Art Paris 2024 Solo Shows, de Helion et Masson à Hassan à Whittaker (Grand Palais Ephémère)
Gilles Barbier (né en 1965) Huberty & Breyne
« Si mon travail prend souvent les attendus à revers, s’il peut paraitre insolent, si j’utilise volontiers la diagonal de l’humour, c’est parce que je place l’art au-dessus de tout. » ce qui n’empêche pas l’artiste né en 1965 de s’inspirer pour sa nouvelle série intitulée Naufrages de l’Odyssée d’Homère pour croquer les affres de notre époques. Dans un véritable voyage initiatique, l’artiste dépeint l’instabilité et les impasses sociales et politiques de notre monde actuel.
La nature, grande cause chère à l’artiste, est au cœur de cette série avec en figure de proue une immense baleine échouée de cinq mètres de long, mettant en lumière une nature tout aussi époustouflante que vulnérable et fragile. Grâce aux propriétés du Posca® sur calque polyester sur lequel il peint en acrylique, il joue sur la transparence en travaillant aussi bien la partie face que le dos.
Leyla Cardenas (1975) Galerie DIX9
Magicienne de la perception optique, Leyla Cardenas représente et détisse, au propre comme au figuré, des paysages au sens large. Ses tableaux tissés analysent imperceptiblement les différentes couches constitutives d’informations propres au lieu étudié. Ses grands rectangles de fils de soie polyesters sur lesquels elle a imprimé des images questionnent sous forme spectrales les ruines urbaines et les espaces abandonnés des villes pour mieux en révéler les transformations sociales comme autant de mémoires oubliées. Ses œuvres délicates à la fois textiles et photographiques, qui parfois s’entrelacent ou se dissocient, concrétisent la réflexion esthétique et politique conduite par l’artiste colombienne née en 1975 et initiée dans ses œuvres précédentes. Ainsi de cette chambre délabrée au papier peint fleuri dans le musée Guimet où l’artiste exposait pour la dernière Biennale de Lyon (Unfolded room for Guimet). Toutes témoignent de la résilience de la vie végétale et d’un espoir de dépassement possible de l’urgence climatique.
Directement liées à la physicalité de l’espace, le halo devient une voie à explorer et à creuser pour faire apparaitre différentes strates du temps. Par le geste de revitalisation de la ruine, l’artiste scrute des restes d’espaces apparemment vides et révèle des fragments récupérés, seuls témoins fragiles d’un temps révolu. Sa perception de l’avenir s’éclaircit alors et met en présence une nature combative, protagoniste, résiliente, reprenant ses droits.
Stijn Cole (1978) Galerie Irene Laub
Grâce à un processus impliquant des formes d’art analogiques et numériques, Cole travaille avec l’impact fluctuant du temps et de la lumière sur un environnement spécifique. En combinant ces états modifiés de la nature dans des compositions uniques, Cole parle de moments insaisissables et expansifs créés à partir de points de vue subjectifs. La relation entre l’objet et son environnement est centrale. La lumière, et non le médium, est cruciale, car la façon dont nous percevons la couleur et la forme est dans une large mesure déterminée par l’intensité de la lumière à laquelle elles sont soumises.
Son choix de médias pour rappeler que le paysage est « una causa mentale » est éclectique : il y a la vidéo mais aussi la sculpture, la peinture et les techniques mixtes, la photographie et le graphisme et, outre le travail abstrait, il crée également de l’art figuratif. Chaque nouvelle série d’œuvres de Stijn Cole est liée à une période, une promenade ou un voyage spécifique, ce qui lui confère une qualité presque documentaire.
Obsédé par le flux continu des phénomènes naturels et ses effets sur les êtres humains ce « romantique des temps modernes » ou d’« impressionniste contemporain », décale la tradition d’un Kaspar David Friedrich ou d’un Claude Monet – en s’intéressant moins à la représentation du paysage lui-même qu’à la couleur, à la lumière et au temps, les éléments conceptuels qui déterminent notre expérience de la nature. Plutôt que de propager la beauté formelle, les œuvres de Cole aiguisent notre qualité visuelle : nous examinons de près l’échelle réelle ou irréaliste des objets, le point de vue qu’il a choisi, le cadre temporel, la distance par rapport au sujet, la façon dont il sélectionne et cadre son sujet… pour renouveler notre expérience du temps.
