[And so rock ?] Stay Awake, produit par Hal Willner réinvente Disney
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[And so rock ?] Il y a un bientôt un an, le 7 avril précisément, disparaissait dans une indifférence de circonstance, Hal Willner (1956-2020), producteur pionnier qui a marqué l’histoire de la musique. Si les noms des artistes auxquels son talent est associé sont impressionnants – des Neville Brothers à Marianne Faithfull, en passant par Lou Reed et Laurie Anderson, et les cinéastes Altman, Scorsese ou Wenders… son invention du Tribute album (album hommage si vous préférez) mérite notre estime éternelle, notamment pour les facettes colorées de ce diamant pur, Stay Awake, où l’inventif producteur réinvente tous les standards de Disney.
Une solide expérience d’un cross over musical débridé
En 1988, Hal Willner est reconnu comme l’inventeur du « tribute album », sorte de ‘Tombeau’ où les chefs d’oeuvre sont revisités par des castings détonants. Il a déjà à son actif plusieurs réussites balayant les genres et les étiquettes :
Amarcord Nino Rota en 1981 dédié au compositeur de Fellini réunit Bill Frisell, Steve Lacy, Muhal Richard Abrams, Jacki Byard, et le tout jeune Wynton Marsalis.
That’s The Way I Feel Now: A Tribute to Thelonious Monk (1984) rapproche les mondes du jazz et de la variété, marque de fabrique du producteur, de Bobby McFerrin à Gil Evans en passant par Steve Lacy, Dr. John, John Zorn, Donald Fagen, et Peter Frampton…
Lost In The Stars (1985) rend hommage à Kurt Weill (1900-1950) compositeur attitré de Berthold Brecht, avec Sting, Tom Waits, Lou Reed, Charlie Haden, Carla Bley, ….
Eclairer des pépites du temps passé sans nostalgie
Nanti d’un carnet d’adresses à l’épaisseur du Who’s Who de la crème musicale internationale, Hal Willner imagine en 1988 un album hommage aux chansons des films de Walt Disney. Pour mémoire à l’époque Disney n’a décroché que 3 Oscars des 14 qu’il a obtenu jusqu’à aujourd’hui : When You Wish Upon A Star pour Pinocchio (1940), Zip-A-Dee-Do-Dah pour La Mélodie Du Sud (1947) et Chim Chim Cher-ee pour Mary Poppins (1964).
Ce projet est un tour de force créatif et fédérateur, car parvenir à réunir des personnalités aussi hétéroclites que le grand Harry Nilsson, The Replacements ou encore l’intergalactique Sun Ra, Michael Stipe (chanteur de R.E.M.) voir Buster Poindexter, (David Johansen/The New York Dolls) et j’en passe une ribambelle, est remarquable. Nous sommes en 1988 je le rappelle, les maisons de disques se considèrent largement maîtres des faits et gestes de leurs stars…
Du Disney mieux que Disney
Si la liste des chansons choisies n’est pas forcément celle attendue, il ne manque aucun des grands classique, de Dumbo au Livre de la Jungle. Le résultat n’est pas seulement magique, il est également cohérent, malgré ou par l’éclectisme des intervenants, vous en jugerez !
Les arrangements débarrassent les excédents d’angélisme « pur guimauve » de certains tubes d’origine. Et révèlent les qualités que s’approprient voir réenchantent les artistes invités, que ce soit :
- l’immense Tom Waits avec sa version de la chanson Heigh Ho (la fameuse marche des nains) de Blanche-Neige et les Sept Nains
- Yma Sumac avec sa version délirante de I Wonder tiré de La Belle Au Bois Dormant ,
ou encore The Replacements avec l’inénarrable Cruella De Ville des 101 Dalmatiens.
La palme revenant aux Los Lobos qui avec leur reprise de I Wanna Be Like You, interprété à l’origine par Louis Prima dans Le Livre de La Jungle, rendent une version enthousiasmante et pleine de groove (qui reconnaissons le n’en manque pas au départ) de ce titre qui aurait largement supporté une sortie en single et a encore aujourd’hui le potentiel d’un tube en puissance.
Entre la madeleine de Proust et La Maison de Docteur Edwards d’Hitchcock
Cet album diffuse une atmosphère particulière entre l’enchantement de l’enfance et le trouble de certains mauvais rêves. Au final, Hal Willner réussit à réinventer l’univers de Disney dans ce qu’il a de plus universel, dans ce qu’il a de plus spécifique. A savoir cette petite noirceur qui nous étreint aux creux des ténèbres jusqu’à l’illumination finale qui émerveille les cœurs d’enfant et ceux qui ont su le garder.
Ce travail d’arrangements créatifs entre canons et inventions préfigure le travail réalisé en 1993 par le compositeur Danny Elfman pour L’étrange Noël de Mister Jack d’Henry Sellick dont le scénariste et co-producteur du film n’est autre que Tim Burton qui a débuté sa carrière chez Disney et en connait bien les secrets…
Homme de l’ombre, Hal Willner restera surtout l’homme-orchestre de cet album unique en son genre, ce génie ayant la capacité à choisir le bon titre, le bon arrangement pour la bonne interprète, jetez une oreille sur l’ensemble vous y découvrirez, comme de bien entendu, une mine de trésors sonores et pas seulement…