photo OOlgan
Chada, Le radeau, 2024
Porté par son héritage culturel ivoirien et l’histoire coloniale de son pays, le diplômé en 2024 Beaux-Arts de Marseille crée un pont entre les histoires et les territoires, tout en étant conscient des différences qui les traversent. Les sculptures deviennent des fictions qui posent la question de la transmission et de la résistance face à l’histoire coloniale, tout en réactivant et en transmettant le patrimoine iconographique dont il a hérité.
Le radeau est une installation qui se compose de céramiques posées sur des palettes. Ces corps zoomorphes, créés à partir de matières glanées lors de voyages à travers l’Afrique et l’Europe, incarnent la mutation perpétuelle de l’humain, influencée par son environnement et ses itinérances. L’œuvre interroge le lien entre l’homme, l’animal et l’objet, tout en critiquant les dispositifs muséaux occidentaux et la dissociation entre les œuvres et les vies des artisans.
Corentin Darré, Avant que les champs ne brûlent, 2024
Le diplômé en 2020 ENS Arts de Paris Cergy explore la façon dont les dimensions réelles et virtuelles s’entremêlent à travers des œuvres qui mêlent sculpture et narration visuelle. Comme échappés de la 3D, les sculptures et décors continuent de créer une image narrative en dehors de la surface digitale de l’écran.

Corentin Darré, Avant que les champs ne brûlent, 2024 (100% L’Expo Grande Halle de La Villette) photo OOlgan
Avant que les champs ne brûlent transporte le spectateur dans le village fictif de Chagrin, où chaque sculpture devient le fragment d’une histoire tragique. À travers des façades de maisons et des fenêtres laissant entrevoir des scènes peintes, Corentin Darré dévoile un univers sombre marqué par le rejet, la superstition et la violence.
Inspirée par les films d’horreur des années 90 et 2000, l’installation mêle éléments sculpturaux et narration visuelle pour créer un théâtre immersif, où chaque pièce devient une relique porteuse des stigmates des drames humains. L’artiste utilise une diversité de matériaux, comme le bois, le brou de noix, et la peinture acrylique, pour façonner un décor où la tragédie humaine se joue dans l’intimité d’un espace qui semble sur le point de s’embraser.
Claire Gitton, Blood Sweat Tears, 2024 (Le feu devient foyer, Sais-tu jouer de cet instrument ? Ou es-tu juste capable de le voler ?)

Claire Gitton, Blood Sweat Tears, 2024 (100% L’Expo, Grande Halle de La Villette) photo OOlgan
La diplômée en 2024 Beaux-Arts de Paris explore les mémoires individuelles et collectives à travers la peinture. Blood Sweat Tears rend hommage à la mémoire familiale en représentant les mains de l’artiste, ornées de bagues héritées. L’utilisation du noir et blanc accentue l’intensité de l’image, mettant en lumière la transmission intergénérationnelle et l’exil.
Le feu devient foyer évoque la lumière du feu à travers les doigts d’une main, tout en intégrant des références à des figures artistiques influentes. L’œuvre interroge la dualité entre destruction et protection.
Sais-tu jouer de cet instrument ? Ou es-tu juste capable de le voler ? explore l’invisible des champs magnétiques, inspirée par des images de limaille de fer réagissant au passage d’un aimant. Le grand format permet une immersion physique dans l’exploration de l’invisible.
Emika Lannelongue, Faille, 2021
La diplômée en 2022 Villa Arson Nice explore la relation entre souvenirs et preuves, en interrogeant leur rôle dans la construction de notre identité. Son travail invite à remettre en question nos propres souvenirs, en soulignant leur nature subjective et l’impact qu’ils ont sur notre perception du monde.

Emika Lannelongue, Faille, 2021 (100% L’Expo (Grande Halle de La Villette) photo OOlgan
Dans Faille, Emika Lannelongue présente un monde dépeuplé de l’être humain, mais où sa trace persiste. Cette série se distingue par un geste radical : la déchirure du négatif photographique. Elle nous pousse à prendre conscience de la nature éphémère du photographique, soulignant qu’il ne s’agit que de représentations du réel, et non de la réalité elle‑même. Les paysages présentés sont des lieux familiers, permettant au spectateur de projeter ses propres souvenirs et récits.
Nicolas Lebeau, Fight the urge to zZZzZzz, 2024
Le travail de cet artiste franco‑brésilien, diplômé en 2024 ENS Arts de Paris-Cergy autour des dynamiques de circulation d’informations et de la confrontation entre la virtualité et la matérialité. Son approche photographique s’inscrit dans une démarche de déviation des modes traditionnels de représentation, en remettant en question la manière dont les individus sont figés dans une logique de prédation visuelle.

