À la mort, à la vie ! Vanités d’hier et d’aujourd’hui [Musée des Beaux-Arts de Lyon]
tous les jours sauf mardis et jours fériés de 10h à 18h. Vendredis de 10h30 à 18h
Catalogue, sous la direction Ludmila Virassamynaïken, Bernard Chauveau Édition, 236 p. 39€
Aux solutions crâneuses face à la pandémie ou tout faites contre la guerre, il est toujours salutaire que de convoquer le regard des artistes devant la finitude de la condition humaine. En embrassant large, l’exposition et son catalogue A la mort, à la vie ! Vanités d’hier et d’aujourd’hui du Musée des Beaux-Arts de Lyon jusqu’au 7 mai défie les limites de l’irreprésentable, questionne la fragilité de l’existence et interpelle notre résistance à l’effacement.
Vanité et vitalité
Quand il s’agit de pourfendre nos vanités face à notre arrogance technologique ou matérielle, la symbolique des os et du crâne – exposés en fragments dérisoires – renvoie notre condition d’être humain à celle d’enveloppe putrescible et à sa dégradation inéluctable. Cette dénonciation traverse le temps et les civilisations. Il ne faut s’étonner de cette ‘emprise de l’éphèmère’ souligne Pascale Cugy dans l’indispensable catalogue : « L’omniprésence des squelettes semble finalement l’envers logique d’une production occidentale obsédée par la représentation du corps humain dans sa splendeur et sa pleine vitalité. »
Le sens à donner à une vie
L’ ensemble anonyme de trois squelettes en provenance du Nigeria qui accueille – ‘cueille’ plutôt – le visiteur par leur expressivité ambiguë – annonce bien la couleur et la pertinente actualité d’un projet local – les œuvres sont issus des collections des musées lyonnais – qui assume et revendique de « s’emparer de certaines questions qui travaillent nos sociétés. » Sylvie Ramond directrice générale du Pôle des musées d’art de Lyon Alors enfonce le clou : si « ce contexte particulier a permis à chacun d’entre nous d’éprouver de manière encore plus vive la fragilité de l’existence, il nous est apparu nécessaire de présenter des artistes qui interrogent le sens à donner à une vie inexorablement vouée à la finitude. ».
La futilité de la vie
« Vanité des vanités, disait l’Ecclésiaste, tout est vanité ! Tout est difficile à expliquer ; l’homme ne peut rendre compte de rien ; l’œil ne se rassasie pas à force de voir ; l’oreille ne se remplit pas à force d’entendre. » « La mort n’est, chez les artistes, pas toujours synonyme de morbidité » insiste Ludmila Virassamynaïken, la commissaire. Le mérite – et la force – de son parcours est au-delà d’interroger nos certitudes et les valeurs esthétiques de nous inviter à prendre un recul nécessaire à travers le regard d’ artistes du XVIe au XXIe pour nous ramener et donner un sens à notre fragile existence sur terre.
Dix thématiques exemplaires
« À la mort, à la vie ! » montre à travers 10 thèmes, la variété infinie d’approches et de représentations de la question existentielle selon les époques et les médiums (gravure, peinture, sculpture, installation et vidéo) en s’attachant à mettre en regard les œuvres de patrimoine et contemporaines : de Rembrandt à Gilbert et George, de Nicolas Régnier à Bruce Nauman ….
Difficile de citer artistes connus ou moins connus mais les rapprochements sont particulièrement fructueux notamment pour décoder symboles et allusions ; dans la section ‘Entrez dans la danse’ : les gravures terrifiantes d’ Hendrik Hondius l’Ancien (1573 –1650) ou de Georg Pencz (vers 1500 –1550) côtoie les peintures exubérantes d’ Alfred Rethel, d’Armand Avril (né en 1926), ou d’Erro (né 1932) . Du coté des « Ages de la vie », les saisissants clichés des « Faces, vieillards et nourrissons » de Philippe Bazin (né en 1954) répondent aux corps de Cornelis Schaeck (1628 – 1662) ou Hendrick Gerritsz (1585 – Amsterdam) …
Un angle puissamment actuelle surgit avec le « Règne animal » qui raisonne comme une alerte où l’animal nous tend un miroir sur notre arrogance prométhéenne de maitrise de l’environnement. « Certaines œuvres proposent un parallèle entre le sort des animaux défunts et celui du Christ faisant l’expérience de la mort des hommes. » ici les écorchés de Rembrandt, Jean Siméon Chardin, Antoine Berjon (1754 – 1843) répondent aux carcasses d’ Etienne Martin (1913-1995), Francis Bacon (1909-1992), Bruce Naumann (né en 1941)…
Un passage par la fleur
Pour aller plus loin que les chocs visuels, le catalogue apporte un contrepoint stimulant sur la nature morte, la représentation de la mort, et des affres du temps, autant esthétiques qu’historiques.
Dans son essai ‘La Tulipe, le crâne et le sablier’, Ludmila Virassamynaïken rappelle aussi que la fleur occupe, de fait, une place de choix dans l’histoire de la vanité. « Au fil des siècles, les artistes persistent à vouloir faire la démonstration de leur suprématie sur le passage du temps et sur la mort qui menace le vivant en rendant compte de la splendeur des fleurs » La citation qu’elle reprend de D.H. Lawrence justifie le rapprochement des œuvres présentées, de Philips Gijsels ( ? – 1665) à Georgie O’Keefe : « [Les hommes] sont des dieux fragiles comme des fleurs ; avec la beauté des choses arrachées au terrible empire du cosmos. Les hommes sont aussi fragiles que des fleurs. L’homme est une fleur, la pluie peut le tuer ou lui porter secours, la chaleur peut le détruire ou, au contraire, le faire naître à la vie, le sortir de l’œuf originel ».
Nouveautés perpétuelles de la vanité
Dans son passionnant article, notamment sur la portée historique de cette ‘invasion de squelettes’ dans l’art, Pascale Cugy donne de nombreuses clés sur la perpétuation de la vanité : « Le spectacle toujours rejoué de la vanité témoigne à la fois de l’attachement au monde, à ses séductions et à ses beautés, et de la volonté sans cesse renaissante de chercher des pistes permettant d’échapper au constat du néant de l’existence. »
Il montre comment chaque nouveau médium permet « de saisir au plus près la fragilité et la fugacité de la vie, dans l’espoir – toujours contredit – de rendre enfin pérennes les œuvres dont il permet la réalisation », de la photographie au tatouage, de la sculpture à la vidéo. Et de revendiquer « Les artistes sont ainsi la capacité de produire, de façon plus explicite encore que les moralistes, les poètes et les écrivains, des objets de vanité dont le sujet est la vanité – une « manière de méta-vanité », pour reprendre la formule de Louis Marin7 – dont la forme comme le fond interrogent la place de l’individu face au caractère éphémère de son existence.»
Ce défi de l’artiste explique la persistance des Vanités au Musée, qu’illustre encore le musée des Beaux-Arts, une façon aussi de dire que cette remarquable exposition ne peut être la dernière.
#Olivier Olgan