Cinéma en salles : La montagne, Thomas Salvador (2023)
« Vous voyez ce que j’ai en moins mais moi, je sens ce que j’ai en plus » répondait Maurice Herzog à un journaliste qui l’interrogeait sur son amputation des doigts et des orteils après une expédition dramatique – et controversée – sur l’Annapurna. Cette réplique belle et mystérieuse traverse en filigrane le beau film de Thomas Salvador. Avec La Montagne, son 2éme film après Vincent n’a pas d’écailles, le réalisateur comédien se lance seul à la conquête de sa montagne intérieure, en grimpant un sommet. Ce qui apparaît comme monstrueux pour Patrice Gree, se révèle lumineux qui reconnait s’être encordé…aussi !
Je fais un cinéma qui laisse de la place au spectateur.
Le film fait son chemin vers le spectateur
autant que le spectateur inscrit son parcours dans le film.
Thomas Salvador. Le Bleu du Miroir
Prendre de la hauteur
Pierre est parisien. Il travaille pour une entreprise qui fabrique des robots imitant la gestuelle humaine. Au cours d’une démonstration auprès de clients à Chamonix, son regard par la fenêtre s’échappe longuement vers la montagne ! Nos vies, comme les robots qu’il vend, dirigées par d’incontournables obligations, nous échappent en grande partie.
Cherche-t-il en quittant le monde des robots, à retrouver dans les hauteurs une liberté originelle perdue, hors du temps présent ? Est-ce une fuite ? Une quête ? Ou peut-être les deux… Il choisit, comme un enfant, de mentir à son entreprise, en prétextant une maladie et d’affronter une mère aimante mais anxieuse, un frère ainé et autoritaire, pour accomplir son désir de blanc et d’horizons bleus…
L’aiguille du Midi remettra-t-elle à l’heure sa vie ?
Pierre part ! Seul à la conquête de sa montagne intérieure, en grimpant, il croise l’amour, sans s’y arrêter vraiment ! Elle s’appelle Léa ! Les deux se regardent sans se parler ou presque ! C’est un film silencieux comme un paysage enneigé. Le silence de Pierre fait écho au silence des pierres qui constituent la montagne. Pierre, comme un animal, s’introduit alors dans les fentes, les fractures, les failles de la montagne…
Dans ces cavités angoissantes, sombres et étroites, d’étranges formes comme des charbons ardents mouvants… l’attendent !
Il y a d’abord l’éloignement puis la rencontre avec l’altérité,
une forme de vie primitive ou originelle.
Lui est prêt a aller très loin, plus grand-chose ne le retient.
En effet il avance vers la montagne jusqu’à s’y confondre et se minéraliser.
Thomas Salvador. Le Bleu du Miroir
Un film minéral et poétique.
Ce qui nous apparaît comme monstrueux, se révèle lumineux. Le film bascule alors dans le fantastique et nous, encordés à Pierre…aussi ! C’est un très beau film qui vaut non seulement pour l’originalité de son histoire, pour la beauté des images – si vous éprouvez un léger vertige en regardant vos pieds, n’y allez pas – mais aussi pour la qualité des acteurs.
Thomas Salvator, le réalisateur, est un Pierre crédible et émouvant et Louise Bourgoin en Léa proche et distante, t’attache serré à son regard ! Cette actrice possède ce don rare et précieux de te faire exister juste… en te regardant ! On aimerait être tout le temps regardé comme ça …
Mes films vont à l’encontre d’une espèce d’injonction à l’efficacité. Dans La Montagne, Pierre réapprend son propre rapport au temps, ce serait une erreur de vouloir aller vite de peur que les spectateurs s’ennuient. Moi je veux bien prendre ce risque, de manière générale j’aime les films qui prennent des risques, y compris celui de rater.
Thomas Salvador. Le Bleu du Miroir
#Patrice Gree