Vins & spirits

Calvados Roger Groult : des spiritueux normands pour gourmets

Auteur : Pierre d’Ornano
Article publié le 5 septembre 2018 à 21 h 36 min – Mis à jour le 26 août 2019 à 9 h 26 min

Si le Calvados est encore, parfois, associé en France à la rudesse de certaines gnôles et au « café-calva » des comptoirs en formica, cette eau-de-vie de pomme, et aussi de poire, fabriquée à base de cidre distillé fait pourtant partie des « must » dans d’autres pays, comme en Russie ou en Allemagne. Singular’s a visité le domaine familial Groult, producteur de Calvados qui rivalisent avec les meilleurs spiritueux du sud-ouest.
Sur les quelques 300 producteurs normands de Calvados des trois appellations : « Calvados », « Pays d’Auge » et « Domfrontais », 90% sont de petites exploitations familiales. Mais le plus gros des volumes est produit par une quinzaine de distilleries qui appartiennent à de grands groupes de spiritueux, comme Spirit France ou la Martiniquaise. Parmi les maisons familiales, au fil des générations certaines ont développé et appliqué un savoir-faire qui positionne cette eau-de-vie de terroir dans le haut de gamme des spiritueux, sans afficher des niveaux de prix stratosphériques. Au risque de tutoyer l’anachronisme, le calvados aurait mérité mieux si Colbert ne s’en était pas mêlé…
Un des vergers de pommiers attenant au Domaine Calvados
Un des vergers de pommiers attenant au Domaine Calvados Roger Groult. Photo © Pierre d’Ornano

Quand Colbert tua le marché

« Au 17e Siècle le Calvados dépassait en volume le Cognac, produit « noble » alors que le Calvados était un alcool d’origine paysanne. Et son ascension fut stoppée nette par Jean-Baptiste Colbert (1619-1683) [NDLR: Châtelain à Blainville-sur-Orne et ministre de Louis XIV] qui interdit la sortie du « calva » du territoire de Normandie. Puis les réquisitions lors des deux guerres mondiales des stocks d’alcool destinés aux explosifs et pour faire sécher la poudre à canon contribuèrent à affaiblir encore le marché » déplore, avec un certain regret, mais sans amertume Jean-Roger Groult.

Fils de Jean-Pierre, et représentant la cinquième génération, Jean-Roger Groult (prépa HEC puis Ecole de commerce à Rennes) gère le domaine depuis 1997 et perpétue une tradition, hissée au rang de stratégie d’entreprise, qui vise à associer l’image de marque des Calvados du domaine au terroir et à la typicité de l’appellation. D’où une « production authentique et méticuleuse des eaux-de-vie » qui passe notamment par des procédés de fabrication traditionnels. On retrouve, en visitant les installations du domaine Roger Groult, la même ambiance et la technicité des grands crus viticoles. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si Jean-Roger Groult est un des membres du Club Vignobles & Signatures qui regroupe 17 vignerons emblématiques des terroirs viticoles français.

Un des Chais de vieillissement du Domaine Calvados

Un des Chais de vieillissement du Domaine Calvados Roger Groult. Photo © Pierre d’Ornano

Roger Groult : l’union de la tradition et de la modernité

Sis à Saint-Cyr du Ronceray, à quelques kilomètres au sud de Lisieux, en Pays d’Auge, le domaine familial Roger Groult du Clos de la Hurvanière s’inscrit dans un lignage de tradition et de modernité. Ici la pérennité et l’ascension qualitative résultent du choix de demeurer une entreprise artisanale ce qui n’exclut pas la modernité, autre fil conducteur des Groult qui ont su marier inventivité et tradition.

cinq générations de producteurs de Calvados
La lignée des Groult, cinq générations de producteurs de Calvados. Photo © Pierre d’Ornano

De Pierre Groult (1830-1918), qui choisit de distiller le cidre du domaine et de faire vieillir l’eau-de-vie en fûts de chêne, fondant ainsi le Calvados Groult, à Jean-Roger Groult, qui gère aujourd’hui la propriété, cinq générations ont ainsi apporté leur pierre à l’édifice.

