Théâtre : Pédagogies de l'échec, de Pierre Notte (Les Déchargeurs)

jusqu’au 27 novembre 21, Les déchargeurs 3, rue des Déchargeurs, 75001 Paris
mercredi, Jeudi, Vendredi, Samedi, 19h,
Texte et mise en scène de Pierre Notte, avec Caroline Marchetti et Franck Duarte
 Réservation

Que feriez-vous bloqué dans un open-space avec votre responsable hiérarchique alors tout sens s’est effondré. Garderiez-vous la conscience du travail à finir et le sens de la hiérarchie ou tenteriez-vous le lâcher-prise ? C’est le ressort à la fois cocasse, loufoque et dérisoire que nous fait vivre avec virtuosité et gourmandise décapantes, Caroline Marchetti femme cadre de caractère qui impose ses prérogatives à un subordonné Franck Duarte plutôt récalcitrant. La comédie de Pierre Notte est grinçante, surréaliste et … hilarante.

#Postconfinement et #retouraubureau

Caroline Marchetti s’accroche à son travail quoiqu’il en coûte dans Pédagogies de l’échec, de Pierre Notte Photo Antoine-Baptiste Waverunner

« Il faut que je signe les documents sinon cela n’avance jamais ». Le leitmotiv répété de la femme cadre qui garde quoiqu’il en coûte d’autoritarisme la conviction que seul travail lui évitera la chute. La vanité du rôle quand tout s’effondre donne choir,  ton et  dynamique à la pièce de Pierre Notte. Elle a beau être écrite en 2014, son ressort sur la place du travail et du cadre face à l’effondrement des repères sonne et reste d’une très pertinente actualité ! Après les confinements qui ont vidés les open-spaces, la difficulté de faire revenir les salariés au bureau si elle résonne différemment, le brulot déjanté de Notte éclaire les enjeux du travail d’une nouvelle lumière. Et elle est plutôt crue.

« Tout notre rapport au monde, aux autres, au travail, et peut-être aussi à la hiérarchie ou à la hiérarchisation de nos priorités a été chamboulé » rappelle Pierre Notte qui signe aussi une mise en scène où le rapport des corps comme souvent dans les rapports de pouvoir a autant si ce n’est plus d’importance que les ordres. Loin d’être des robots sans cœur, le cynisme transparent des protagonistes apporte de la légèreté, du ridicule, de l’ironie et du rire.

Le regard féroce d’un monde en absurdie 

Caroline Marchetti tente d’imposer sa hiérarchie de valeurs à Franck Duarte Photo Antoine-Baptiste Waverunner

La situation critique dans tous les sens du terme permet aux deux acteurs de s’en donner à cœur et corps joie, avec une maitrise réjouissante et une gourmandise communicative ; tant dans le duel verbal où les saillies hilarantes fusent en permanence que physique, l’effondrement de l’espace les obligent constamment pour éviter le vide, de se frôler, de se toiser ou de s’esquiver.

Car malgré ce monde en « absurdie », Caroline Marchetti ne veut renoncer à rien et surtout pas son pouvoir sur son subalterne, impeccablement incarné Franck Duarte.
Et d’emblée dans cet espace nu, la cadre explosive et tenace, fière de sa réussite joue du rapport de force, et du pouvoir de « cadre encadrant » que sa place lui confère ; faire avancer ses dossiers et le travail d’un subalterne qui tente d’y échapper compte tenu de l’effondrement général. Caroline Marchetti fait feu de toutes les pages du management pour arriver à ses fins plutôt en fait nier l’évidence : de la mauvaises fois aux jeux d’humiliations, de la mise à l’épreuve à la

Entre inconscience niée et servilité fuyante

Franck Duarte et Caroline Marchetti au fil du razoir face à la perte de repères Photo Antoine-Baptiste Waverunner

Comique grinçant de la situation autant que miroir d’un monde professionnel, le huis clos est propice à tous les dérapages – et rassurez vous – ils surgissent tous ! Dans ce corps à corps qui s’échauffe, s’échafaude, ou se bouscule, les rebondissements sont aussi surprenants qu’hilarants… Ils présentent un puissant effet de loupe quasi entomologiste qu’un effet de miroir, qui n’a pas été confronté à des ordres défiants la réalité.

Une humus professionnel et humain fertile

Franck Duarte tente de s’extraire des ordres de Caroline Marchetti Photo Antoine-Baptiste Waverunner

« Pédagogies de l’échec n’est pas une pièce absurde, elle est très concrète. assume Pierre Noote dans le numéro d’Avant-Scène, 2015 dédié à sa pièce. C’est le scénario d’une aventure humaine composé de manière presque vériste, qui propose un théâtre très réaliste dans des situations irréelles. C’est une pièce simple, terriblement cohérente, qui se joue dans un monde absurde. (…) Et s’il y a un propos dans cette pièce, il ne réside jamais dans la psychologie ni dans la sexualité des personnages, mais dans la mise en place des êtres qui vont éprouver un rapport hiérarchique et vouloir maintenir le pouvoir sur l’autre.»

C’est sur cet humus fertile autant professionnel qu’humain que Pierre Notte frotte les plaies du pouvoir et gommes les masques des convenances, et déclenche grâce à deux acteurs survoltés des rires efficaces mais grinçants. Et salutaires. A recommander à tous les DRH ou potentats domestiques en herbe qui tentent d’imposer leur bon sens, dans l’open-space ou à la maison.

#OlivierOlgan