Arrête avec tes mensonges, d’après Philippe Besson, de Angélique Clairand et Éric Massé (Théâtre de la Tempête)
Mise en scène : Angélique Clairand et Éric Massé
Avec : Raphaël Defour, Étienne Galharague, Mariochka, la participation d’Anna Walkenhorst et, en alternance, Angélique Clairand et Éric Massé
Bientôt au cinéma le 22 février par le réalisateur Olivier Peyon, Arrête avec tes mensonges, autofiction de Philippe Besson (Julliard, 2017) est aussi adaptée au Théâtre de la Tempête, Cartoucherie par Angélique Clairand et Éric Massé jusqu’au 5 févier 23. Jouant sur un effet d’abime de l’écrivain, entre 1984 et 2016, leur mise en scène inventive donne toute sa force dramatique à cette histoire d’amour gay tragique, grâce notamment au plateau de comédiens dont les deux amants adolescents, Mariochka (Besson) et Étienne Galharague (Thomas).
Une liberté d’adaptation inventive
Philippe Besson a une qualité rare. Le romancier revendique de n’avoir aucun problème avec la dépossession. Même s’il était très ému de se voir sur scène incarné par Raphaël Defour en écrivain interviewé sur sa carrière? Il assume de laisser une totale liberté d’adaptation à ceux qui projettent de prendre une de ses œuvres.
Angélique Clairand et Éric Massé ont eu carte blanche pour mettre en scène Arrête avec tes mensonges, comme d’ailleurs le réalisateur Olivier Peyon qui en a fait un film, en salles le 22 février. Le duo codirecteur du Théâtre du Point du Jour de Lyon qui a signé ses Portraits Hotel qui croquaient des micro-histoires intimes dans des chambre d’hôtel multiplient les regards et les moyens – scéniques, sonores et vidéo – pour hisser à incandescence leur production au Théâtre de la Tempête.
Avec la bénédiction de l’auteur, ils n’ont donc pas hésité à créer une séance liminaire d’interview où Philippe Besson/Raphaël Defour répond aux questions de journalistes sur son parcours, quittant sa province pour devenir écrivain. Au cours d’une rencontre après le spectacle la semaine dernière en présence de Besson, les adapteurs ont reconnus qu’ils transformaient l’interview en fonction des plus récentes déclarations de Besson pour mieux coller au personnage…
Le drame du déterminisme social
Coller aux personnages et à leur gravité de classe, c’est bien la dynamique que cette brillante adaptation cherche partager.
Pour les deux metteurs en scène , « cette autofiction dresse un constat sur la difficulté d’être soi dans certains contextes sociaux et familiaux. Deux destins : celui de Thomas, un jeune homme sur le point de nier l’évidence, de basculer à vie dans le mensonge, et celui de Philippe qui de[1]viendra romancier, conteur d’histoires. »
L’interview achevé, l’auteur croit reconnaitre dans le public son amour adolescent, qui n’est en fait que son fils.. Cette rencontre fortuite nous invite à un grand flashback ; celui où dans son lycée Barbezieux (bourg rural de Charente) dans les année 80. Besson tombe amoureux de Thomas, fils d’agriculteurs. Si celui-ci se prête à la passion physique, mais l’expression de ses sentiments reste toujours freinée par son milieu : cette culpabilité qui ne lui permet pas d’assumer son homosexualité le pousse à rompre brutalement sa relation et disparaître, au sens propre et figuré.
Les personnages ne « correspondent pas » à leur milieu d’origine
et poursuivent des chemins différents, entre tentative d’échapper à la force de la reproduction sociale et résignation.
Leur langue séduit là où ça dérange :
une franchise sur soi-même, un combat existentiel où l’écriture vive, tranchante, va à l’essentiel.
Angélique Clairand et Éric Massé. Note d’intention
Des effets de miroirs temporels
La mise en scène sobre jongle sur les époques et les remords – s’appuyant sur un cube qui devient au fil des désirs, cachette ou chambre, mais aussi scène et estrade construit sur fond musical des années 80 par touches successives le récit tragique d’un amour contraire et contraint qui marque à jamais le futur écrivain.
La violence des situations (l’écart entre le bourgeois et l’agriculteur), des destinées (en fac pour l’un à la ferme pour l’autre) multiplient les incompréhensions comme les non-dits. Qui amènent inexorablement au drame. Thomas disparait honteux, il se marie et devient père sans s’être jamais assumé comme gay.
Besson reçoit du fils, la lettre posthume que Thomas lui a laissé avant de disparaitre. « Cette lettre finale met enfin des mots sur l’injustice du sort. Il fallait écrire autour de cette lettre », confirme au public Philippe Besson.
C’est en effet en « consolation de ceux qui n’ont pas pu vivre leur identité sexuelle », pour rendre vivant un amour sans mots que Besson décide d’écrire vingt ans après – lui le conteur d’histoires – sa première autofiction (parue en 2017) : « Faire un sort à l’absence, écrire de livres est la seule solution au lieu de parler dans des cimetières. Une façon de les revivre à nouveau, nous confie Patrick Besson, pour ajouter « cette obsession de corriger l’absence oblige à écrire frontalement. Il y a eu un après « Arrête » autobiographie fictionnelle.. Mon écrire n’est plus la même. »
Faire un sort au silence
Une vie vécue pour rien, dans le déni, entièrement silencieuse et invisible, ce n’était pas supportable.
Ç’a été ça, le déclencheur. Je suis romancier, et toujours plus enclin à la fiction qu’à l’autobiographie ; mais là, ce fut viscéral.
J’ai trop peur qu’on oublie les morts, et la question de la réparation m’obsède.
Philippe Besson
Grâce au dispositif en mouvement permanent, mais surtout les modes narratifs mis en miroir – « celui des paroles échangées, des actions réelles, et celui des pensées intérieures et des fantasmes » – le spectacle évite toutes les lourdeurs subjectives pour esquisser l’importance des mots dans toute émancipation, et le hisser subtilement en drame universel.
La réussite tient aussi à la dimension physique quasi animale de Thomas, parfaitement incarné par Étienne Galharague, qui traverse les miroirs temporels, et répond aux désirs de deux Besson, adolescent maladroit (Mariochka) et adulte (Raphaël Defour), pour nous laisser le goût amer « des chemins possibles mais non empruntés » comme l’écrivent joliment Angélique Clairand et Éric Massé.
#Olivier Olgan