L’un des plus marquants fut Roger Groult (1905-1988), véritable précurseur, qui mit au point en 1960 une plate-forme (photo ci-dessous) avec un système d’écoulement des fruits par gravitation, via des rigoles, pour optimiser le processus de fabrication et éviter l’écrasement des fruits et la macération dans le jus. Outre qu’il donna une dimension « industrielle » et qu’il augmenta la taille de la distillerie, Roger Groult contribua à développer la renommée nationale et le prestige de ses spiritueux normands. Il recruta des VRP sur les secteurs forts de la gastronomie (Paris, Lyon, la Champagne et la Bourgogne). Il fit également réaliser une étiquette pour les Calvados dédiés au restaurant parisien Fauchon. Son fils Jean-Pierre développa les ventes à l’étrangers à partir des années 1970.

Le système de rigoles mis au point par Roger Groult
Le système de rigoles mis au point par Roger Groult. Les fruits récoltés (on les ramasse d’octobre à décembre en fonction des différentes maturités des variétés, dont la plus tardive est la noël des champs) sont déposés sur la plateforme pouvant accueillir jusqu’à 250 tonnes de pommes, d’où ils sont transportés vers le pressoir. Photo © Pierre d’Ornano

Jean-Roger a lui pérennisé la double distillation au feu de bois et les autres méthodes traditionnelles de production. Il a également développé une gamme d’eau-de-vie vieillies dans des fûts ayant contenu des brandies, des jurançons et des whiskies. Enfin, il commercialise depuis 2015 un cidre très singulier, en petites quantités.

Le procédé de double distillation,

Ce tableau, affiché dans la distillerie du domaine, explique le procédé de double distillation, comme à Cognac. Photo © Pierre d’Ornano

Comment allier puissance et finesse dans un spiritueux de bocages

Mais revenons sur l’histoire et les spécificités du Calvados du Domaine Roger Groult qui reflètent les caractères issus des critères du cahier des charges de l’appellation. Le Pays d’Auge a le premier obtenu en 1942 l’appellation d’origine contrôlée (AOC). La France était alors occupée par les troupes allemandes. Ces dernières réquisitionnaient le cuivre des alambics et les alcools. Les eaux-de-vie classées échappant aux réquisitions, le classement était opportun. Selon le cahier des charges de l’AOC, 70% des pommes doivent provenir de variétés locales dites phénoliques (avec des tannins, donc les pommes amères et douces-amères), 20% de pommes douces et 10% maximum de pommes acidulées. Les pommes douces-amères, riches en sucre, apportent une teneur en alcool élevée. Les aigres donnent de la fraîcheur au cidre de base, et sont moins sensibles aux maladies. Et c’est le « corps », la structure qui est recherchée dans les pommes amères.

Flacons de « petite eau » à 32,4% vol et de « calvados » à plus de 70,5% vol
Flacons de « petite eau » à 32,4% vol et de « calvados » à plus de 70,5% vol. Photo © Pierre d’Ornano

« Le mélange de ces variétés*, qui donne une véritable typicité, ne se retrouve que dans les eaux-de-vie du Pays d’Auge. Il apporte de la fraîcheur en bouche. En outre, la fermentation naturelle évite la piqûre acétique. Pour cela il faut obligatoirement que les fruits cueillis soient propres », précise Jean-Roger Groult. Lors de la récolte les pommes, ramassées alors qu’elles ne sont pas encore totalement mures – pour qu’il y ait encore de l’amidon qui se transformera en sucre, puis en alcool lors de la fermentation – sont triées une première fois dans le verger, puis déposées sur la plate-forme inventée par Roger Groult. De là elles sont transportées par canalisation jusqu’au pressoir.

* 30 variétés de pommes à cidre sont utilisées (produites ou achetées) par Jean-Roger Groult parmi lesquelles l’antoinette, la fréquin rouge, la bisquet, la moulin à vent (pommes amères et douces-amères, 70% de la production), la bedan, la noël des champs (pommes douces, 20%), la rambaud, la rené martin (pommes acidulées, 10%).

Après lavage, broyage et pressurage des pommes
De la zone de stockage sur les rigoles jusqu’au brouilli (après lavage, broyage et pressurage des pommes). Photo © Pierre d’Ornano

Précisons que cette appellation est réservée à la zone géographique du Pays d’Auge qui s’étend, en Normandie, de l’est du département du Calvados jusqu’à certaines communes de l’Orne et de l’Eure. En plus du territoire délimité doté de caractéristiques propres, ne peut se référer de l’AOC que le Calvados distillé dans un alambic traditionnel à repasse. Une méthode qui permet de préserver au maximum les qualités naturelles du fruit et apporte la puissance et la finesse, mais aussi la subtilité, la saveur et la longueur en bouche propres à garantir les meilleures qualités d’eaux-de-vie. Une méthode, qui avec la chauffe au bois, apporte de la précision dont a besoin le maître de chais pour produire les eau-de-vie les plus proches des palettes aromatiques recherchées.