Pauline-Rose Dumas (1996) Galerie Anne-Laure Buffard
Mon travail d’artiste établit une correspondance entre les techniques de la forge, du dessin et du textile. Par ces pratiques à priori contradictoires, je rends compte de la primoridalité de la ligne, du fil, comme vecteur d’une pensée intérieure. Lorsque mes sculptures investissent l’espace d’exposition, elles entrent en relation avec lui, transformant les murs, le sol, la fenêtre et mon atelier lui-même. Les images textiles que je crée à partir photographies sont déplacées, tronquées et réparées, évoquant des correspondances entre l’atelier et la construction d’espaces habités et en mouvement.
Jouant des tensions et porosités entre le métal, (la forge) et le textile (patchwork), Pauline-Rose Dumas envisage l’espace de l’atelier comme un paysage intérieur en devenir. A partir de matrices de dessins imprimées et sublimées sur tissus, fragments de métal fondu, chutes de tissus réemployés et cousus entre eux, ces multiples strates dessinent un monde flottant où la matière première oscille entre sculpture et retour à la poussière.
Dans ces installations, elle porte attention aux points de rencontre entre ses œuvres et les outils qui les entourent, révélant ainsi des contextes plus infimes. Elle en exagère ou dissémine des détails qui peuplent l’univers textile : points, trames, coupes, assemblages deviennent une syntaxe, une écriture qui se déploie dans l’espace. « Mes sculptures deviennent des signes, des traces, des indices que chacun peut s’approprier pour découvrir l’envers d’une histoire, le témoignage invisible de l’intimité d’un processus de création. »
Fathi Hassan (1957) Nil Gallery
La vie et l’art de Fathi Hassan témoignent de la résilience du patrimoine et du pouvoir durable de l’expression. Né au Caire en 1957 dans une famille d’origine nubienne et égyptienne, ses premières années ont été marquées par les bouleversements provoqués par la construction du haut barrage d’Assouan en 1952. Contraintes de quitter leur terre ancestrale de Nubie, la famille de Hassan s’est retrouvée déplacée, son souvenirs immergés sous les eaux du lac Nasser. De ces débuts turbulents a émergé une voix artistique profonde, celle qui cherchait à donner une voix aux échos silencieux de l’histoire. Inspiré par les anciennes écritures coufiques de ses racines nubiennes, il a créé son propre langage visuel, insufflant à ses créations des couleurs vibrantes et des collages texturés qui estompaient les frontières entre le symbolisme graphique et le sens littéral.
À travers divers supports – des photographies et peintures aux installations et dessins – le travail de Hassan défie les conventions, employant une calligraphie délibérément abstraite pour souligner le sort des langues et des traditions orales perdues à la suite de la domination coloniale. Les visages, les feuilles, les plantes et les corps célestes sont apparus comme des motifs récurrents, imprégnés de couches de signification symbolique et de résonance culturelle. À travers son art, son expérimentation nous invite à confronter les complexités de l’histoire et du patrimoine, offrant un aperçu de la résilience durable de l’esprit humain face à l’adversité.
Lucia Hierro (1987) Fabienne Levy
Influencée par le pop art d’Andy Warhol et les célèbres sculptures surdimensionnées d’objets du quotidien de Claes Oldenburg, la pratique de Lucia Hierro, qui comprend la sculpture, l’art textile, les médias numériques et les installations, confronte le capitalisme du XXIe siècle à travers une lentille d’ironie et de recul intersectionnel. Ses pièces explorent les thèmes de l’identité culturelle et du consumérisme du 21e siècle avec un sens de l’humour et de la provocation. L’artiste conceptuelle dominicaine-américaine se revendique de la lignée des grands artistes de la figuration critique, où le contenu agressif des images descriptives volontairement impersonnelles, dépouillées de tout ornement superfétatoire vis et atteint le plus totale efficacité .
Peter Kim (1967) Bienvenu Steinberg & J
En tant qu’Asiatique, je me sens comme un étranger en Europe et en Amérique. Je suis devenu un membre à part entière de la société actuelle prise dans le chaos et la confusion, mais aussi dans un consumérisme bruyant et excessif. Dans ce monde matérialiste, je suis un être à flot, à peine équilibré et vivant en sursis, comme un vaisseau brisé à flot dans un passé très lointain.
