Cinéma en salles : Moi Capitaine, de Matteo Garrone

Avec : Seydou Sarr, Moustapha Fall et Issaka Sawadogo

Plus de 2500 enfants, de femmes et hommes qui fuyant la misère, traversent l’enfer pour trouver la mer… et la mort en 2023 ! Ces chiffres terribles ne disaient rien à Patrice Gree , à part le choc d’une Méditerranée devenue cimetière. Moi Capitaine, de Matteo Garrone (Gomorrha), incarne la monstrueuse réalité des traversées de ces migrants prêts à mourir pour vivre. Cette fiction aux allures parfois de conte rappelle qu’aucune excuse – lancée pour se dédouaner – ne peut justifier cette tragédie, et ceux qui regardent ailleurs. Les faits sont là et la vérité brutale, violente, cruelle, têtue, bien réelle. Ce périple périlleux et folle traversée constituent aujourd’hui « le seul récit épique contemporain » que le réalisateur a hauteur d’enfants, brut et réaliste à la fois.

Le long chemin de croix commence à l’aube, ce matin-là.

Moi Capitaine, de Matteo Garrone Photo Greta de lazzaris, Pathé Distribution

Seydoux et Moussa sont sénégalais et cousins. Ils vivent dans les quartiers très pauvres de Dakar et rêvent d’Europe. Ils ont 16 ans, portent des tee-shirts siglés Quatar. L’avenir est au foot.
Seydoux se voit glorieux signer des autographes aux blancs.
Poussé par Moussa, Seydoux cède…et accepte de partir tenter sa chance en Europe. Avec en poche de quoi payer les passeurs – s’imaginent-ils -, ils partent à la levée du jour, en cachette de la mère qui le leur avait interdit et des petites sœurs. Ils leur enverront de l’argent de là-bas…la fierté effacera la peine, l’angoisse et la colère de la mère espère Seydoux !

Une fiction aux allures de conte

Moi Capitaine, de Matteo Garrone Photo Greta de lazzaris, Pathé Distribution

L’adolescent gentil, fragile et solidaire, traverse toutes ces épreuves avec courage, marque à la culotte l’effroyable réalité. Le racket des passeurs, la corruption de la police, les coups, les tortures, les humiliations, la prison, l’esclavage…rien ne nous est caché du long cauchemar que Seydoux et Moussa traverseront sur les pistes du Mali, du Niger avant de tomber entre les mains criminelles de la mafia libyenne qui vendra un temps Seydoux à un riche propriétaire.

Seydoux, travail accompli, après la terre devra affronter, au départ de Tripoli, comme capitaine improvisé et victorieux,  la mer et ses peurs, avec pour cap l’Italie…porte d’entrée « du paradis européen » ! Si la fiction est contenue dans les personnages des ados, la réalité tragique des traversées terrestres est bien celle décrite par le cinéaste. Il suffit de lire les témoignages des survivants de la Méditerranée…

Moi Capitaine, de Matteo Garrone Photo Greta de lazzaris, Pathé Distribution

MOI CAPITAINE est né du tissage de plusieurs récits de jeunes qui ont éprouvé la traversée de l’Afrique vers l’Europe. En les écoutant, j’ai pris conscience que leurs histoires constituaient sans doute le seul récit épique contemporain possible.
Matteo Garrone, réalisateur

«  On ne peut pas accueillir toute la misère du monde » disait Rocard avant de rajouter « Mais la France doit prendre sa part »… Si les bons sentiments n’ont jamais résolu les problèmes, l’indifférence ou les mauvais non plus ! Plus de 2500 hommes, femmes et enfants sont morts en Méditerranée en 2023…noyés ! Presque sous nos yeux. Faute de mobilisations politiques à l’échelle européenne, des bateaux de sauvetage, empêchés, restent à quais !

Les chiffres sont nombreux et bavards mais ils ne disent rien.

Moi Capitaine, de Matteo Garrone Photo Greta de lazzaris, Pathé Distribution

Ces 2500 hommes, femmes, enfants qui fuyaient la misère, ont traversé en 2023 l’enfer pour trouver en mer…la mort ! Ils ne disent rien de la terreur de ton corps plongé de nuit dans des eaux glaciales. Ils ne disent rien de la terreur de la mort qui te saisit par le bras et te maintiens la tête sous l’eau …
Et c’est bien pour cela qu’on parle en chiffres, car les chiffres ne disent rien et on préfère ne rien savoir de la terreur. C’est 2500, ça pourrait être 300, ou 10 000, ce serait la même chose… Les chiffres glissent sur notre peau comme l’eau sur les plumes d’un canard.

Pour pouvoir raconter de l’intérieur cette aventure pleine de dangers, il était nécessaire que je me plonge dans leur monde, si éloigné du mien. Il m’a fallu pour cela construire une relation de collaboration constante avec tous ces jeunes, filles et garçons, qui ont vécu l’horreur et qui m’ont accompagné dans la construction du film.
Matteo Garrone, réalisateur

Ce film qui ne parle pas la langue morte des chiffres, mais celle vivante des images.

Il nous montre la monstrueuse réalité des traversées de ces migrants prêts à mourir pour vivre.

Tu peux retourner cette tragédie dans tous les sens, trouver toutes les justifications possibles, juridiques, politiques, sociales, économiques, à cet abandon… les faits sont là et la vérité brutale, violente, cruelle, têtue s’impose : on laisse mourir à nos portes, sous l’eau, dans des noyades épouvantables des enfants, des femmes, et des hommes.

Patrice Gree