Art Paris 2024, du Art & Craft aux Fragiles utopies (Grand Palais éphémère)

Avec 136 galeries, dont 40 % d’ étrangères de 25 pays différents, la 26e édition d’Art Paris tient sa promesse d’exigence et d’éclectisme tout en se différenciant de sa concurrente Paris + Art Basel. Les deux thématiques de ce rendez-vous cosmopolite et régional illustrent son ambition d’explorer toutes les facettes de la création artistique au Grand Palais Ephémère jusqu’au 7 avril 2024. Aux artistes férus des savoir-faire artisanaux de « Art & Craft » confié à Nicolas Trembley, répondent de « Fragiles utopies » de 21 artistes français présentées par Éric de Chassey. Leurs visions personnelles et engagées de la scène contemporaine constituent pour Olivier Olgan de stimulants fils conducteurs dans une offre vertigineuse. Sans oublier une quinzaine de Solo Shows (voir notre sélection) qui associent figures historiques et nouveaux talents.

Trouver son équilibre

On observe encore une montée en puissance d’Art Paris avec l’arrivée de nouvelles galeries françaises, européennes et internationales, à la fois importantes et très tendance.
Guillaume Piens, commissaire général

Pour permettre au visiteur de se retrouver dans le labyrinthe d’une offre spectaculaire de 135 galeries triées sur volet, le commissaire général d’Art Paris a eu la bonne idée de proposer plusieurs fils d’Ariane : à côté de la quinzaine de « Solo Shows » et d’une section « Promesses » pour les jeunes galeries de moins de 6 ans d’existence et à la création émergente, deux thématiques ont été confiées à deux commissaires, « Art & Craft »  au critique d’art suisse Nicolas Trembley  et « Fragiles utopies  » à l’historien Eric de Chassey.

Chacun prend soin dans leur parcours de mettre en lumière les passerelles entre art et artisanat, d’un coté et la façon dont les arts visuels structurent la pensée, la perception et l’action, d’« une scène particulièrement riche et féconde dès lors que l’on sort de l’idée reçue que les mondes de l’art s’organiseraient autour de la confrontation entre un centre et des périphéries de l’autre. » (Chassey)

Barbara Levittoux-Świderska, Fire [Pożar], 1974 au fond (Art Paris 2024) Photo OOlgan

« Arts & Crafts », le retour des savoirs du geste et de la main

La tendance de sortir des divisions arbitraires entre la tête et la main, la pratique et la théorie, l’artisan et l’artiste, n’est pas nouvelle ! Le mouvement des Arts and Crafts, (Arts et Artisanats), est né à la fin du XIXe au Royaume-Uni en réaction à l’industrialisation et à la production de masse de l’époque victorienne. Le groupe d’artistes qui le composait, mené par William Morris, cherchait à restaurer la qualité de l’artisanat et à promouvoir la valeur artistique du travail manuel tout en cherchant à abolir la distinction entre beaux-arts et arts appliqués.
La dynamique sous-jacente de cette reconnaissance est à double détente : c’est autant l’intégration de l’art dans tous les aspects de la vie quotidienne, des objets fonctionnels au mobilier, à la décoration intérieure, en passant par les vêtements, les bijoux, tout en valorisant l’utilisation de matériaux qui respectaient la nature comme le bois, le verre, la laine ou la terre, que la déconstruction des cloisonnements, des hiérarchisations de différents médiums,  dans l’intention de mettre au rebut, ou marginaliser, certains procédés ou groupes d’artistes.

Jane Yang-d’Haene (Galerie Bienvenu Steinberg & J – Art Paris 2024) Photo OOlgan


Shella Hicks, (Galerie Claude Bernars Art Paris 2024) Photo OOlgan

Ce regain d’intérêt dérive sans doute d’une vision de l’art désormais globalisée et de l’intégration de pratiques issues de minorités ainsi que de la reconnaissance des femmes artistes trop souvent restées à la périphérie de l’Histoire de l’art et reléguées à des activités dites domestiques. (…)

On retrouve ainsi dans cette idée d’un artisanat élargi, des références aussi bien aux arts premiers qu’à des cultures non-occidentales. Le craft est l’un des champs culturels où les circulations et les échanges multiples des formes, et des idées dans le contexte des avant-gardes, a constitué un modernisme élargi qui préfigure les questions de globalisation contemporaine. (…)

Au-delà de la simple présentation de l’artisanat et de sa beauté, ce focus explore les implications politiques, sociales et féministes de l’artisanat et les façons dont il peut être utilisé pour défier et subvertir les récits de pouvoir dominants dans l’art en renouvelant les distinctions et les hiérarchies entre l’art, l’artisanat et l’industrie.
Nicolas Trembley, commissaire « Art & Craft », catalogue