Les œuvres de Peter Kim propose une rencontre primaire avec l’image réalisée au gré de motifs qui ne sautent pas aux yeux d’emblée. Leurs effets graphiquement convaincants, bien qu’irrésistibles, peuvent être totalement différents de ceux souhaités par le créateur de l’image. Les formes de Kim sont présentées au ras du plan de l’image, proches et immédiates, comme des mots sur un panneau d’affichage, sans modelage, ni clair-obscur, ni profondeur de perspective. À cet égard, ils rappellent des antécédents culturels très divers : les dessins vivifiants et expressifs d’artistes et d’enfants naïfs ; les marqueurs spirituels des cultures « primitives » ; le panache graphique des dessinateurs commerciaux ; et les raffinements cumulatifs des maîtres orientaux de l’encre et du pinceau, avec leur effondrement conscient de l’espace visuel. Kim nous confronte à la distinction entre impact et compréhension, mystification et sens.
Mohamed Lekleti (1965) Galerie Valérie Delaunay
Avec la naïveté d’un enfant qui pose les bonnes questions, Mohamed Lekleti désarticule un monde trop rigide sur ses bases et le reconstitue en associations nouvelles qui modifient notre perception. Son langage singulier nous invite à un voyage imaginaire où légendes et réalités de l’orient fusionnent.
Par le dessin et les techniques mixtes, celui qui se fait volontiers conteur détourne le procédé de la chronophotographie cher à Étienne-Jules Mary ou Eadweard Muybridge et analyse le mouvement des êtres et des choses. Il privilégie l’instant prégnant pour mieux nous permettre de sonder l’invisible, ce que l’œil ne perçoit pas. Par la succession d’images dessinées et la multiplication des parties d’un réel reconstructible, il instaure quelque chose d’indéterminé qui génère une sorte de malaise diffus.
Min Jung Yeon (1979) Galerie Maria Lund
Brume légère qui se répand pour se dissiper aussitôt ou forme imposante qui entoure, étouffe, engloutit… Rien n’est statique dans le monde à la délicatesse extrême de Min Jung-Yeon. Rien n’est tout à fait réel ni complètement imaginaire. Abolition des frontières entre conscient et inconscient, ses œuvres se présentent telles des compositions scéniques, frontales, face auxquelles l’on retient son souffle en attendant de voir la suite. S’expriment ici l’être intime de l’artiste et son appartenance à une histoire contemporaine, à l’aise dans toutes les dimensions, de l’infiniment petit au monumental.
Métaphores de toujours, les paysages de Min Jung-Yeon évoluent avec elle. Les compositions autrefois entièrement pensées ont cédé la place à un lâcher prise qui cohabitent aujourd’hui étroitement avec la minutie dont l’artiste est capable. Les contraires et leurs luttes, sujets récurrents dans son œuvre, se sont fondus dans une étreinte intime, s’ils ne se dressent pas dans un face à face. Le rapport entre matière et vide présente un équilibre nouveau.
La réalité est songe, et le songe devient réalité. Les saisons passent, les émotions pointent ; les lumières se succèdent et les pensées de même. L’été et ses teintes intenses, ses contrastes puissants et ses mirages cèdent à l’automne et parfois à la nostalgie. Le paysage se vit à l’intérieur, le soleil se fait plus rare, le printemps n’est encore que promesse. Le souvenir que l’on cherchait s’est perdu pour ne laisser que matière, couleur, geste… Le regard scrute, des formes se détachent, se manifestent : falaises, stalactites, stalagmites et tout à coup un trait, une coulure, voir un aplat qui s’impose. Les œuvres se présentent à nous de manière frontale, quasi-scénique et horizontale, mais elles possèdent également une verticalité, celle de strates. Ainsi Min Jung-Yeon installe une temporalité : la sienne.
