Culture

Mon ami Charlot, by Buster Keaton

Auteur : Pierre D’ornano
Article publié le 16 mars 2018 à 13 h 58 min – Mis à jour le 20 novembre 2019 à 9 h 43 min

« Ce petit livre est un grand livre ! », déclare Michel Archimbaud, son éditeur. Publié uniquement en bibliophilie, hors commerce, à 100 exemplaires (sur beau papier), il allie sens, esthétisme (le peintre Donadini l’a illustré) et rareté. Singular’s vous en offre, de façon inédite, l’intégralité : le fac-similé de l’ouvrage avec en préambule une interview de Michel Archimbaud suivi d’un billet du réalisateur Philippe Le Guay.

Mon Ami Charlot  a été édité en 2013*. Il s’agit d’un article paru dans le journal Art, communiqué à l’éditeur par Pierre Etaix. Charlot y est illuminé des feux du regard de son ami Buster Keaton qui lui rend hommage tout en révélant les contours de ce qu’il fut, génie méthodique du cinéma burlesque muet, humaniste exilé en 1952 en Suisse, à Corsier-sur-Vevey, dans une époque troublée par le maccarthysme.

*Achevé d’imprimer sur les presses de Pascal Duriez à l’imprimerie d’art des Montquartiers, Issy-les-Moulineaux.

Buster-Keaton

Entretien avec Michel Archimbaud*…

Singular’s : quelle a été la genèse de Mon ami Charlot ?

Michel Archimbaud : Ce livre servait de programme à un ballet, dont j’ai été le dramaturge, qui fut créé au Théâtre National de Chaillot, avec la participation de Pierre Etaix. La chorégraphe Maryse Delente en fit un très beau spectacle, qui, comme Tintin et Milou, attira un public de 7 à 77 ans.

Singular’s : Mon ami Charlot est en quelque sorte une reconnaissance de Keaton vis-à-vis de Charlot. Keaton commence son article par « je connais Charlie depuis 1912 », comme s’il voulait dire également je « reconnais Charlot ». Avec Buster Keaton on est dans le gag trajectoire, avec Charlot dans la comédie satirique sociale, deux expressions du burlesque qui semblaient les opposer. Y avait-il une rivalité entre ces deux monstres sacrés de l’âge d’or du cinéma muet hollywoodien dont Keaton, par ce texte, a voulu se départir ?

Michel Archimbaud : En cela Keaton n’avait pas tellement besoin de réhabiliter Charlot. C’est plutôt le contraire. Souvenons-nous que Keaton a très longtemps été presque ignoré, voire méprisé. Il n’y a que depuis une cinquantaine d’années que Keaton a pris sa réelle dimension auprès des intellectuels et du plus grand nombre.

Singular’s : Est-ce à cause de son unique registre mélancolique ou de la fin d’une histoire hollywoodienne, celle du cinéma muet ?

Michel Archimbaud : Je reprendrais la fin d’une histoire. Certes Keaton a toujours été un clown triste, c’est quelqu’un de décalé, de tragique. C’est d’ailleurs pour cela que les surréalistes l’ont adoré. Si Charlot au démarrage est un clown triste, Keaton l’aura toujours été, avec un visage impassible. S’il a fait des gags, c’était fondamentalement quelqu’un qui n’avait rien de drôle, ni dans sa vie, ni ailleurs. On est avec Keaton dans une dimension poétique, chorégraphique et quelque part « surréalisante ». Le génie de Charlot est universel, et pour le plus grand nombre. Confronter les deux est donc plus complexe qu’en apparence.

Singular’s : Ce texte revient sur un certain nombre de malentendus autour de Charlot qui est décrit comme primesautier, dur, avec une certaine âpreté de caractère, cela dans un contexte politique délétère.

Michel Archimbaud : Keaton connaissait la violence de Charlot. Si, tout d’un coup, il éprouve le besoin de dire le contraire de ce que la vox populi sait de lui, de son « arrivisme » dans le bon sens, c’est sans aucune malignité, car lorsqu’on a du génie il faut être arriviste pour le faire reconnaître. Keaton se plait ainsi dans ce livre à rendre hommage à Charlot sans arrière-pensée. Ce n’est pas un homme intéressé. On le voit bien pour lui-même. C’est un homme brisé.

Singular’s : Une des toiles de fond de ce texte, lieu commun où le comique se marie au tragique, est le cirque et les clowns. Parmi eux il y a l’Auguste, clown inventé au 19e siècle, habillé d’un patchwork représentation probable de la société, portant sa part de ridicule, jeté en pâture au clown blanc (l’intellectuel) et dont les spectateurs se délectent, riant en fait d’eux-mêmes. Mais on n’est jamais perméable à la moquerie, pas même un clown. Keaton aborde-t-il à travers la défense de Charlot la difficulté d’assumer la profession de faiseur de rire ? Keaton a cette phrase : « On ne pardonne pas au génie d’être seulement un homme ».

Michel Archimbaud : En effet ! Charlot et Keaton avaient à la fois un amour et un rejet du cirque, ils étaient fous de cirque. Ce texte, paru dans le journal Art, est écrit pour l’arrivée de Buster Keaton qui fait un numéro au cirque Medrano, rue des Martyrs, au pied de la butte Montmartre à Paris. Il y a là du tragique car Keaton a commencé sa carrière dans la pauvreté, au cirque, comme acrobate et termine tristement sa vie dans une tournée qui passera à Medrano. Pour sa part Charlot réalisera, en 1928, un de ses chefs-d’œuvre avec la comédie dramatique « Le Cirque ». Ces deux personnages ne se rencontrent jamais artistiquement, mais ont des chemins de vie parallèles.