Les deux alambics à repasse du domaine Groult

Les deux alambics à repasse du domaine Groult. Photo © Pierre d’Ornano

Une large gamme : typicité et élégance

Le Domaine Groult s’étend sur 32 hectares dont 24 de vergers plantés de plus de 6000 pommiers (15 hectares de pommiers traditionnels « hautes tiges », 9 hectares de pommiers « basses tiges »). La moitié des pommes (300 tonnes en moyenne par an) est produite dans les vergers du domaine, l’autre moitié est achetée sur Lisieux, Orbec, Livarot. Huit salariés avec le maître de chai, dont deux à mi-temps, travaillent dans l’exploitation. La récolte des pommes s’étale sur 3 mois et la distillation se fait également pendant 3 mois avant que les produits partent aux chais de vieillissement. La distillation au feu de bois implique le travail au 3×8 pendant trois mois, du lundi au vendredi.

Une sélection représentative du domaine Groult : « Réserve ancestrale », « Vénérable », « 3 ans d’âge ». Photo © Pierre d’Ornano

La société produit aujourd’hui en moyenne 60 000 bouteilles de Calvados par récolte et en commercialise 50 000. « Nous souhaitons conserver des produits pour enrichir notre stock qui représente aujourd’hui 20 ans de chiffre d’affaires, même si les ventes de 20 ans d’âge sont assez importantes » précise Jean-Roger Groult. Plus de la moitié des ventes, jusqu’à 60 %, est réalisée à l’exportation.

Les tarifs vont de 30 € à 350 € pour la cuvée d’exception provenant de fûts jamais vidés depuis le 19è siècle, contenant jusqu’à 60 millésimes.

Notes de dégustation de trois Calvados emblématiques du domaine, et du cidre

• Le Réserve 3 ans d’âge
Un assemblage, de couleur jaune clair, vieilli en fûts de chêne roux français, qui offre toute l’expression du Calvados et du fruit dans sa plus grande simplicité, avec un nez floral généreux. On y retrouve la pomme verte caractéristique. L’attaque en bouche est franche sans être agressive. On ne sent pas l’alcool. Une eau de vie sur la fraîcheur, avec une présence agréable et de la longueur en bouche, parfait pour un apéritif.

• Le Vénérable
Avec cette cuvée, aux reflets tuilés, issue d’un assemblage d’eaux-de-vie de plus de 18 ans, vieilli en vieux fûts de chêne roux français, le Domaine Groult offre un produit qui allie une grande expression aromatique, un bel équilibre acidité/sucre et de l’élégance. Le nez est complexe, avec des pointes de poivre. On trouve des pommes cuites, des épices et des notes de zeste d’orange amère. La bouche est empreinte d’une certaine amertume, mais la finesse l’emporte et la longueur est persistante avec, en finale, des notes de pain d’épices. Soulignons que Vénérable a été élu World’s best Calvados au World Calvados Awards 2019.

• Le Réserve ancestrale
Cet assemblage à la couleur acajou, vieilli en vieux fûts de chêne roux français, recueille les plus anciennes eaux-de-vie du domaine. Elles datent de l’époque de Pierre Groult (1830-1918). La subtilité et l’élégance caractérisent la Réserve Ancestrale. Au nez, le bois est présent, car l’élevage en petites barriques donne plus à la part des anges (évaporation), mais fondu. S’ajoutent des arômes de café, d’épices et de cannelle sur fond de tarte tatin. La bouche offre une matière agréable et de la puissance. On y retrouve les épices et de la noix avec une belle longueur. Afin de ne pas perdre la souche plus que centenaire de Calvados la Réserve Ancestrale est produite en petites quantités.

Le cidre Les grisettes, Grande Cuvée (2017)…
Un produit fait avec une sélection de 7 variétés de pommes ramassées à maturité. Les fruits sont mis en cagettes et conservés pendant 4 à 6 semaines avant pressage. Ce cidre est rustique et « terroir ». Le nez est légèrement mentholé. Les arômes de coing l’emportent sur ceux de la pomme. C’est un brut mais fruité et pas amer. En bouche, les bulles sont fines et il offre une belle pointe acidulée.

