Cinéma : A Free Soul (Âmes Libres) de Clarence Brown (1931)
En ces temps de pénurie cinématographique, encore qu’elle soit tout de même relative si vous êtes parisien, il est possible de découvrir en salles une série de films tirés de la naphtaline de catalogues endormis, dont celui des studios Warner. “A Free Soul” (“Âmes Libres”) est un de ces mélodrames à l’élégance surannée tiré de la période dite “pré-code” Hays. Entendez par là, avant l’autocensure instaurée par les studios….
Un mélomane « pré-code » Hays
De son titre original « A Code To Goven The Making Of Motion Pictures », cette autocensure conforte une chape de moralité aux multiples interdits (pas de lit simple en présence d’un couple, …) qui régentera le contenu (surtout sexuel)de la production des studios hollywoodiens. Il est rédigé en 1927, réellement appliqué en 1934 jusqu’à son abolition en 1967.
Plus connu sous le « code Hays » du nom du sénateur William Hays ( 1879 – 1954), il fut pour certains réalisateurs l’occasion d’aiguiser leur créativité grâce à des plans tout en allusion subliminale plus ou moins délicate. Certains exemples restent célèbres, comme le train fumant pénétrant dans un tunnel pour signifier le repos tant désiré de Gary Grant et d’Eva Maire Saint à la fin de ”La Mort aux Trousses” ou la visite de la chambre de sa ‘maitresse’ par la diabolique servante de « Rebecca » (les deux d’Alfred Hitchcock), sans oublier la tirade de Laurence Olivier aux thermes avec Tony Curtis dans “Spartacus” (Stanley Kubrick) au sujet de son goût indifférencié pour les huîtres ou les escargots allusion à sa bisexualité…
Une ouverture à la moralité ambigüe
Dès sa séquence d’ouverture d’une ambivalence qui frôle le soupçon d’inceste, “Âmes Libres” (le passage du titre original au singulier au pluriel en VF est loin d’être anecdotique) nous informe de la très grande proximité filiale entre un père avocat alcoolique sur le déclin et sa fille chérie. Orpheline de mère depuis sa naissance, Jan Ashe a été éduquée en vertu d’un précepte de liberté inconditionnelle, se moquant avec jubilation des convenances de son milieu social corseté. Jusqu’à ce qu’elle “s’émancipe” dans les bras d’un truand notoire provoquant la dislocation de son insouciance de jeune femme et un drôle de pacte sera conclu entre le père et sa fille, ce qu’éclaire le titre original.
Le charme du film tient à son alchimie valorisée par son cachet d’époque estampillé « 100% Age d’or Hollywood années 30 » : la qualité de son écriture et ses dialogues tirés au cordeau ; la modernité du propos et la cerise sur le gâteau, un quatuor d’acteurs particulièrement brillant emmené par la pétillante élégance Norma Shearer, Lionel Barrymore, Clark Gable et Leslie Howard !
Incarnation étincelante du glamour de cet âge d’or, l’épouse de l’immense producteur (pratiquement jamais crédité) Irving Thalberg est ici au sommet de sa gloire de star adulée.
Clarence Brown, dont la filmographie prolifique survole l’âge d’or d’Hollywood avec plus de 50 films, fut l’un des réalisateurs fétiches de Greta Garbo. Il dirige ici Lionel Barrymore, oui grand-oncle de Drew Barrymore, qui décrocha un Oscar pour son rôle d’avocat alcoolique.
Leslie Howard, l’amour éternellement frustré de Scarlett O’Hara dans “Autant en emporte le vent”, ici déjà confronté au futur Rhett Butler, est parfaitement convaincant dans son rôle d’amoureux inconditionnel prêt à tous les sacrifices.
Quant à Clark Gable son rôle de gangster lui servira de rampe de lancement notamment pour son rôle dans le mythique « Gone with the wind »
Que retenir pour ne pas rater l’occasion ? un ravissement légèrement teinté d’une douce mélancolie certainement dûe à ce que ce film tiré des limbes du patrimoine Warner nous rappelle que le temps passe et que la postérité peut-être sans pitié.
Un tremplin pour le casting d’Autant en emporte le vent’
Lorsque David O’Selznick, autre producteur iconique de l’âge d’or d’Hollywood, lancera l’immense chantier « Autant en emporte le vent”, il sondera le cœur de l’Amérique entière pour le casting.
Il demandera au peuple américain qui doit obtenir le premier rôle masculin ? D’une seule voix, le pays scandera le nom de Clark Gable. Quant au rôle de Scarlett moins d’une décennie après “A Free Soul” le peuple américain, versatile, refusera qu’il soit accordé à Norma Shearer. Ce qui obligera le producteur à lancer un concours géant à travers tout le pays qui durera de très longs mois… mais c’est une autre histoire.