Voyages
La Villa Arson, l’utopie de Malraux plane sur la Cité des anges
Auteur : Olivier Lauriot dit Prévost
Article publié le 11 novembre 2021
[Architectures extraordinaires] Juchée dans les hauteurs du quartier de Saint Barthélémy à Nice, la Villa Arson est l’un des joyaux architecturaux de la cité des Anges. Ce fut aussi l’un des grands rêves d’André Malraux, celui de créer une école internationale des Arts contemporains, en relais des Beaux-Arts parisiens jugée désuète. De l’utopie malrésienne, reste un Centre d’art unique, plongé dans un jardin extraordinaire.
Very Nice 70’s
Pendant quelques minutes ou quelques heures, franchir le portail de la Villa Arson et s’attabler au café du jardin du Bosco au 20 avenue Stephen Liégeard vous fait basculer dans une période révolue, celle où Gilbert Bécaud clame que La solitude, ça n’existe pas, où il est monnaie courante de croiser des Peugeot 204 et autres Simca 1100 qui pétaradent sous le soleil de plomb méditerranéen.
Cette époque, ce sont les années 70, et la gestion de Nice par la dynastie Médecin. Jean (1890-1965) est Maire de Nice de 1928 à 1965 (hormis de 43 à 47). Il cède la place à son fils Jacques (1928-1998), l’exemple type du politicien flamboyant doté d’un sens de la formule infaillible. L’histoire est peu clémente, et les relations troubles autant que son statut de parrain mènent le tristement célèbre méditerranéen à prendre la fuite en Uruguay, où il est arrêté en 1990. Ses ambitions de grandeurs pour Nice, dont il reste maire de 1966 à 1990, ne sont jamais assouvies : un aéroport, le contournement de l’autoroute, de nouveaux quartiers… autant d’atouts qui attirent et bénéficient de l’arrivée des baby-boomers, et des rapatriés d’Algérie après les accords d’Evian signés en 1962. Entre 1949 et 1974, le béton taille le nouveau visage de ce joyau de la Côte d’Azur ; avec des immeubles blancs et jaunes par milliers, souvent abrités sous de longs paravents bleu – comprenez bleu azur.
La Côte d’Azur – symbole de la ville
Cette richesse providentielle touche toute la France, et nourrit durablement l’attractivité de la région de la Côte d’Azur. Dans l’imaginaire collectif entre le bleu du ciel et le balancement des palmiers, nourrie de cartes postales et des tableaux de Matisse et Picasso, cette région inventée de toute pièce depuis quelques siècles était le lieu de villégiature privilégié de l’intelligentsia anglaise, de tout ce qui se faisait de mieux dans l’aristocratie du perfide Albion. Une trace omniprésente de cette diaspora d’hiver transparaît dans l’architecture anglo-saxonne autant que dans des ouvrages passés à la postérité – la promenade des Anglais, pour n’en citer qu’un seul.
C’est dans ce contexte, entre héritage régional et dynamique nationale, que la ville de Nice fait don en 1964 à l’Etat du domaine de la villa Arson, une vaste bâtisse du XVIIIe ocre de Gênes perchée sur un jardin en terrasses à l’italienne d’une vingtaine d’hectares. André Malraux, ministre des Affaires culturelles souhaite en faire une école internationale d’art. Le projet de construction ambitionne de créer un lieu créatif hybride, entre salle d’exposition, lieu de résidence et creuset d’apprentissage alternatif aux Beaux-arts, diplôme d’État jugé vieillissant et peu approprié à l’art contemporain.
Le contrepied architectural signée de Michel Marot
Le grand dessein est confié à l’architecte français Michel Marot (1926 – 2021), lauréat du prix de Rome, en 1954, et concepteur d’églises singulières (Saint-Agnès à Fontaine-les-Grès (Aude), Saint-François d’Assise à Champagne-sur-Seine, Saint Jean-Bosco à Maux) et garant d’une modernité certaine.
Chargé d’imaginer un geste architectural pour réunir harmonieusement 600 étudiants venant du monde entier, Michel Marot prend le contrepied des attentes et des utopies des commanditaires. L’Architecte en chef des Bâtiments civils et Palais nationaux pour la Corse et les Alpes Maritimes entre 1962 et 1965 axe sa construction tout en horizontalité, sur trois terrasses mimant le jardin italien sur lequel elles s’implantent, plutôt que dans la verticalité caractérisant les constructions fleurissant dans les années 70 (Ecole supérieure d’art d’Aix-en-Provence, Ecole des beaux-arts de Besançon).
L’autre clé de lecture, c’est la lumière. Elle est omniprésente, à travers les puits triangulaires que l’on aperçoit à chaque palier, et aux grandes fenêtres qui percent les murs tapissés de galets puisés directement au fond du Var. Une douce clarté berce l’établissement qui intègre à son inauguration en 1972 l’École nationale des arts décoratifs, déjà basée à Nice. Le site n’accueillera jamais plus de 200 étudiants même après son changement de dénomination en 1984, en École pilote internationale d’art et de recherche (EPIAR).
Un centre en forme de labyrinthe
Les restaurations entreprises dès 2005 ont conservé l’atmosphère d’un petit village hors du temps, dont les quartiers sont autant d’espaces entre clair – les ateliers, les amphithéâtres, les grandes terrasses, la médiathèque – et obscur – les couloirs extérieurs sous les tonnelles, les escaliers. Le grand hall d’accueil est aussi traversé des ombres du feuillage chatoyant des arbres du jardin. Ces contrastes sont nécessaires pour mettre en valeur les œuvres exposées des élèves et des artistes résidents. Ce Centre d’art est en effet un lieu d’exposition passionnant pour les œuvres dans divers états de développement, pendant les 5 ans où les étudiants se spécialisent dans une manifestation d’art contemporaine.
Un temps suspendu, paradoxal
Ce lieu est une invitation à un voyage dans un autre temps, un autre tempo reflet d’une époque lointaine et désuète où Nice se parait des atouts de la modernité. Un « monstre » amical de béton, bien distinct du mouvement architectural du brutalisme, dont il reprend les codes, comme les textures brutes de décoffrage, le béton, pour mieux les interpréter, et s’affranchir de la verticalité, de l’aspect massif et répétitif qui définit ce courant nostalgique de l’architecture des années 40. (National Theater, Londres). C’est un belvédère formidable donnant sur l’iconique baie des anges, croquée par Jacques Demy dans le film éponyme de 1962. Une implantation douce entre montagne et mer, dans le respect du paysage et de l’esprit pentu de ce terrain, un véritable symbole d’une époque de croissance traversée par les secousses de sa population étudiante en mai 1968.
Informations pratiques sur la Villa Arson
Le site Villa Arson qui propose le calendrier des nombreuses manifestations
En période d’expositions : ouvert tous les jours de 14h à 18h (de 14h à 19h en juillet et août) sauf le mardi.
Accès
- Tramway :Ligne 1, direction Henri Sappia, arrêt Le Ray.
- Puis 10 mn de marche, suivre signalisation via rues Paul Mallarède et Joseph d’Arbaud.
- Bus :n° 8, arrêt Deux Avenues. Puis suivre signalisation av. Stephen Liégeard – Villa Arson.
- Depuis l’autoroute A8 :sortie N° 54, Nice Nord, direction Centre Ville, et suivre signalisation.
- Depuis la Promenade des Anglais :Bd Gambetta, puis Bd de Cessole, et suivre signalisation Villa Arson.
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