Jean-Roger Groult dans un des plus anciens chais où reposent des millésimes centenaires

Jean-Roger Groult dans un des plus anciens chais où reposent des millésimes centenaires. Photo © Pierre d’Ornano

Crédits photo : Pierre d’Ornano

Où les acheter, la gamme et les tarifs…

Au domaine :

Calvados Roger Groult
Route des Calvados, 14290 – Saint-Cyr-du-Ronceray
Tél.: 02 31 63 71 53

Cavistes :

– A Paris : Lavinia, la Cave du Roi
–…

Au domaine :

Calvados Roger Groult
Route des Calvados, 14290 – Saint-Cyr-du-Ronceray
Tél.: 02 31 63 71 53

Cavistes :

– A Paris : Lavinia, la Cave du Roi
– A Rouen : la caves Jeanne d’Arc à depuis 1961 la vente exclusive des calvados Groult.

Restaurants :

Chez Jeannette
47 Rue du Faubourg Saint-Denis, 75010 Paris
Tél.: 01 47 70 30 89

Plaza Athénée
25 Avenue Montaigne, 75008 Paris
Tél.: 01 53 67 66 65

Allard (Lucas) au quartier Latin
41 Rue Saint-André des Arts, 75006 Paris
Tél.: 01 58 00 23 42

La cuvée 2017 (récolte 2015) est disponible, mais en petite quantité (5000 cols produits).

Prix propriété : 10 €

La gamme et les distinctions

Réserve 3 ans d’âge
-World Drinks Awards (2014 & 2016) :  « Meilleur calvados du monde »
-Médaille d’or au Concours de Calvados de Vimoutiers (2010)

Prix propriété : 25 € (70 cl)

8 ans d’âge
-Médaille d’or (catégorie Calvados de 8 à 12 ans) à l’International Wine & Spirit Competition (août 2014) :
– Note de 95pts / 100 décernée « Extraordinary, ultimate recommendation » à l’Ultimate Beverage Challenge of New York (mars 2010)

Prix propriété : 45 €

12 ans d’âge
-Note de 93pts / 100 décernée à l’Ultimate Spirits Challenge (2015) : « Excellent, highly, recommended »
-Médaille d’argent (catégorie Calvados de 8 à 12 ans) à l’International Wine & Spirit Competition (août 2014) :

Prix propriété : 55 €

Vénérable (plus de 18 ans d’âge)
-Mention exception (catégorie Calvados de 18 à 20 ans) reçue à l’International Wine & Spirit Competition (août 2014)
-2ème Meilleur Calvados du monde (Médaille d’argent) aux World Drinks Awards (2014)
-World’s best Calvados au World Calvados Awards 2019

Prix propriété : 70 €

Âge d’Or
-Note de 95pts / 100 « Superb  / Highly Recommended » décernée par le Wine Enthusiast Magazine (janvier 2008)

Prix propriété : 95 €

Doyen d’Âge
-Prix du meilleur Calvados décerné par le Food & Wine Magazine, « Spirit of the Year » (2000)

Prix propriété : 125 €

Réserve Ancestrale

Prix propriété : 280 €

La gamme a été complétée par une expérience innovante de Jean-Roger Groult avec trois Calvados « insolites », affinés plus d’un an en fûts ayant contenus d’autres alcools (Whisky, Sherry, Jurançon…). Les premières cuvées ont été mises en bouteille en 2017.

Calvados Insolite affiné en fûts de Whisky Breton (Pays d’Auge de 9 ans, à 46% vol.)

Prix propriété : 70 € / Edition limitée, bouteilles numérotées

Calvados Insolite affiné fûts de Jurançon (Pays d’Auge de 9 ans, à 46% vol.)

Prix propriété : 70 € / Edition limitée, bouteilles numérotées

Calvados Insolite affiné en fûts de Sherry (Pays d’Auge de 11 ans, à 46% vol.)

Prix propriété : 70 € / Edition limitée, bouteilles numérotées

•  Cidre Les grisettes, Grande Cuvée

La cuvée 2017 (récolte 2015) est disponible, mais en petite quantité (5000 cols produits).

Prix propriété : 10 €

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