Camus - Casarès, une géographie amoureuse, de et avec Jean-Marie Galey et Teresa Ovidio (Théâtre de la Scala)

Jusqu’au 29 janvier 2023. Vendredi et samedi, 19h30 et dimanche, 14H30, La Piccola Scala, 13, boulevard de Strasbourg, 75010 Paris – Tél. : +33 (0)1 40 03 44 30

Dans la petite salle du Théâtre de la Scala, Jean-Marie Galey et Teresa Ovidio incarnent la passion qui unirent Albert Camus et Maria Casarès, à partir de la Correspondance (éditée en 2017 par Gallimard) que l’écrivain et l’actrice échangèrent pendant plus de 15 ans dès leur rencontre amoureuse en 1944 jusqu’au décès de Camus en 1959. Tout un pan de l’histoire littéraire d’après-guerre est évoqué à travers cette Géographie amoureuse de deux êtres hors normes du XXe siècle. Un spectacle poétique et un grand bonheur littéraire jusqu’au 29 janvier 23

Une immense icone théâtrale

En 1989, Maria Casarès jouait La vie que je t’ai donné de Pirandello, le rôle d’une mère qui ne se remet pas de la mort de son fils. Jeune venue dans le théâtre, j’effectuais un stage au Théâtre Hébertôt, moi la petite stagiaire, la jeune comédienne, j’étais face à un mythe, une tragédienne hors pair qui avait débuté sa carrière en 1942 … dans le même théâtre.

En découvrant le spectacle, la magnifique interprétation de Teresa Ovidio revient en ma mémoire, la force de cette personnalité magnétique. Les regrets affleurent de ne pas avoir eu des conversations plus profondes avec elle, et de ne pas m’être plus intéressée à sa vie. Sa carrière m’était plus familière même si je n’ai eu la chance de découvrir qu’une étroite facette de l’actrice, mais je mesurais mal la femme – et sa passion pour Camus – qui se cachait derrière ses forces et ses faiblesses.

Camus – Casarès, une géographie amoureuse, de et avec Jean-Marie Galey et Teresa Ovidio (Théâtre de la Scala) Photo Frédéric Buira

Une « géographie amoureuse » frémissante

De 1944, date de leur première rencontre jusqu’ aux derniers jours de l’année 1959 – il décède quelques jours plus tard dans un accident de voiture, Camus et Casarès n’ont cessé de s’écrire (en témoigne l’édition Gallimard réunie par Catherine Camus, sa fille qui compte plus de 1300 pages !). Ils se rencontrent le 6 août 1944, entament une relation passionnée lors des répétitions du Malentendu, dont Camus a confié à Casarès le rôle de Martha pour la création.  Ils la poursuivent jusqu’au retour de Francine, l’épouse d’Albert resté à Oran. Ils se retrouvent en 1948. C’est cette « géographie amoureuse » qui nous ait proposé dans une mise en scène fluide de Elisabeth cailloux qui tient compte de la disposition scénique très resserrée du plateau, où les corps ne cessent de se croiser.

Il y a longtemps que je ne t’ai pas écrit, mon chéri. La vérité c’est que je ne sais plus que t’écrire ; tout ce qu’il y a en moi pour toi, il faut que je te le dise, que je te le crie. […]
Je ne lis plus : je ne peux plus lire.
 Je ne me promène plus : j’ai l’impression que quelque chose peut arriver à l’hôtel pendant mon absence.
Je pense à toi, à nous, à ces jours qui viennent, j’attends le courrier, j’imagine, j’organise et chaque soir, en me couchant, je me dis : « Comment ! nous ne sommes pas encore au 10 ?!
Maria Casarès, Giverny, 3 septembre 1948

La passion, le manque, le désir, la jalousie transpirent des lettres enflammées.
Mais aussi leur vie professionnelle, les tournées pour Maria, les sorties de livre, le prix Nobel pour Albert qui doit aussi gérer les sentiments de sa femme, sa jalousie, sa douleur à elle.

Un temps viendra où malgré toutes les douleurs nous serons légers, joyeux et véridiques.
Albert Camus à Maria Casarès, 26 février 1950.

La quête de la parfaite formulation du véritable amour

Teresa Ovidio incarne une Maria Casarès, passionnément amoureuse de Calus dans cette Géographie amoureuse (Théâtre de la Scala) Photo Frédéric Buira

Au-delà du couple d’amants peu clandestins qu’ils forment, l’Histoire passe, de la Libération à la guerre d’Algérie, leurs voyages et les jours partagés.

Un mot pour te rassurer, mon amour. Le voyage s’est bien passé. Et même sur la mer, mauvaise mais pleine de bonne énergie, je me suis retrouvé pendant quelques heures tel que j’étais avant de tomber dans le marasme. Ici, le beau ciel, le vent, le soleil, la mer à tous les tournants, les nuits pleines de l’odeur des glycines m’aident à vivre, il me semble. Sans parler de ma mère, un peu vieillie, mais toujours alerte et que j’aime. Il y a bien sûr le reste, les patrouilles perpétuelles, les barrages, les tramways grillagés, la guerre en un mot. Mais même ainsi cela vaut mieux que l’inconscience et la sottise de Paris.

Albert Camus, Alger, dimanche 30 mars 1958.

Jean-Marie Galey joue un Camus fragile et profond face à une Casarès exubérante dans  cette géographie amoureuse (Théâtre de la Scala) Photo Frédéric Buira

Un duo théâtral magnifique

La réplique de Jean-Marie Galey, qui incarne un Camus, fragile et profond est émouvante face à l’intensité brûlante et exubérante de Teresa Ovidio. De cette monumentale Correspondance, le duo a retenu toute la complexité de cette relation adultère qu’il restitue dans une sensibilité toute en variations, sur un fond passionnant d’une vie culturelle intense, chacun n’ayant pas renoncé à son métier ni à son ascension.
Leur prestation donne une irrésitible envie de se plonger dans l’intégralité de cette Correspondance exaltée.

#Patricia de Figueiredo

https://youtu.be/XjIWFMbO2zk