Cinéma en salles : Oppenheimer, de Christopher Nolan (2023)
Dans à peu près toutes les salles de France, mais à voir surtout sur un très grand écran format IMAX si possible
Pour son 12e film, Christopher Nolan raconte l’histoire de Robert J. Oppenheimer (1904-1967), physicien américain (incarné par Cillian Murphy) responsable de l’élaboration, de la fabrication et de l’efficacité de la bombe atomique. Qui tentera en vain d’en arrêter la prolifération. Le réalisateur de Tenet en profite pour atomiser les codes narratifs cinématographiques qui exposent en une myriade de miroirs rayonnants, les éléments d’un portrait biographique virtuose. Il tient LE sujet selon Calisto Dobson qui lui permet de mettre enfin en adéquation un propos et ses ambitions. Epoustouflant.
Paul Schrader, prophétique ?
Nous ne savons pas encore malgré notre admiration pour ce film, comme Paul Schrader, le scénariste entre autres de Taxi Driver et réalisateur du tout récent magnifique, The Master Gardener, si Oppenheimer, douzième opus de Christopher Nolan comme il l’a affirmé sur sa page Facebook est « le meilleur et plus important film du siècle ».
En revanche, nous pouvons attester qu’il s’agit d’une des réalisations les plus virtuoses qui soit.
Avec le portrait du créateur de la bombe atomique, Nolan atteint un sommet dans sa façon de construire une histoire.
Robert J. Oppenheimer (1904-1967) n’était pas n’importe qui. Scientifique visionnaire, à la personnalité complexe mais surtout énigmatique, il a eu la lourde tâche de diriger le projet Manhattan.
En pleine Seconde Guerre Mondiale, il s’agissait de contrer les avancées scientifiques des Nazis afin d’être les premiers à mettre au point l’arme ultime, la bombe A.
Le gouvernement a tout fait pour banaliser cette relégation pourtant décisive. Pas seulement pour la réputation d’Oppenheimer mais pour la politique nucléaire des décennies suivantes. Il a fallu attendre l’année dernière, soit près de quatre-vingts ans, pour qu’Oppenheimer, un homme brillant qui a tout donné à son pays, soit réhabilité.
Christopher Nolan
De tout point de vue, ce fût une charge tenue et livrée à la hauteur de ce qui en résulta. La performance de Christopher Nolan est d’avoir réussi à en rendre compte, en y incluant tous les éléments qui en dépendait.
Tout le film est tendu vers ce seul objectif, capter l’esprit et l’enjeu atomique de son propos, en image bien sûr, mais également et surtout au travers d’une mise en scène époustouflante de virtuosité créative.
Le casting est mirobolant.
Il rappelle à certains égards, la qualité de celui qui étayait le retour de Terrence Malick pour La Ligne rouge. En tête, Cillian Murphy qui y après la série Peaky Blinders (6 saisons) trouve le rôle de sa vie au cinéma. Robert Downey Jr méconnaissable et grandiose, sans oublier de citer Matt Damon, toujours aussi parfait de justesse, Emily Blunt, loin de Mary Poppins dans le rôle de l’épouse de Robert Oppenheimer et tant d’autres jusqu’au toujours incroyable Gary Oldman qui dans un caméo terrible de cynisme, incarne Harry Truman.
Oppenheimer est avant tout l’histoire d’un individu et de la façon dont ses désirs, ses caprices peuvent être exaltés. (…) Une sorte de glamour sombre est attaché à son nom, en tant que père de la bombe atomique. En faisant des recherches, j’ai découvert des aspects plus dramatiques, shakespeariens, dans sa déchéance.
Christopher Nolan
La pleine maturité de son art narratif
Quant à la cinématographie, elle époustoufle par sa maîtrise, tout en évitant une surenchère démonstrative. Aucune image, aucun plan ne semble superflu. Les placements de caméras sont là au service de l’histoire, de son propos et du sens qu’il induit. C’est assez surprenant de pouvoir dire qu’il réside dans ce film une certaine sobriété malgré l’évidente attente d’une pyrotechnie grandiloquente.
Il fallait voir à travers les yeux d’Oppenheimer. Je ne voulais porter aucun jugement sur ses actions.
Christopher Nolan
Tout ce qui a pu jusqu’ici, et nous n’en faisons pas partie, perdre en route certains par la complexité souvent qualifiée à tort d’incompréhensible des modes narratifs du cinéaste Britannique, atteint ici un point de maturation vertigineux.
Atomique sur le fond et la forme
Depuis ses débuts, Nolan n’a eu de cesse de multiplier et de distendre les angles chronologiques d’une histoire dans le but d’en atteindre le cœur atomique.
Déjà Following son tout premier film relatait une expérimentation dans la façon d’exposer des points de vue. Memento, souvent considérée, à juste titre, comme une de ses œuvres les plus abouties, enfonçait toutes les portes de l’art de raconter au moyen de la cinématographie. Après le succès planétaire massif de la trilogie du Dark Knight qui le mit littéralement en orbite, Christopher Nolan afficha clairement ses ambitions. Que ce soit avec Interstellar, puis Inception et le très ambitieux et controversé, voir incompris Tenet (disponible sur Netflix à partir du 22 août prochain), il n’a eu de cesse de tordre les bras, le cou et les jambes à la valeur du temps, dans sa durée mais aussi et surtout dans la hiérarchisation de son écoulement.
Avec Oppenheimer, Nolan tient LE sujet qui lui permet de mettre enfin en adéquation un propos et ses ambitions.
Ce film de plus 3 heures résume à lui seul tous ses précédents efforts, et bon sang qu’ils étaient déjà prodigieux, pour parvenir à se fondre au plus près du « noyau atomique » de nos réalités.
Nous ne savons bien évidemment pas ce que sera la suite de sa carrière.
Cependant, c’est avec une curiosité dotée désormais d’une plus grande acuité que nous attendons.