André Steiner, Le corps entre désir et dépassement projette un « homme nouveau » (Mahj)

(Olympiade Culturelle 2024) En associant la culture au sport, l’objectif est d’unir dépassements intellectuels et sportifs, exactement comme à Olympie où poètes et lutteurs rivalisaient dans la même enceinte. Le Musée d’art et d’histoire du Judaïsme (Mahj) apporte lui aussi sa pierre à l’édifice olympique en rendant hommage à André Steiner (1901-1978) sportives jusqu’au 29 septembre 24. Ce pionnier de la photographie sportive a pour Robert Mauss contribué à l’évolution du regard et de la théâtralité du corps en action ; une esthétique sculpturale favorisant l’émergence d’un « homme nouveau » dans la concurrence entre Nations. Une réflexion qui va bien au-delà de l’idéal olympique.

Le corps photographié dans sa saisie directe, manifeste autant individuel que social

Danseuse (Lisa Fonssagrives), vers 1935, Paris, Centre Pompidou, Musée national d’art moderne – Centre de création industrielle © Martine Husson © Nicole Steiner-Bajolet

Par ces temps olympiques, nombre d’institutions veulent célébrer la conjugaison récurrente du sport et de l’art. Il est vrai que l’affaire est juste … ancestrale. Tant de poteries ou de céramiques antiques représentent des corps parfaits, musclés à souhait, saisis par l’artiste ou l’artisan lors des très nombreuses compétitions qui avaient cours en Grèce ou au sein de la Rome impériale. Il faut remercier les équipes de Paul Salmona de réhabiliter un photographe qui eut son heure de gloire, mais un peu oublié. L’hommage au pionnier de la photographie sportive, André Steiner dont le corps fut la grande passion et aussi celui d’une transition ; de la pratique joyeuse dans des paysages bucoliques, la photographie sportive exige la théâtralité du stade pour que le corps exprime ses qualités dramatiques.

Pour André Steiner, le corps, le nu en particulier, est une image dépouillée, centrée sur les conséquences de l’effort. À la quête du mouvement fait place une esthétique sculpturale. Si l’image du corps se réfère à l’art antique de la statuaire, la pratique sociale et collective du sport suspend le soupçon d’indécence de la nudité. Le corps dénudé perd toute signification érotique au profit d’un idéal social.
François Cheval, commissaire

Lily Steiner plongeant dans l’eau, Pompidou, MNAM- CCI, Dist. Grand-Palais-Rmn / Audrey Laurans

Le scientifique devenu artiste

Juif hongrois, André Steiner est d’abord ingénieur avant de bifurquer vers l’image. Steiner a bien connu le monde du sport pour avoir lui-même pratiqué des activités physiques à haut niveau. Né en 1901 en Hongrie, il participa ainsi aux épreuves de décathlon (discipline dans laquelle les athlètes français brillent souvent) des Jeux Universitaires Mondiaux en 1928, avant d’entrainer les sportifs de la section nautique du club juif de l’Hakoah de Budapest où il rencontre Léa, sa future épouse devenue son modèle préféré.

L’affaire n’a pas duré : pressentant les ravages d’un antisémitisme devenu virulent en Europe de l’est, les Steiner migrent vers Paris, où André ouvre un studio photo. La photo. Steiner la pratique depuis 1924 quand il découvre pendant ses études d’ingénieur les possibilités de représentation offertes par l’un des premiers modèles signés Leica.

La transfiguration du corps

Haltérophile, vers 1937, Paris, Centre Pompidou, Musée national d’art moderne – Centre de création industrielle © Martine Husson © Nicole Steiner-Bajolet

Sitôt installé à Paris, Steiner entame une collaboration avec la presse qui ne cessera qu’à sa mort en 1978. Pour le magazine ‘’Vu’’, André Steiner produit des séries de clichés qui magnifient le corps. Ou plutôt les corps. Des hommes comme des femmes. Des danseurs comme des nageurs. Ou des boxeurs comme des praticiens de l’athlétisme.

Le sport et la photographie s’associent à définir la modernité. Ils ont en commun l’idée du partage du moment et de l’instantanéité. Précise par nature, proche dans l’action, la photographie va au-delà de l’enregistrement : elle fige un instant éphémère par nature. Les magazines des années 1930 inventent ainsi la transfiguration d’un acte simple en chant épique. L’image mécanique, soutenue par un verbe louangeur, transcende l’événement pour en faire un véritable phénomène collectif.
François Cheval, commissaire

L’ambivalence de l’ « homme nouveau« 

Arabesque aérienne, vers 1935, Paris, Centre Pompidou, Musée national d’art moderne – Centre de création industrielle © Martine Husson © Nicole Steiner-Bajolet

Dans la recherche du perfectionnement gestuel, au service du changement social, certains pourront faire une analogie avec les images de la fameuse cinéaste nazie Leni Riefenstahl (1902-2003). Des muscles, des corps parfaits en quête d’exploits athlétiques de toutes sortes. Oui. Il est possible de dresser un tel parallèle. Après tout, Steiner était engagé dans le mouvement communiste international où le culte du corps était déjà un outil de propagande parmi d’autres.
En ces temps olympiques, rappelons le risque du dopage intensif, fléau institutionnalisé par l’URSS et les « démocraties » populaires.  Il n’empêche. La soixantaine d’images monochromes présentées par le MAHJ brillent par leur splendeur. Qu’il s’agisse des danseuses, des rameurs, des nageurs etc. ces photos monochromes exaltent les détails qui peaufine les codes visuels de la représentation d’un corps idéalisé.

Les images parfaites de corps en extension, sans la moindre la trace de graisse superflue, succèdent aux représentations des chairs éclatées et dispersées de la Grande Guerre qui hantent encore les esprits et s’opposent au corps gras du bourgeois !
François Cheval, commissaire

Publicité pour un costume de bain, vers 1936, Paris, Centre Pompidou, Musée national d’art moderne – Centre de création industrielle Martine Husson © Nicole Steiner-Bajolet

L’effort est magnifié dans une géométrie de la mécanique corporelle

Plus de place à la détente, ni au sourire, mais immersion dans la tension et la concentration propre à la compétition sportive. Pour parvenir à ces fins, l’ingénieur Steiner exploite de manière systématique de la déformation et du point de vue anormal qui caractérisent l’école dite de la ‘’Nouvelle Vision’’ née en Allemagne entre les deux guerres mondiales, dont l’influence se mesure toujours ;  exacerbant la photogénie du corps du sportif érigé au rang de demi-dieu, héritier des héros homériques, saisi au plus près, la photographie sportive renseigne autant l’exaltation de l’exploit physique que la puissance des nations, et leur course effrénée aux médailles, seule comptabilité qui puisse les affirmer la supériorité de leur modèle – voir idéologie – sur leurs concurrents.

 Robert Mauss

Musée d’art et d’histoire du Judaïsme (MAHJ), Hôtel de Saint-Aignan, 71, rue du Temple, 75003 Paris
Tél.: +33 1 53 01 86 53 – info@mahj.org

Du mardi au vendredi de 11h à 18h
Nocturne le mercredi jusqu’à 21h
Samedi et dimanche de 10h à 19h