Pazza Pennello (1987) prolonge Valerio Adami (1935), Koren Gallery
Surprenant rapprochement stylistique entre Pazza Pennello (1987) artiste ukrainienne et Valerio Adami (1935), dont Koren Gallery revendique la coïncidence : « L’idée de réunir l’art de Pazza Pennello et de Valério Adami dans une même exposition découle d’une curiosité artistique profonde et d’un hasard artistique. Pazza Pennello n’a jamais connu le travail de Valério Adami malgré leur ressemblance. Cette rencontre est une invitation à explorer les similitudes et les dissemblances entre ces deux artistes, à saisir les nuances qui émergent lorsque des styles apparemment disparates se rencontrent. En unissant ces deux univers, nous cherchons à stimuler une conversation visuelle qui questionnent les frontières stylistiques, révélant les connexions sous-jacentes qui unissent l’art dans sa diversité. »
Il est difficile en effet de séparer au premier regard les deux œuvres à base d’ aplats aux couleurs acidulées et aux formes cernées par un contour noir qui peuvent faire penser à la ligne claire de la bande dessinée ou aux vitraux des églises. Travail méticuleux sur l’image dessinée, les deux artistes calque, fractionne et agrandit la platitude de notre réalité quotidienne. Sans surprise, Pazza Pennello investit volontiers les questions du féminisme et de la lutte contre le patriarcat. Le corps de la femme illuminé par la lumière se montre seulement dans de cours instant, en abordant confiance, beauté, et toujours en lutte contre le reste de la peinture
Sophie Zénon (1965) Galerie XII
A mi-chemin entre recherches documentaires et plastiques , la mémoire des paysages historiques – souvent meurtries par la violence des hommes – constitue une thématique centrale et un fil conducteur du travail de Sophie Zénon. Le végétal dans ses différentes expressions (la forêt, les arbres, les plantes, les fleurs), y est tour à tour supplicié, marqueur de l’histoire et de ses traces, fragile mais toujours nourricier et renaissant. De ses recherches plastiques naissent des œuvres organiques guidées par les notions de fragilité, d’impermanence et animées par le souffle de la vie. Accordant une place importante à l’expérimentation, à la transversalité des pratiques et à l’hybridation, elle créé des univers combinant échelles macro et micro, temps profond et temps présent. Située à la croisée des arts, de la photographie, de l’estampe, du tissage, de la sculpture et de l’installation, son approche plastique est plurielle et s’articule selon différents protocoles, convoquant tour à tour le corps dans le paysage, les codes de l’herbier et le travail du geste à l’atelier.
Fidèle à sa démarche, c’est sous ce titre énigmatique, « L’herbe aux yeux bleus », que Sophie Zénon présente son dernier opus mené pendant quatre années (2020-2023) dans l’Est de la France autour des plantes dites obsidionales, terme désignant en botanique les végétaux introduits par les armées étrangères pendant les périodes de conflits (guerres napoléoniennes, de 1870, de 14-18 et 39-45). Riches en symbolique et en poésie, les recherches scientifiques autour de ces plantes constituent une entrée originale tant pour souligner notre rapport au vivant que pour aborder la question des migrations sous un angle particulièrement novateur. En travaillant sur ces migrations végétales – et par ricochet sur celles des hommes –, elle se confronte au défi de donner une forme à l’Histoire et convoque des thèmes qui la hantent depuis 15 ans, qu’elle explore et enrichit à chaque nouveau volet : la beauté et l’effroi, la mémoire et l’oubli, la perte et l’absence mais aussi l’ici et le maintenant. Epaulée par des botanistes spécialistes du sujet, elle relie des domaines de connaissance, des règnes naturels et des périodes temporelles par les fils d’une œuvre organique et symbiotique.
Dans une approche multifocale voisinent ainsi des empreintes uniques de plantes (photogrammes), des tirages au charbon d’écorces d’arbres « mitraillés», des sculptures délicates d’estampages sur papier tissés puis modelés, des paysages fantasmés sur voiles semi-transparent, un livre d’artiste aux techniques mixtes (collages, marouflage sur archives photographiques originales des années 20 de photographies tirées sur papier japonais, interventions au lavis, acrylique, terre, pigments, cire), donnant à voir le dessin de la matière dans sa pure et simple beauté.
Stephen Whittaker (1991) By Lara Sedbon
Plus récemment, son travail s’est concentré sur le poids de la tradition et des liens générationnels. La juxtaposition du progrès et de la décadence structurelle, presque toujours au détriment d’un élément naturel. Tel un Georges Perec, il explore la nature surréaliste de l’espace domestique vide. Il se délecte à capter avec minutie les traces de notre vie étriquée coincée dans le désir d’objets. Le matérialisme excessif et sans limites engendre cette existence monotone et vide trop hantés par des aspirations matérielles.
