Cinéma en salles La nuit du verre d’eau, de Carlos Chahine (2023)

Sortie le 14 juin 2023
Avec : Nathalie Baye, Marilyne Naaman, Pierre Rochefort, Antoine Merheb Harb, Talal Jurdi, Ahmad Kaabour, Christine Choueiri, Joy Hallak, Rubis Ramadan

Peu de films sont traversés par une sorte de grâce à contre-courant de la tragédie qu’ils racontent. La nuit du verre d’eau, de Carlos Chahine, en fait partie. Cette grâce entièrement portée par les actrices l’est en premier lieu par la principale, Marilyne Naaman, dont la beauté modeste est sublimée, par son émouvante découverte d’un amour hors mariage. Interdit… Ce film de femme, fait par un homme est superbe pour Patrice Gree, d’autant que c’est le premier long métrage du réalisateur.

Un Liban en suspend

L’action se déroule au Liban en 1958. C’est l’histoire d’une famille bourgeoise chrétienne. Sous les apparences d’une vie lisse et paisible couve la révolte tardive d’une femme soumise au bon vouloir d’un père autoritaire et violent, d’une mère effacée, et d’un mari qu’elle n’aime pas.

Marilyne Naaman (Leyla) illumine de sa grâce La nuit du verre d’eau, de Carlos Chahine (2025) Photo Sarmad Louis

Le titre vient de mon enfance que je pourrais résumer par « la nuit du verre d’eau », « ma nuit du verre d’eau », quand je pouvais appeler ma mère en pleine nuit et lui demander un verre d’eau. Ça vient de là : se souvenir de l’enfance dans cette région du monde, dans ce milieu chrétien.
Carlos Chahine

Comme en écho à cette déroute familiale, tonnent à Beyrouth les premiers canons de la guerre civile…

L’église est ici, le seul refuge qui permet à ses femmes de supporter avec le sourire, le poids de ce patriarcat. Layla l’ainée (l’émouvante Marilyne Naaman)  d’une fratrie de trois filles a un enfant, Charles, issu de son mariage avec un homme choisi par son père. Layla a accepté d’être « échangée contre des terres ».
C’est ainsi ! C’est le lot des femmes dans un pays qui n’arrive pas à sortir des traditions.

Le regard du jeune Charles (Antoine Merheb Harb) sert de précipité à La nuit du verre d’eau, de Carlos Chahine (2024) Photo Sarmad Louis

Contrairement à sa jeune sœur, elle ne se révolte pas et ne cherche pas à ouvrir la porte de sa cage dorée. Jusqu’à l’apparition d’un jeune médecin Français René (Pierre Rochefort) en voyage touristique avec sa mère, Hélène. Nathalie Baye est exemplaire en bourgeoise libérée jouissant sans complexe des plaisirs de la vie. Layla tombera éperdument amoureuse de René sous le regard inquiet et réprobateur de Charles son petit garçon de 7 ans (Antoine Merheb Harb). L’enfant terrorisé servira en sous-main de fil conducteur du film. C’est par lui que les mensonges des adultes seront révélés à tous, menaçant d’explosion la famille.

C’est un rappel de ces univers ritualisés, cette société féodale libanaise, et tout ce qui en découle : la place des femmes, et la façon dont rien ne semble jamais changer.
Carlos Chahine

Le jeune médécin (Pierre Rochefort) bouleverse le regard de Layla (Marilyne Naaman) La nuit du verre d’eau, de Carlos Chahine (2023) Photo Sarmad Louis

Layla devra alors faire un choix…

C’est un très beau film, sensible, juste et violent. Il y a une douceur féminine que le drame n’efface pas. C’est un film de femme, fait par un homme. Superbe !
Ma main à couper que le petit Charles est devenu réalisateur…

Cette soif de modernité s’est fracassée contre les murs du conservatisme religieux dans cette région du monde multiconfessionnelle qui vivait pourtant en harmonie. Tout a été fait pour que la situation au Liban se tende et se détériore, que ce rêve de pays ne s’accomplisse pas, pour que la population ait peur de la modernité, et ne jure que par la tradition. Le Liban rêvé à cette période-là est une terre d’illusion, d’où mon titre en arabe.
Carlos Chahine

#Patrice Gree