Cinéma en salles : After Blue (Paradis Sale), de Bertrand Mandico (2022)

avec Paula Luna, Elina Löwensohn, Agata Buzek, Vimala Pons, 127 mn

Après l’éblouissement extatique de sa folle adaptation de William Burroughs Les Garçons Sauvages en 2017, le réalisateur Bertrand Mandico nous percute à nouveau les rétines avec sa nouvelle bombe sensorielle, After Blue (Paradis Sale).

Bertrand Mandico est issu des rangs de la très réputée école de l’image Les Gobelins. Plasticien pictural, ses visions cinématographiques engendrent des sensations de voyage cérébral psychédélico-surréaliste. Les Garçons Sauvages, son ébouriffante réalisation de 2017 nous avait hypnotisé le cortex.

After Blue (Paradis Sale), une nouvelle déflagration

Mandico manie avec le même brio la forme psychédélique et le fond psycho-métaphysique pas loin d’un Alejandro Jodorowsky  période La Montagne Sacrée mâtiné d’un Guy Maddin (Winnipeg mon amour)
En insufflant dans ses images un condensé de tout ce que l’esthétique du cinéma ainsi qu’une certaine culture pop déjantée a pu apporter, il parvient à nous plonger dans un fascinant rêve aux atours cauchemardesques que certains jugeront déroutant voire maniéré et prétentieux. Il se dégage pourtant de cette façon ultra nourrie une poésie qui subjugue les sens rétiniens.
L’accompagnement d’une musique tout autant électronique qu’orchestralement classieuse insuffle aux images proprement sidérantes une ampleur cinématographique envoutante. Tous ces superlatifs ne donnent qu’une petite idée de la geste d’un maître visuel. Chaque plan semble tiré d’un chromo remanié au pinceau électronique.

« Rien n’est fait, tout est à faire »

Les phrases qui s’affichent en guise de postface résument laconiquement un certain esprit libertaire. En transposant un genre essoré, en l’occurrence le western, dans un monde lointain qui pourrait ressembler à une de ces planètes visitées par le Capitaine Kirk et son équipage de l’Enterprise, Bertrand Mandico nous transporte littéralement dans un univers peuplé uniquement de femmes (à l’exception d’un androïde masculin), dont la fantasmagorie érotique n’est pas la moindre des facettes. Des jeux de mains à des regards et des corps à corps ambiguës ne cessent de nous projeter au cœur d’un désir inassouvi.
« Les néo-westerns ayant largement fleuri (soit réalistes, soit post-italiens), cela n’avait aucun sens pour moi de tourné un récit situé en Amérique du Nord au XIXème siècle. revendique le réalisateur sur France Culture, Plan Large le 19 février. Je voulais tordre la référence, lui faire dire autre chose, faire muter le western vers la Fantasy. J’ai donc adapté mon western en récit de science-fiction. Et, c’est essentiel, j’ai travaillé sur une inversion du casting, qui est devenu exclusivement féminin à l’exception d’un rôle, féminin à l’origine, devenu androïde-polymorphe ».

« L’avenir est femme, l’avenir est sorcière ».

Zora (Elina Löwensohn) et sa fille Roxy (Paula Luna) sont sommées par la milice détentrice de la loi de tuer la figure maléfique et obsédante de Kate Bush (Agata Buzek) personnage (rien à voir bien évidemment avec l’artiste britannique), désigné ainsi semble-t-il pour son “buisson”.
Au centre de son pubis se trouve un troisième œil, dont je ne vous ferai pas l’affront de vous traduire la teneur hautement symbolique. Celle-ci considérée comme le mal absolu est condamnée à la noyade enterrée dans le sable. Seulement la jeune Roxy, affublée du sobriquet Toxique, va désensabler la sorcière honnie et provoquer la colère des gardiennes de l’autorité. Une rencontre avec Sternberg (diablement incarnée par la divine Vimala Pons) auto-proclamée peintre de la deuxième avant-garde sera déterminante et conduira la jeune Roxy Toxique à l’émancipation.
Sous des airs de désastre sublimé aux paillettes et aux retouches diffractées, de son exoplanète, Mandico nous prouve qu’il est l’un des plus grands poètes, si ce n’est le plus fou, de l’image cinématographique française actuelle.

#CalistoDobson