[And so rock ?] The Velvet Underground, de Todd Haynes (2021)

110mn. Actuellement disponible sur Apple TV+

Qui mieux que Todd Haynes, cinéaste à la filmographie impeccable (Superstar: The Karen Carpenter Story , Safe, Velvet Goldmine, I’m Not There )  et aux évocations musicales mythiques (The Carpenters, Bod Dylan, Bowie) pouvait retracer sans contre sens l’histoire du Velvet Underground, groupe dont l’influence en partie souterraine a égalé celle monstrueuse des Beatles.

Un  penchant pour l’expérimental et les chemins de traverse

Dès son premier moyen métrage en 1987 Superstar: The Karen Carpenter Story, Todd Haynes part en apnée dans l’univers de la pop en en transfigurant la représentation. Ce coup d’essai le voit évoquer la vie de la chanteuse Karen Carpenter du groupe The Carpenters. Celle-ci atteinte d’anorexie mentale mourra à 32 ans d’une insuffisance cardiaque. Prenant le parti d’utiliser des poupées Barbie pour raconter l’endroit pailleté et merveilleux des Carpenters et de leurs charmantes comptines pop; il parvient à en révéler l’envers sombre et angoissant. Ce qui fera très vite interdire toute diffusion de cette mise en lumière de la vie cruelle et émouvante de cette petite fiancée chantante de l’Amérique asphyxiée par sa famille bien avant l’ère Britney Spears toute aussi navrante.

De Safe à Velvet Goldmine

Après s’être illustré en adaptant Jean Genet, son premier coup de maître, il le réalise en 1995 avec Safe. Ce second long métrage préfigure notre époque aux relents  polluants anxiogènes obsédée par l’antisepsie. Ce film lancera par ailleurs la carrière de la délicieuse Julianne Moore.

En 1998 le titré Velvet Goldmine, son troisième film, aborde le vif du sujet rock and roll. Il s’agit d’une brillante représentation et sans doute mal estimée de la période dite Glam (entendez par là luxuriance) dont l’icône absolue fût le toujours vénéré David Bowie. Au travers de personnages imaginaires mais clairement inspirés de Bowie, Marc Bolan, Iggy Pop, ou encore Lou Reed, il retrace le parcours et la quête d’une star disparue par un journaliste.

https://youtu.be/EfRgd9REzAs

Loin du biopic traditionnel

Cet exercice d’appoint ne nous prépare pas au deuxième coup d’éclat de 2006 I’m Not There  (actuellement disponible sur Amazon Prime, un conseil précipitez-vous !). Cette inventive évocation, évitons le terme vulgaire de biopic, des différentes périodes de  la carrière protéiforme du prix Nobel 2016 de littérature Bob Dylan, s’illustre par une interprétation hors norme. En effet, pas moins de six comédiens différents endossent le costume du désormais vénérable barde  à différents moments de sa vie.

Des affabulations de sa prime jeunesse illustrée par un enfant noir fugueur, en passant par sa révolution électrique superbement incarnée par Cate Blanchett qui hante la Factory d’Andy Warhol (on y arrive), puis plus loin Richard Gere époque post hippie sans oublier Christian Bale ou encore Heath Ledger et Ben Wishshaw (oui le jeune Q complice geek de 007 Daniel Craig). Cette inventivité narrative nous donne une partie des clés de ce qui a permis à Todd Haynes d’envisager de raconter l’histoire du Velvet Underground.

Retour au bon vieux documentaire

Aux oubliettes la fiction réarrangée, le parti pris est de recueillir les paroles des derniers témoins vivants, d’évoquer quelques morts et de valoriser une multitude d’archives visuelles, sonores.

Célébrer dignement ce groupe qui fût en son temps mal aimé pour ne pas dire rejeté était une entreprise à haut risque. Comment s’y prendre pour se montrer à la hauteur  de la modernité insensée de ce groupe désormais au pinacle ?

Tout en privilégiant une sobriété exemplaire,  Haynes remplit son contrat en collant parfaitement à l’esprit du groupe et à la vision disons décalée qu’il avait de son époque.