Le lazzi, la moquerie bouffonne, est toujours le moyen du faible de pourfendre la société. Je partage l’analyse que vous faites du clown, de la déclinaison que sont tant Keaton que Charlot. Dans son dernier film, La Comtesse de Hong Kong (avec Marlon Brando et Sophia Loren), Charlot s’écartera provisoirement de sa fonction de clown, qui fut toujours pour lui l’essence même de son génie, pour rejoindre différemment l’humanité. Il y a toujours le complexe du comique par rapport à son statut social. On vérifie très souvent que les comiques ne sont jamais très à l’aise avec leur situation d’amuseur.

Publier ce livre, et accompagner le ballet à Chaillot, avait, pour moi, une importance qui n’était pas tant dans l’hommage à ces deux artistes qui n’était plus à faire, que dans un certain besoin de parler de ce personnage tellement touchant que fut Keaton.

Propos recueillis par Pierre d’Ornano

*Michel Archimbaud est éditeur, enseignant, écrivain et dramaturge. Il a notamment publié dans la Collection Folio essais, Gallimard, sous forme d’entretiens, 2 livres : Pierre Boulez et Francis Bacon.

Michel Archimbaud

Michel Archimbaud Photo © Pierre d’Ornano

Le regard de Philippe Le Guay, réalisateur de « Alceste à bicyclette » et de « Normandie Nue »

Qui aimez vous le plus Chaplin ou Keaton ?
On peut dire que le monde des cinéphiles s’est longtemps divisé en deux camps, les inconditionnels de Chaplin et les amoureux de Keaton. Les uns dénigrent la sentimentalité de Chaplin et préfèrent les gags poétiques et géométriques de Keaton. Les autres louent l’universalité de Chaplin, son humanisme, cette façon unique de lier le comique et l’émotion.
Pendant les quarante ans qui ont opposé ces deux immenses cinéastes, Chaplin a réussi à ménager son autonomie financière et devenir son propre producteur. Ce qui lui a permis de passer le cap du parlant et de continuer à faire des films jusque dans les années 60. En revanche, Keaton s’est endetté et s’est ruiné. Engagé comme gagman à la MGM aux débuts du parlant, il a peu à peu perdu toute crédibilité auprès des studios et n’a plus jamais dirigé un film.
Il était notoire que Chaplin était un rien condescendant avec Keaton, et ce n’est pourtant pas le sentiment que donne ce texte, où Keaton s’incline devant le génie de son rival.
Quand Chaplin tourne Les feux de la rampe en 1952, il fait appel à Keaton pour une scène en duo : deux clowns brisés et oubliés qui jouent sur scène un dernier numéro de duettistes. A priori leur entente semble idéale. Mais comment savoir si Chaplin n’a pas utilisé Keaton dans un piètre rôle, une façon de l’humilier et de le confiner aux utilités ?
Ce qui est émouvant dans le texte de Keaton, c’est qu’il s’efface complètement devant son modèle. Il ne se compare pas et ne pose pas au metteur en scène collègue, lui aussi considéré comme un des plus grands comiques de son temps.
Non, Keaton dit son admiration avec humilité, sans jalousie, sans aigreur. Un exemple s’il en est de la force morale de ce grand metteur en scène, héros candide au visage impassible.

Buster Keaton

MON AMI CHARLOT

Illustré par J.P. Donadini

livre-mon-ami-charlot

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Exposition « Charlie Chaplin l’homme-orchestre »
Cité de la musique – Philharmonie de Paris
221, avenue Jean-Jaurès
75019 Paris

– Du 11 octobre 2019 au 26 janvier 2020 :

–> du mardi au jeudi : 12h00 – 18h00
le…

Exposition « Charlie Chaplin l’homme-orchestre »
Cité de la musique – Philharmonie de Paris
221, avenue Jean-Jaurès
75019 Paris

-Du 11 octobre 2019 au 26 janvier 2020 :

–> du mardi au jeudi : 12h00 – 18h00
le vendredi : 12h00 – 20h00
les samedi et dimanche : 10h00 – 20h00

Pendant les vacances scolaires de Noël :

–> du mardi au dimanche : 10h00 – 20h00
Fermeture anticipée à 17h les mardis 24 et 31 décembre
Fermeture les 25 décembre et 1er janvier
Les visites guidées ont lieu à 11h, les samedis, dimanches et tous les jours pendant les vacances scolaires.

Buster Keaton
La Mécanique du rire, autobiographie d’un génie ­comique
Éditions Capricci, 324 pages, 2014, 22 €, traduction Michel Lebrun.

Si leur style et leur personnalité semblaient opposer Charlie Chaplin (1889-1977) et Buster Keaton (1895-1966), la concurrence de deux acteurs-réalisateurs de l’âge d’or du burlesque muet hollywoodien relève davantage d’une querelle de cinéphiles que d’une réelle rivalité artistique tant les deux géants savaient reconnaître le génie de l’autre. Ils surent ainsi collaborer ensemble dans l’émouvant Limelight dernier film réalisé aux États-Unis en 1952 par Chaplin au moment même où leurs destins et carrières bifurquaient tragiquement. Les deux gentlemen du rire partageaient une même vision du monde, et une même définition du burlesque: «La surprise en est l’élément principal, l’insolite notre but, et l’originalité notre idéal

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