Cinéma : Ema, de Pablo Larraìn (2020)

Avec Mariana Di Girolamo, Gael Garcia Bernal, Paola Giannini, Santiago Cabrera
En salles depuis le 2 septembre 2020.

L’évocation charnelle d’une puissance féminine sans entrave

Pablo Larraìn est un réalisateur chilien de 44 ans, avec huit longs-métrages à son actif depuis 2006 dont deux biopics remarquables,

« Jackie » en 2017 autour du destin de Jackie Kennedy

et « Neruda » en 2016 consacré à la vie du grand poète chilien (1904-1973).

Avec « Ema », il brosse le portrait intime et parfois déroutant d’une jeune femme d’une provocation voluptueuse incandescente. Et de la ville de Valparaiso, il tire des images dont la teneur exhale cette identité si particulière qui se retrouvent chez ses compatriotes Raoul Ruiz ou Alejandro Jodorowsky.

Ema interprétée par Mariana Di Girolamo) traverse de part en part un film incandescent. © DR

Le feu qui anime Ema, fil rouge du récit de Pablo Larrain

A la suite à l’échec de l’adoption de son fils Polo qu’elle a « rendu » aux services sociaux, Ema est profondément meurtrie de culpabilité. Le petit garçon pyromane se sentant abandonné brûle gravement le visage de sa tante, la sœur de sa mère adoptive. Le mariage d’Ema avec son chorégraphe (Gael García Bernal parfait dans un rôle d’homme et d’artiste dépassé) bat de l’aile. Armée d’un lance-flammes, la danseuse passionnée et voluptueuse  hante la ville de Valparaiso entourée de sa « bande » de copines danseuses de rue. Avec qu’une seule idée chevillée au corps, manœuvrer de tout son charme envoûtant pour « récupérer » l’affection de son fils.

Une narration intimiste déroutante

Porté par Mariana di Girólamo, incontestablement révélation du film d’une intensité rare, “Ema” est un film narrativement déroutant, le développement de son argument étant comme éparpillé. Il faut attendre les trois quarts de sa durée (1h48) avant la mise au point sur l’intrigue. La narration est éclatée, ponctuée en introduction de chorégraphies à l’élégance toute contemporaine signées du mari d’Ema. Pour faire ensuite advenir celles des rues, sauvages, au son du reggaeton, (mélange de hip hop et de dancehall jamaïcain).
Des mouvements lascifs, parfois rudes qui exsudent la joie orgasmique de la liberté célébrée par Ema et ses copines.
À noter la musique seyante de Nicolas Jaar qui accompagne la quête de l’héroïne.

Des séquences à l’urbanité  charnelle

L’ensemble, une fois passé nos interrogations sur les tenants et les aboutissants de l’intrigue, nous offre le portrait d’une jeune femme d’une incandescente provocation au sens propre et figuré : Ema brûle un feu rouge suspendu, Ema brûle une voiture ou encore balance le jet fulgurant de son lance-flammes dans les cieux nocturnes de sa ville, exutoire de son feu intérieur.

Parsemé de prises de vue aux couleurs percutantes, nous assistons à l’élaboration d’une note d’intention certainement mue par la volonté de créer une rupture de ton. Exposer un changement de paradigme au sein de la conception des relations entre les femmes et la société établie. Qu’elles soient administratives, sociales ou sexuelles. Pablo Larraìn nous entraîne dans une débauche de séquences à l’urbanité charnelle. La ville suinte en effet de cette fièvre sud-américaine où se mêlent la fureur de la liberté, le désir et la fierté d’être, nimbée d’une violence sous-jacente.

La chaleur des corps dicte leur loi.

Ema se livre toute entière à son obsession. Brûlante d’un feu qui se veut celui de son amour pour son enfant adoptif mêlé à son profond désir de maternité. De la même façon que la liberté ne se donne pas, “Ema” est un film à prendre à bras le corps.

#Calisto Dobson