Jean Hélion (1904-1987) Galerie Patrice Trigano
En écho à la remarquable rétrospective au MAM de Paris jusqu’au 18 aout à laquelle la Galerie a prêté plus d’une demi-douzaine d’œuvres, les sept œuvres rassemblées condensent le parcours de ce peintre rarement montré depuis sa disparition en 1987 et invitent à regarder une œuvre qui reste encore assez mystérieuse.
« Ce parcours qui s’étend sur près de soixante ans est celui d’un homme très libre, dont la clé paraît être la constante recherche de liberté – l’évasion –, sans se soucier du goût de son époque. Infatigable, il dessine sans interruption, et ses dessins sont impressionnants de virtuosité. Ses œuvres sont vivantes et souvent drôles, se jouant de la manière dont le comique des situations s’insinue jusque dans le tragique. Hélion montre la coexistence des êtres et des choses, de plusieurs réalités. Leur collision inattendue est non seulement le charme mais le mystère de la vie. Un baiser échangé dans la rue peut faire écho à un objet brisé, une fissure dans un mur mettre en évidence ce que le réel a non seulement de vivant mais ce qu’est le vivant – une chaîne infinie d’images qui se lient à des pensées que cette œuvre nous permet d’entrevoir.
Fabrice Hergott, Présence d’Hélion, introduction du catalogue Paris Musées.
André Masson (1896-1987), Galerie Jacques Bailly
Magnifique introduction à la rétrospective du Centre Pompidou-Metz jusqu’au 2 septembre, André Masson est présenté dans toute les facettes de son art pluridisciplinaire pour mieux investir « une œuvre qui reste encore à lire dans la puissance de sa globalité » pour reprendre la belle formule de la commissaire Chiara Paris du Centre Pompidou Metz.
Peintre expérimentateur de techniques nouvelles et dessinateur hors-pair, Masson fut aussi sculpteur, créateur de décors de théâtre et d’opéra, critique d’art, lecteur insatiable à la culture encyclopédique, féru de mythologie et de philosophie occidentale et extrême-orientale, poète et écrivain remarquable. Esprit libre et révolté, son œuvre est traversé par la conviction profonde que « la seule justification d’une œuvre d’art […] est de contribuer à l’élargissement de l’homme, à la transmutation de toutes les valeurs, à la dénonciation de l’hypocrisie sociale, morale et religieuse et par conséquent à la dénonciation de la classe dominante, responsable de la guerre impérialiste et de la régression fasciste » extrait du catalogue Il n’y a pas de monde achevé.
Jacqueline (1920-2009) et Jean (1913-1992) Lerat (Galerie Capazza Art)
« Une vie sur terre » écrit Bernard Noël dans une belle monographie dédiée au duo artistique Jacqueline Lerat et Jean Lerat. Etablis dans le Cher, ils optent pour l’utilisation du grès et la cuisson au bois, un mode d’expression artistique qui revitalise la tradition séculaire des potiers établis dans une région depuis le XVIe siècle. Dès les années 1950, ce couple forme un duo artistique qui révolutionne le mouvement de la céramique moderne, en particulier dans les domaines de la sculpture et de l’abstraction. couvrant la période des années 1950 aux années 2000, leurs objets tels que vases, pots et coupes se libèrent de leur fonction utilitaire et certaines figures vont évoluer vers le statut d’œuvres d’art abstraites à part entière.
Le matériau, ici, n’est évidemment pas sans jouer un rôle, lui qui rappelle l’origine et son élément, mais beaucoup plus que cette signification lointaine s’impose le fait que la chair première ne saurait prendre forme sans que la main y fasse pénétrer la chose fugitive et mouvante qui dilue son haleine dans l’épaisseur et s’y fait un jour reconnaître à travers la sur[1]face, pour l’un comme la beauté, pour l’autre comme le sens. Il est capital que cette reconnaissance dépende autant de la rencontre d’un regard que de la qualité du travail afin que soit conservée à l’artiste la liberté d’être incompris, privilège que refuse l’artiste officiel par sa volonté de régler d’avance la réception de son œuvre. En assumant modestement leur fonction, mais en ne cessant de la déborder dans le regard qu’elles appellent, les céramiques de Jacqueline et Jean Lerat opposent les exigences de la relation aux passades de l’actualité…
Bernard Noël, Une vie sur terre, Galerie Capazza.