Cavalières, de et avec d’Isabelle Lafon (Théâtre de la Colline)

Impertinentes et audacieuses, et une capacité à monter facilement sur leurs « grands chevaux » : il faut entendre « Cavalières » au sens propre et figuré. La pièce conçue, mise en scène et jouée d’Isabelle Lafon entourée par Sarah Brannens, Karyll Elgrichi, Johanna Korthals Altes  « tend la longe qui lie le cheval au cavalier » au Théâtre de la Colline, jusqu’au 31 mars 2024. Jean de Fautrier ne voulait pas garder pour lui la forte impression que lui a fait ce spectacle exemplaire tant pour la qualité d’une parole habitée entre texte et improvisation, que l’habilité du jeu des quatre comédiennes.

Un réel suspense

Un présage enfle dès que le silence se fait dans la salle au moment où une clarté solaire rectangulaire marque avec densité l’ouverture d’un décor qui n’existe pas : il va se passer quelque-chose. Quatre femmes s’avancent alors vers le devant de la scène dépouillée du Théâtre de la Colline, inutile de les éclairer tant une lumière les entoure comme un halo qui se fera de mots dans quelques secondes.

Karyll Elgrichi, Johanna Korthals Altes, Sarah Brannens et Isabelle Lafon sont « Cavalières » au Théâtre de la Colline Photo Laurent Schneegans

Une parole libre et collective

L’une d’entre elles prend la parole, aussitôt la force mais aussi le facétieux s’adossent à une célérité discursive impressionnante pour littéralement emplir tout l’espace d’un texte touchant et déterminé, infatigable. Les trois autres entrent alors dans la chorégraphie de la première mais, au final, un monde d’autant réel qu’il compense une réalité que chacune a contournée sans la fuir émerge et fait récit, un monde réel du vivre plus avec qu’ensemble.

Cavalières, de et avec d’Isabelle Lafon (Théâtre de la Colline) Photo Laurent Schneegans

Pluralités conjuguées

Quand on dit quatre femmes, il faudrait ajouter un autre personnage, visuellement absent celui-là (on a envie de dire celle-là), une petite fille différente que la première confie alternativement aux autres, toutes se retrouvant tantôt dans le dérisoire tantôt dans l’existentiel essentiel. L’unité de lieu, sobre, laisse une ample place à une pluralité de temporalités que chacune des quatre porte avec elle et qu’elle traduit pour les autres, toutes partageant en restant elles-mêmes.

Cavalières, de et avec d’Isabelle Lafon (Théâtre de la Colline) Photo Laurent Schneegans

L’autrice, Isabelle Lafon nous tend la longe qui lie le cheval au cavalier, en l’occurrence quatre cavalières sans apocalypse aucune, nous la saisissons en suivant le jeu des polysémies de mots que la grammaire tente de réguler, le texte et les paroles des actrices est à la fois guidé et très libre.

Cavalières, de et avec d’Isabelle Lafon (Théâtre de la Colline) Photo Laurent Schneegans

Le théâtre trouve grâce dans une création comme Cavalières, une grâce due à Isabelle Lafon et aux trois autres comédiennes complices (Sarah Brannens, Karyll Elgrichi, Johanna Korthals Altes) à ses côtés.  Le collectif laisse sourdre une profonde proximité et un respect infini de l’autre dans une singularité augmentée par leur dialogue.

Cela importe les questions que nous utilisons pour penser d’autres questions, cela importe les histoires que nous prenons pour raconter d’autres histoires […] Quelles pensées pensent les pensées ? Quelles descriptions décrivent les descriptions ?
Donna Haraway, Habiter le trouble, Éditions Gallimard, 2019

#Jean de Faultrier

Jusqu’au 31 mars 2024, Théâtre de la Colline, 15 rue Malte Brun, Paris 20ème – Tél. : + 33 1 44 62 52 52 et billetterie.colline.fr
du mercredi au samedi à 20h30, le mardi à 19h30 et le dimanche à 15h30

conception et mise en scène : Isabelle Lafon
écriture et jeu : Sarah Brannens, Karyll Elgrichi, Johanna Korthals Altes, Isabelle Lafon
lumières : Laurent Schneegans – costumes : Isabelle Flosi