Nicolas Lebeau, Fight the urge to zZZzZzz, 2024 (100% L’Expo Grande Halle de La Villette) photo OOlgan
Fight the urge to zZZzZzz est une immersion dans les espaces urbains nocturnes et les limbes de l’internet, où une génération semble se dissoudre dans un monde déréalisé. L’installation, composée d’images, de lumières et de fragments visuels, retranscrit l’expérience existentielle d’un cri face à l’absurdité de notre époque. Dans un entre‑deux, entre la virtualité qui permet l’oubli et la rue où se joue la brutalité du réel, l’œuvre reflète cette quête d’identité et de sens dans une société où les repères semblent se dissoudre.
Lou Le Forban, La grande Séouve, 2025 et Tohu va bohu, 2022, court‑métrage
La diplômée en 2020 Beaux-Arts de Paris travaille avec différents médiums, mêlant vidéo, dessin, peinture et textile. Ses œuvres sont des compositions fantastiques nées de récits réels et fictionnels, où les créatures hybrides et les transformations collectives occupent une place centrale. Ses dessins intègrent des éléments du merveilleux médiéval, des contes régionaux et des pratiques rituelles.

Lou Le Forban, La grande Séouve, 2025 et Tohu va bohu, 2022, court‑métrage (100% L’Expo, Grande Halle de La Villette) photo OOlgan
Ces récits, souvent porteurs de renversements, interrogent les relations au vivant et aux phénomènes de transe, tout en oscillant entre le comique et l’inquiétant. Tohu va bohu est un film d’animation hybride où coexistent différents imaginaires : peinture flamande, campagne provençale et transes collectives. Inspiré de l’épidémie de peste dansante de 1518 à Strasbourg et de la nouvelle de Jean Giono Le prélude de Pan, le film raconte un délire collectif inter‑espèce. L’épidémie plonge humains et animaux dans une transe incontrôlable, sans explication scientifique mais avec des résonances de traumatismes collectifs.
Maïlys Moanda, Welcome to replay the fiction (2023‑2024)
La diplômée en 2022 Beaux-Arts de Marseille explore les questions d’identité et de mémoire à travers une pratique mêlant peinture et sculpture. Son travail s’inspire du mouvement Bad Painting des années 1980, notamment des artistes comme Nina Childress. Ses scènes fragmentées oscillent entre angoisse et audace formelle.

Maïlys Moanda, Welcome to replay the fiction (2023‑2024) 100% L’Expo Grande Halle de La Villette) photo OOlgan
Richement colorées, avec des contrastes fluorescents et des associations audacieuses de rouge et de vert, les œuvres de Maïlys Moanda créent une atmosphère hypnotique et sensorielle. Ces images vibrantes, parfois inachevées, ont des qualités cinématographiques, comme des captures de scènes de films qui se dévoilent lentement, inspirées de sa propre vie.
Son travail interroge les limites du pictural tout en offrant une vision intime de la féminité et de la représentation contemporaine, avec un regard porté sur la tradition cinématographique et les expériences visuelles des années 1980.
Maxime Vignaud, Nicky – Mes amis hétéros, 2024

Maxime Vignaud, Nicky – Mes amis hétéros, 2024 (100% L’Expo, Grande Halle de La Villette) photo OOlgan
Le diplômé en 2024 ENS Arts Paris-Cergy travaille sur les subcultures punk, gay et cuir. Dans l’installation Nicky, un Minitel posé sur un bureau nous invite à converser avec un fantôme, celui de Nicky Crane, figure controversée morte du sida en 1993. Ancien acteur porno gay et skinhead néonazi, Crane incarne une dualité violente et troublante. L’artiste détourne un chatbot d’entreprise en remplaçant son script par une séance de spiritisme. Des phrases cryptiques émergent alors, mêlant sexe, crise du sida et l’idéologie raciste de ce fantôme, dans un dialogue entre mémoire, identité et violence historique.
Mes amis hétéros présente des portraits photographiques de personnes hétérosexuelles grimées en hommes gays, qui performent une identité qu’ils ne possèdent pas, se parant des codes du cuir et de la communauté gay.
En inversant le regard hétérosexuel sur les identités queer, Vignaud questionne la tokenisation des artistes et la manière dont les identités marginales sont représentées et exploitées.
Autant de jeunes talents à comprendre, soutenir et suivre.
Auteur de l'article

Informations pratiques sur 100% L’Expo
Jusqu’au 11 mai 2025, 100% l’EXPO à la Grande Hall de la Villette – Accès libre et gratuit
Mercredi au dimanche : 14 h – 19 h
Nocturnes jusqu’à 20 h, jeu 24 & ven 25 avril, mer 7 mai – jusqu’à 21 h, Sam 12 & 19 avril
Visites commentées gratuites sans réservation : Sam & dim 14 h 15 – 18 h 15, départ toutes les 30 minutes
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