Jacqueline & Jean Lerat (Galerie Capazzo Art Paris 2024) Photo OOlgan

Une vingtaine d’artistes de toutes générations travaillent tous les médiums

  • Magdalena Abakanowicz Galerie Richard Saltoun
  • Joël Andrianomearisoa Galerie Almine Rech
  • Jean-Marie Appriou (Perrotin)
  • Karina Bisch (Lahumière)
  • Michele Ciacciofera Galerie Michel Rein
  • Daniel Dewar & Grégory Gicquel Galerie Loevenbruck
  • GE BA Galerie Françoise Livinec
  • Josep Grau-Garriga Galerie Claude Bernard
  • Sheila Hicks (galerie Claude Bernard)
  • Patrick Kim-Gustafson Galerie Marguo
  • Jacqueline et Jean Lerat Galerie Capazza
  • Barbara Levittoux-Świderska Galerie Richard Saltoun
  • Jane Yang-d’Haene Galerie Bienvenu Steinberg & J

Jagoda Buic, White reflections, 1970-75 (Richard Saltoun Art Paris 2024) Photo OOlgan

Fragiles utopies, un regard sur la scène française

Avec Éric de Chassey, directeur de l’Institut national d’histoire de l’art (INHA), Fragiles Utopies illustre un parcours au travers d’une sélection de 21 artistes français, l’occasion pour l’historien de brosser dans le catalogue un panorama stimulant de perspectives de la création française du moment. Si le modernisme mettait en valeur d’autres fonctions des œuvres : celles d’être des modèles inédits pour la perception, pour la pensée et pour l’action, malgré ses avatars « post », « la part utopique de la création artistique n’a pas disparu avec le modernisme mais qu’elle continue à agir comme un principe actif, moins guidé par l’affirmation autoritaire que par le doute qui est consubstantiel à une époque marquée par la fin des grands systèmes et des solutions définitives. »

MH Vieira Da Silva, La ville tentaculaire, 1954 (Jeanne Bucher Jaeger Art Paris 2024) Photo OOlgan

« Les arts visuels n’ont pas pour seules fonctions de représenter ou décorer. Ils proposent également des modèles pour la perception, pour la pensée, pour l’action : des utopies en construction. Celles-ci peuvent s’incarner dans toutes les formes, mais, dans une période marquée par le doute et la fin des grands systèmes, elles prennent souvent un caractère provisoire, précaire : ce sont des utopies fragiles. (…)

C’est ainsi qu’émerge une nouvelle généalogie, discontinue mais particulièrement vivante, qui trouve ses prolongements jusqu’à aujourd’hui. (…)

Je n’ai en tout cas jamais eu l’idée de réunir tous les artistes dont les œuvres incarnent des utopies fragiles, mais d’en singulariser certaines et certains, quel que soit les moyens artistiques qu’ils utilisent, en assumant pleinement la part de sensibilité subjective qui entre dans ce choix. Il s’agit moins d’un rassemblement thématique que sensible.
Les œuvres d’art valent d’abord pour l’expérience sensible, concrète, qu’elles proposent à celles et ceux qui prennent le temps d’en faire l’expérience. Ils et elles ont transformé mon rapport au monde, et continuent de le faire, en ouvrant des perspectives que, sans eux, je n’aurais jamais pu imaginer : de véritables espaces utopiques
Éric de Chassey, Fragiles utopies, catalogue.

Yto Barrada. Marché aux puces Tanger, 2018-2023 (Polaris Art Paris 2024) Photo OOlgan

Une vingtaine d’artistes pour des utopies stimulantes

  • Jean-Michel Alberola (1953) – Templon
  • Yto Barrada (1971) – Polaris
  • Cécile Bart (1958) – Galerie Catherine Issert
  • Alice Bidault (1994) – Pietro Spartà
  • Pierrette Bloch (1928 – 2017) – Galerie Zlotowski
  • Nicolas Chardon (1974) – Oniris.art
  • Sonia Terk-Delaunay (1885-1979) Galerie Bérès
  • Mathilde Denize (1986) – Perrotin
  • Nathalie du Pasquier (1957) – Yvon Lambert
  • Philippe Favier (1957) – Galerie 8+4
  • Elika Hedayat (1979) – Aline Vidal Paris
  • Sarah Jérôme (1979) – H Gallery
  • Benoît Maire (1978) – Nathalie Obadia
  • Vera Molnár (1924-2023) – Verart Véronique Smagghe
  • Michel Parmentier (1938-2000) – Loevenbruck
  • Juliette Roche (1884-1980) Galerie Pauline Pavec
  • Edgar Sarin (1989) – Galerie Michel Rein
  • Daniel Schlier (1960) – Galerie East
  • Assan Smati (1972) – Nosbaum Reding
  • Maria Helena Vieira Da Silva (1908-1992) – Galerie Jeanne Bucher Jaeger
  • Raphaël Zarka (1977) – Mitterrand

Grâce à ces fils d’Ariane, le visiteur peut trouver ses marques au cœur d’une offre qui met la barre très haut autant sur le fond, par la qualité des artistes rassemblés que sur les prix plutôt accessibles.

Olivier Olgan