Aux origines de chaque protagoniste

Les portraits de Lou Reed, bien sûr, mais aussi John Cale, Maureen Tucker, Sterling Morrison et Nico sont parfaitement émaillées d’indices révélateurs. L’ennui tout d’abord qui ronge des deux côtés de l’Atlantique. L’ennui qui crée l’envie d’en découdre avec la création et la postérité. On y apprend beaucoup sur ce qui a permis l’émergence de ce groupe séminal. Tout d’abord le chaudron dans lequel ont batifolé l’obsession littéraire et l’envie d’en découdre de Lou Reed ainsi que les velléités avant-gardistes de John Cale. Le tout accompagné du ciment guitaristique de Sterling Morrison, et le jeu de batterie minimaliste de Moe Tucker.

Un objet filmique élégant et pertinent

Parrainé par Andy Warhol qui imposera une voix et une image celle de Nico, tous deux énamourés de Lou Reed. Rajoutons que cette voix finira par produire aussi une palanquée d’émules au sein d’une profusion d’autres groupes. Le montage des différents témoignages ponctués d’anecdotes appropriées autour d’archives de qualité font de ce documentaire, un objet filmique élégant et pertinent; entièrement dédié au service de la postérité inégalable du Velvet, de l’infamie à la gloire éternelle.

Souvenir personnel, loin d’être anecdotique

Un responsable de maison de disques  m’a proclamé un jour à coup de postillons péremptoires au sujet d’une démo que je tentais de lui faire entendre, “ah tu sais on est pas  à l’abri d’un succès, encore faut-il savoir durer”…
Ouais c’est pas faux, vous croyez connaître la fameuse boutade de Brian Eno au sujet du Velvet Underground, (oui il l’a vraiment dit), interviewé par Kristine McKenna pour Musician Magazine en 1982:
« Musician Mag.: How do you expect On Land to do commercially? (“On Land” est son nouvel album à l’époque).
ENO: Very poorly compared with my other records–which haven’t done too well either. My reputation is far bigger than my sales. I was talking to Lou Reed the other day and he said that the first Velvet Underground record sold 30,000 copies in the first five years. The sales have picked up in the past few years, but I mean, that record was such an important record for so many people. I think everyone who bought one of those 30,000 copies started a band! So I console myself thinking that some things generate their rewards in a second-hand way. »

Nota Bene : ce fameux premier album avait vendu  pratiquement 60 000 copies près de deux ans après la sortie…

Alors c’est quoi le succès ?

Cinquante années après la sortie de ce désormais album intouchable, qu’est-ce qui nous a fait croire qu’il s’agissait d’un groupe de losers qui n’avaient pas vendu un kopek? La plupart des premiers rock critiques à s’être penchés sur la banane magique ont surtout considéré qu’il s’agissait d’un amuse-gueule d’Andy Warhol…
Une espèce de légende voudrait que certaines choses restent mythiques, un garde-fou empêcherait toute récupération et de créer une énième tendance à la mode. Le Velvet a semble-t-il bien réussi à devenir cool, sans le vouloir.

Une mascarade pitoyable

Même si la fin pitoyable du groupe est devenue une légende (noire), Le Velvet sans Lou Reed, ni John Cale, c’est un peu les Beatles sans Lennon et McCartney ou les Stones sans Jagger et Richards… Le type derrière cette mascarade, Steve Sesnick incarne l’inévitable manager sans scrupules. Il  poussera le pauvre Doug Yule à faire perdurer le nom du groupe pour finir avec une formation de bric et de broc dont Ian Paice de Deep Purple, avant de l’abandonner à son triste sort.

Et Bowie y met son grain

Il y aura même un album intitulé “Squeeze” dont le groupe du même nom s’est inspiré à des fins disons “facétieuses”… so typically british ! N’oublions pas que c’est encore un anglais, homme de l’année 1972, qui sort le groupe de la fosse infâme dans laquelle il croupit. Oui oui c’est bien lui, David Bowie, qui n’a de cesse à l’époque de reprendre les titres du Velvet en concert.

Aujourd’hui le Velvet Underground vend sûrement plus de t-shirts que d’albums, en coulisses on me dit que c’est l’époque qui veut ça.

Aucun désenchantement là-dedans il nous reste cette musique venimeuse et sacrément réjouissante. Ceux qui l’entendent n’ont rien à foutre du reste.

#CalistoDobson