Cinéma en salles : Ama Gloria, de Marie Amachoukeli (2023)
Entre les deux rouleaux compresseurs de l’été, Barbie et Oppenheimer, Ama Gloria, de Marie Amachoukeli aura du mal à faire sa place. Et c’est dommage ! Ce premier long métrage peint avec tendresse un subtil récit d’apprentissage : Cléo, une petite fille aime tendrement Gloria, sa nounou. Celle-ci, obligée de retourner au Cap Vert pour des raisons familiales, l’invite découvrir sa famille et son île. Patrice Gree a été ému par la simplicité poétique de ce film sur le chagrin, dont la force douce le ramène aux rives de l’enfance.
Le principe dramaturgique du film, c’est l’amour impossible, secret et tabou, donc le mélo. (…) Une nourrice noire ne pouvait pas tenir une place maternelle et éducative. Mon film s’inscrit dans ce désir de soulever le voile.
Marie Amachoukeli, interview du dossier de presse
Le chagrin d’une petite fille. C’est terrible un chagrin de petite fille. Les chagrins prennent leur source en enfance. Dans les chagrins il y a de l’amour, beaucoup d’amour. Les adultes ne voient que la surface sombre de l’amour, sa face noire : la colère ou la jalousie ! C’est l’amour, toujours et encore l’amour, qui nous fait plonger et nous élève dans un même mouvement qui nous déséquilibre jusqu’à la chute parfois.
Avec ce film, j’avais envie de raconter la place de quelqu’un qui s’occupe d’un enfant pour gagner de l’argent car c’est son travail, et comment parfois cela déborde.
Marie Amachoukeli
Le chagrin des enfants est la mère de tous les chagrins du monde. Les chagrins inconsolés peuvent creuser des tombes.
Les ventres des femmes savent réparer les chagrins d’enfants. Avec ou sans mots. Une main posée sur une tête appuyée contre un sein, d’une simple caresse balaie les tempêtes du cœur des tout petits. On sait tous ce miracle. Il faudra adulte savoir se passer de ce miracle.
C’est le point de vue d’une enfant et non celui du documentaire. Ce qui primait pour moi était de travailler le hors-champ. L’idée était de resserrer la vision de l’enfant sur ce qu’elle ressent et de recentrer tout le film à travers ce prisme.
Cléo a six ans, des lunettes rondes et un sourire lumineux. Elle a une maman mais on ne la voit pas. Elle a surtout une nounou qu’on voit tout le temps. La nounou adorée s’appelle Gloria. Elle est noire, Capverdienne, a émigré en France pour nourrir sa famille pauvre, son fils et sa fille ainée restées aux Îles avec leur grand-mère maternelle. La maman de Gloria meure, sa fille accouche. Gloria est prise dans ce cycle de la vie. La nounou doit repartir au Cap Vert… Alors le papa promet à Cléo des vacances au Cap Vert pour retrouver Gloria ! C’est l’histoire de ses retrouvailles douces et tumultueuses, d’elles dans ces îles qui anticiperont une ultime séparation que nous conte ce beau film ultra-sensible.
Le film est le parcours de deux émancipations : celle d’une femme qui revient dans son pays pour ne plus être l’employée de qui que ce soit et devenir indépendante, et celle d’une enfant qui apprend à grandir et s’aventurer dans la vie. Ce sont deux parcours vers l’indépendance, mais une indépendance qui a un prix, celui de l’amour qui les unit.
Au plus près
Marie Amachoukeli filme au plus près les visages de Cléo et de Gloria – jouée avec subtilité par Ilça Moreno Zego -, prit dans les tourments de la vie. Ce film qui pourrait être déstabilisant, presque ennuyeux par la minceur apparente de l’histoire t’emporte par la simplicité poétique de ses images, ponctuées de peintures mouvantes, qui te ramènent aux rives de l’enfance. Le film, par-delà sa force douce, doit beaucoup au jeu de l’extraordinaire petite Louise Mauroy-Panzani, dans le rôle de Cléo.