Cinéma : Comédie (s) américaine (s), par Marc Cerisuelo [éd. Capricci]

D’Ernst Lubitsch à Blake Edwards, Editions Capricci, 264 p. 25€

Dans un livre pétillant comme du champagne, Marc Cerisuelo déjà auteur de Preston Sturges ou le génie de l’Amérique (PUF, 2002) fait l’inventaire des visages de la comédie américaine pendant un demi siècle… et nous donne envie de revoir tous les films qu’il croque avec gourmandise.

Parfois, on ne sait plus ce dont on se souvient avec le cinéma.

Nous avons vu des films il y a des années, nous gardons des images, des « punch lines », des scènes… A notre insu souvent, nous les réécrivons dans nos souvenirs, nous ajoutons des répliques, ou des silences. La mémoire du cinéma se confond avec celle de notre propre vie. Pour ma part, un film est souvent associé à une salle : je me souviens de l’Action Lafayette, du Champollion, du Mac Mahon, dirigé dans les années 70 par une vieille dame élégante et pugnace. C’est là que j’ai découvert la plupart des comédies dont parle Marc Cerisuelo dans son beau livre.

Avec une érudition qui n’est jamais pesante, l’auteur de Lettre à Wes Anderson (2016) refait vivre pour nous ces étincelantes comédies. Il en distingue différentes définitions : comédie romantique, sophistiquée, screwball, de remariage. Sans oublier le slapstick, ces films burlesques faits de courses et de chutes, dont les gags « physiques » irriguent les comédies jusqu’à Blake Edwards.

Cerisuelo excelle dans la description d’une scène, d’un détail.

C’est par exemple la façon dont Lubitsch isole le cendrier en forme de gondole dans Trouble in Paradise, qui va provoquer le déclic dans l’esprit embrumé du mari. Ou l’évocation du final de New York Miami de Capra, avec la couverture qui sépare les deux lits dans la chambre nuptiale, et les trompettes de Jéricho qui la font tomber…

Grand spécialiste de Preston Sturges, Cerisuelo nous rappelle à quel point son apport fut décisif. Dans Les voyages de Sullivan, un cinéaste à succès décide de montrer la réalité brute, débarrassée des clichés et des stéréotypes. Il part sur les routes, après que le département des costumes lui ait conçu sa tenue de clochard. Les dirigeants du studio ne veulent pas courir le risque de lâcher leur auteur à succès sans protection dans le « vrai » monde. C’est ainsi que Joel Mc Crae est suivi par un camion comportant tout son staff, prêt à le secourir à la moindre incartade. Une métaphore qui désigne le cinéma hollywoodien tout entier, et ses difficultés à montrer le monde tel qu’il est…

A l’inverse de cet effort de la comédie de saisir le réel, le professeur à l’université Paris-Est Marne-la-Vallée identifie une catégorie de films qui n’hésitent pas à recourir à la transcendance. Ce sont les œuvres « psychopompes », qui inventent des représentants de l’au-delà, par exemple l’ange Clarence de La vie est belle de Franck Capra, qui sauve la vie de James Stewart et lui fait voir le monde tel qu’il l’aurait été sans son existence.
Ou encore le Heaven can wait de Lubitsch, où un greffier du Purgatoire doit décider du passage de chaque individu, au Paradis, ou en enfer.

L’éternelle situation pour une comédie, c’est de mettre en scène la crise du couple. Le grand apport du livre de Cerisuelo est de montrer que les obstacles qui président aux difficultés du couple ne sont pas extérieurs mais intérieurs. Il ne s’agit pas de triompher d’un rival, mais bien au contraire explorer sa capacité d’aimer et de désirer.
Pourquoi on aime qui on aime ? Pourquoi veut-on la reconquérir ? Pourquoi ne se résoud-on pas à « interrompre la conversation » ?

C’est cela que racontent les histoires de remariage. Dans toute histoire d’amour, il y a le premier élan, il y a la crise, et il y a la reconquête. Le film raconte le chemin intérieur pour parvenir à identifier son désir. Est-ce elle la femme que j’aime ? Est-ce lui l’homme avec lequel j’ai envie de passer le reste de mon existence ?
Ce sont bien les questions que se posent Cary Grant dans Cette sacrée vérité de Leo McCarey, ou Henry Fonda dans Lady Eve, de Preston Sturges.

Tout le talent des scénaristes et le génie des metteurs en scène, c’est de donner un mouvement cinématographique à ce qui ne pourrait être qu’une simple déduction psychologique. Tournant le dos définitivement à la pesanteur et au pessimisme, Cerisuelo s’appuie sur le philosophe Clément Rosset pour affirmer :« La joie est plus profonde que la peine. » Il n’y a pas de plus belle conclusion, ou si l’on préfère, de plus bel « happy end ».

#Philippe Le Guay