Admirer, Eloge d’un sentiment qui nous fait grandir, de Joëlle Zask (Premier Parallèle)

Alors que la France s’enthousiasme des exploits de ses champions olympiques, ce petit livre « Admirer, Eloge d’un sentiment qui nous fait grandir » (Premier Parallèle) non seulement conforte votre plaisir d’admirer, mais le valorise! En le différenciant de l’adulation et de la fascination (qui dépersonnalisent), Joëlle Zask pose les bases d’une « culture de l’admiration » à la fois positive et radicale « d’oubli de soi et d’ouverture sur un monde étonnamment singulier ». Cette énergie qui transcende notre condition, « manière à la fois conviviale et écologique de se relier au monde » donne à Olivier Olgan une magnifique raison d’espérer – une fois la flamme olympique éteinte – de rester éveiller.

« Admirer est en soi une activité qui a la propriété de ses combiner à des nombreuses autres (…) C’est aussi une attitude qui consiste à ne jamais se lasser de son propre étonnement ».
Joelle Zask

Et toi qu’admires-tu ?

« J’aurais été plus heureux si j’avais plus admiré. » Les témoignages d’«illustres ou inconnues» dont des scientifiques, artistes, philosophes, recueillis par Joelle Zask montrent à quel point l’admiration est d’abord structurante pour mieux vivre, individuellement, mais aussi collectivement.  La philosophe spécialiste des rapports entre écologie et démocratie, à qui l’on doit notamment Quand la forêt brûle (Premier Parallèle, 2019) – loin de ne s’appuyer uniquement sur son ressenti, ou ses lectures – est partie à la rencontre de personnes pour identifier et valoriser cette « expérience éthique« , trop étouffée entre l’indifférence rance, l’adhésion fanatique ou l’idolâtrie aveugle.
L’admiration, nous convainc-t-elle, c’est d’abord le réel frappe à la porte. et sa définition est d’emblée stimulante :

« cette manière de nous décentrer pour nous tourner vers un évènement extraordinaire qui nous étonne (ad mirare), qui nous propulse en dehors de nous mêmes sans nous affaiblir, qui nous rend modestes sans nous rapetisser et nous fat grandir sans nous narcissiser »

pour nous proposer « une autre voie, celle d’une relation plus juste, plus équitable, plus libre avec notre environnement, plus joyeuse aussi. »

L’admiration nous guérit de notre indifférence au réel

Pour Descartes, elle est une «subite surprise de l’âme». L’admiration brise de la culture du ressentiment, de la victimisation, de la déréalisation du monde, et du culte de l’idole, ou le héros salvateur. Elle est identifiable quand l’expérience nous fait grandir, sans ni nous narcissiser ni nous dévaloriser, quand elle stimule notre curiosité et notre envie d’en savoir plus. C’est une expérience immédiate du retour au réel, à l’autre, loin de cette tendance à considérer la réalité « comme une option, comme quelque chose que l’on peut mettre facilement entre parenthèses. Comme les faits alternatifs, mais aussi le solutionnisme technique qui nous promet de nous débarrasser de la réalité, notamment de notre mortalité, de notre condition terrestre. »  Pour admirer, il faut d’abord être saisie!
Et chacun a vécu cette expérience verticale, à travers un professeur, un artisan, un artiste ou un sportif, permettant le déploiement d’un savoir, d’un art, d’une technique maîtrisée ou d’un émerveillement.

Une rencontre effective avec la réalité hors de nous

Au fil des exemples puisés dans tous les domaines, de l’art au paysage, de l’enseignement au sport, ce qui intéresse  la philosophe, c’est moins de décrire des bienfaits de l’admiration que les «  interactions avec les objets sur lesquels elle porte., des manières de les considérer quand nous sommes sous son influence, des mécanismes de réciprocité qu’elles instaurent. »
A tous ceux qui étiquettent l’admiration comme anecdotique, une forme de faiblesse ou une perte de soi,  Joëlle Zask rappelle au contraire avec précision à quel point cette influence sous-tend les relations sociales les plus nécessaires aux modes démocratiques, et la participation des individus à la vie commune et le « bien vivre ».

La neutralisation du moi d’abord

A la différence de l’idolâtrie (du héros) ou de l’adulation (du génie), ces formes miroirs de l’ego, complètement dévoyées pour ceux ne savent pas garder une juste distance vis-à-vis de l’objet admiré,  aucune relation hiérarchique n’est engagée. Admirer attise le besoin de persévérer dans une exigence propre, à dépasser le modèle ; cette exigence à faire de même, voir au-delà, sans nier ni la réalité, ni sa propre identité se retrouve dans le parcours de nombreux scientifiques, artistes et sportifs. L’admiration renforce aussi une autre valeur trop souvent déclassée au nom de l’individualisme : la reconnaissance.

A la différence de l’amour, l’admiration suppose d’établir la bonne distance.

On ne voit pas ce qui est décollé à nous. Pour admirer la solution d’une équation, un geste maitrisé, un tableau ou un paysage, le recul est nécessaire; il appelle à trouver sa place. Admirer, c’est observer et absorber avec joie, avec émerveillement. Si l’admiration ne figure dans le catalogue des grandes vertus grecques ou chrétiennes, Zask appelle à une « culture de l’admiration » pour préserver ce que notre époque a de meilleur, ce «merveilleux vrai», mélange de science et d’esthétique au fondement des sciences expérimentales de la nature.

Pour la pratique des exercices d’admiration

Agir sur l’objet qui saisit – comme le tente l’équipe de rédaction de Singular’s – permet l’apprentissage et la révélation d’un espace infini d’exploration, de voyage, de partages surtout. L’étonnement, le doute, la surprise, l’émerveillement sont diverses manières de se lancer dans ce mouvement qui va du connu à l’inconnu. « Ce qui est au bout de ce chemin, ce n’est pas la certitude mais l’esprit scientifique, qu’il soit spécialisé ou amateur » brosse la philosophe pour inviter les enfants à les pratiquer à l’école afin de déclencher des vocations « Nous engendrerions alors des admirateurs en herbe, plutôt que des insatisfaits ou des consommateurs potentiellement «fans» de ce qu’ils consomment. »

Loin de nous pousser à ressembler, voire à fusionner avec ce que nous admirons, comme le veut cet affect tout autre qu’est la fascination, il nous pousse dans la voie qui est la nôtre.
Admirer est avant tout une interaction vivante, une manière à la fois conviviale et écologique de se relier au monde.

Admirer, c’est considérer

L’admirable n’oblige à rien; c’est une «mise à disposition», une offre à être un éternel apprenant.  C’est de fait refuser l’inattention, dépasser l’indifférence, voire le déni de réalité. Cette expérience – de s’oublier, de se dépendre de soi – s’exerce en boucle – peut être son seul défaut si on ne s’en tient qu’à un seul objet – d’abord par la surprise, puis l’attention, puis la considération et l’étude inaltérée de l’objet …
Bonne nouvelle : aucune quête ne l’épuise de sitôt.

Et si on continuait au-delà des JO, à exercer l’admiration?

« S’aventurer en dehors de nos frontières que nous imposent notre histoire, notre sensibilité et notre personnalité. Le point commun n’agit pas de manière à réduire l’autre à soi, mais élève le soi vers l’autre. »

Pour forger une culture du respect réciproque, la dynamique d’une  «société décente » selon la philosophe qui sait créer l’enthousiasme sur sa conviction rien de tel que de pratiquer l’exercice d’admiration, que nos politiques seraient bien inspirés de pratiquer loin de leurs petits calculs personnels.

Olivier Olgan