[And so rock] Obsolete, de Dashiell Hedayat (alias Jack-Alain Léger)
[And so rock ?] Le cinquantenaire d’une œuvre culte du rock français qui n’en compte pas tant que ça, signé par un auteur-compositeur au destin erratique qui compte autant de vies et de facettes que de pseudonymes. Jusqu’à la chute. Obsolete, le seul album de Dashiell Hedayat, pseudonyme de Daniel Théron est sorti en 1971, année que d’aucun considère la meilleure année de tous les temps. Coïncidence ?
Petit rembobinage, Daniel Théron (1947-2013), fils d’un critique littéraire, hostile à la prose de ce dernier et d’une mère aux tendances suicidaires, publie dans les années 60 des chroniques de disques pour Rock & Folk.
C’est sous l’un de ses pseudonymes Melmoth qu’il fait paraître son premier album La Devanture des Ivresses qui obtient le grand prix de l’Académie Charles-Cros en 1969.
Quelques expériences psychédéliques plus tard, celui-ci qui s’assume comme avant gardiste réussit à convaincre le groupe de rock progressif Gong de s’associer à lui pour un nouveau projet.
Obsolete, titre autant visionnaire que prémonitoire
Lancé à la poursuite d’une veine poético expérimentale, l’auteur compositeur prend un autre pseudo, Dashiell (pour Dashiell Hammett, auteur pionnier du roman noir), Hedayat (pour Sadegh Hedayat, grand écrivain de l’Iran moderne). Le style parlé chanté que ne reniera pas ni Gainsbourg ni Brigitte Fontaine déroule une suite d’incantations dédiées à la liberté de naviguer à vue, sans autre but précis que de traverser l’existence sans trop s’ennuyer…
Une étoile filante avec une traine immense
Mis en boîte en août 1971 aux mythiques studios de Michel Magne au Château d’Hérouville l’album expose 4 titres ramassés en moins de 40mn ; entre récitatif, slam avant l’heure et chant approximatif, le ton est donné…
D’entrée Chrysler associe un cœur de guitare wah wah, un roulement de batterie, une basse brondissante s’élancent et débusquent une Chrysler Rose abandonnée au fond d’une cour. Tout autant défoncée que ses protagonistes, la caisse fait office de nid d’amour. Le son du groupe psychédélisé à souhait rend toute sa puissance au moteur psalmodiée de la Chrysler. Elle ronfle et déroule une route imaginaire. Crisse l’air semble “lacaniser” l’auteur.
La suite rend hommage à une Fille de l’Ombre, que l’on pourrait imaginer déesse d’ébène dédiée aux affres d’un désir dévot. La musique suit le courant évoqué plus haut, dans les limbes de visions colorées et diffractées.
Arrive, Long Song For Zelda, évocation lancinante d’une dérive que l’on devine acidifiée. Propulsée par la maîtrise habitée des membres de Gong, la musique déploie ses modulations ondoyantes. Quelques petites réminiscences sonores avec de Melody Nelson de Gainsbourg du même millésime et la voix de William S. Burroughs. Dashiell Hedayat acoquiné dans un petit monde qui ne consomme pas que des smarties nous fait entendre qu’il y a bien une veine rock française au-delà du tout-venant prisé de cette décennie balbutiante. Gong dans une de ses moutures les plus solides (Daevid Allen en artificier, Didier Malherbe au soufflant, Christian Tritsch dans les cordes, basses et guitare acoustique, Pip Pyle à la frappe sans oublier Gilli Smyth aux voix et dans les choeurs) apporte à notre maître d’oeuvre la touche qui rend cet album emblématique.
Concomitamment produit dans la foulée d’un de leur sommet, le Camembert Électrique, Obsolete se termine en stridences dépourvues de certitudes musicologiques. Vagissements électriques, basse intrėpidante sur un roulis jazz parcouru par un saxophone incisif auréolé d’une guitare dévertébrée pour une dernière incantation languide.
Cielo Drive / 17, quatrième et dernière fusée lancée dans une allusion à ciel ouvert à la funeste dernière adresse de Sharon Tate.
Son apparition dans l’émission Discorama de Denise Glaser, nous fait découvrir une personnalité singulière en offrant quelques clés de la genèse et la gestation d’Obsolete ainsi qu’un moment d’intimité au cœur d’une époque révolue.
Dashiell Hedayat ne reparaîtra plus dans la musique, mais sur la couverture de quelques romans, raillé puis obscurément réhabilité après la chute sous le coup d’une répudiation d’un milieu ingrat pour comportement inopportunément transgressif.
Un caméléon à l’œuvre littéraire tout aussi inclassable
Daniel Théron emprunte d’autres noms de plume à la poursuite d’autres coups de maîtres en écriture « de l’obscur essai sur l’écriture au gros roman d’aventures, du tirage confidentiel au succès mondial » précise-t-il dans un Autoportrait au loup.
Avec sa trentaine de titres au compteur, Jack-Alain Léger devient une gloire littéraire (notamment avec “Monsignore I & II”, best seller d’envergure mondial, adapté à l’écran, mais aussi Le Siècle des Ténébres). De Paul Smaïl (Vivre me tue, La Passion selon moi) jusqu’à Éve Saint Roch (Prima Donna), le caméléon littérature se transforme en quête d’absolution … jusqu’ à la défenestration en juillet 2013. Une poignée de fidèles seront présents au Père Lachaise, dont un aujourd’hui bien seul sous le sceau de l’infamie.
En guise d’épitaphe, la note au dos de la pochette d’Obsolete (traduit de l’anglais)
“Attention: ce disque doit être joué aussi fort que possible, doit être écouté aussi défoncé qu’impossible et merci à tous”
#Calisto Dobson