Cinéma en salles : The Batman de Matt Reeves (2022)
Après Dune, notre chroniqueur n’a pas voulu passer à côté de la relance périlleuse d’une franchise dont la trilogie signée Christopher Nolan frisait la perfection. En abordant The Batman, par la face noire le réalisateur Matt Reeves relève le défi avec brio et réussit à renouveler le personnage.
Un défi immense après 8 films
Matt Reeves s’est d’abord fait connaître par l’entremise de J.J. Abrams. Le wonder boy des années 2000 (Star Strek, Star Wars) lui confie en 2008 les rênes d’un projet dont l’auteur de Super 8 a le secret : Cloverfield. Coup d’essai et carton plein.
Avec Laisse-moi entrer (2010) Reeves revisite le déjà très réussi Morse, adaptation suédoise du roman de vampires de John Ajvide Lindqvist. Il continue à s’affirmer avec les deux derniers épisodes de la trilogie des Origines de la Planète des Singes (L’Affrontement (2014) et Suprématie (2017)), maline déclinaison qui dépoussière la franchise originelle.
En mettant la main sur Batman, le monde entier l’attendait au tournant surtout après les deux dernières apparitions calamiteuses du chevalier noir sur grand écran incarnées par Ben Affleck (Batman vs Superman, l’Aube de la Justice et Justice League). Pourrait-il dépasser la trilogie de référence réalisée par Christopher Nolan, en particulier l’épisode central The Dark Knight considéré comme le meilleur épisode de la saga. Si on rajoute que le choix de Robert Pattinson dans le rôle-titre en a fait glousser plus d’un, la partie était loin d’être gagnée.
The Batman est un sans-faute.
Sous la forme d’un opéra gothique aux vertigineuses nuances de noir, Matt Reeves a réalisé un film qui porte haut le genre, et un retour aux sources : des références puisées dans la noirceur de bandes dessinées qui ont renouvelé le personnage, entre autres celles de Darwyn Cooke, (Batman Ego et Catwoman: Selina’s Big Score citées par Matt Reeves lui-même). Ou encore la voix off du héros qui rappelle furieusement celle de Rorschach autre combattant fiévreux du mal et de la corruption de The Watchmen (bande dessinée culte d’ Alan Moore et Dave Gibbons suivie par son adaptation cinématographique de Zack Snyder), sans omettre l’ambiance pluvieuse ininterrompue du Element of Crime oublié de Lars von Trier, voire du Seven de David Fincher.
Une dimension inédite au cinéma
En triturant des atmosphères foncièrement sombres et une image parfois à la limite de l’obscur, Reeves parvient à transfigurer le genre des films de super-héros et le faire entrer en grandes pompes au sens esthétique dans le monde des grandes œuvres. D’allusion horrifique à l’action pure et dure tout en déchaînement digne d’une dramaturgie lyrique, il parvient à insuffler une dimension inédite au cinéma à son personnage.
Pris dans les rets d’une réalité dominée par la mafia et les corrompus de tous bords, Matt Reeves prend le parti de traduire le malaise ambiant en recréant à sa façon la commotion brutale d’une vague exaspérée par un système inopérant prête à la violence extrême.
Cette incarnation du chevalier noir, avec pour seuls soutiens l’éternel majordome homme à tout faire Alfred (Andy Serkis) et James Gordon (Jeffrey Wright), seul policier qui mérite sa confiance, est astucieusement réincorporée dans ses oripeaux d’origine de justicier détective. Sa psyché bataillant entre le trauma de son enfance et le questionnement de sa propre légitimité, illustrée entre autres par son refus inconditionnel de l’utilisation d’armes à feu, dégage une aura particulièrement captivante.
La poursuite d’un tueur machiavélique (Paul Dano fait encore des merveilles dans le rôle du Riddler), qui l’a choisi comme alter ego surligne ce qui le hante et le ronge, à savoir la vengeance du meurtre de ses parents. Quant à la relation contrariée qu’il entretient avec le personnage de Catwoman débarrassée de ses archétypes fantasmagoriques (campée avec justesse et réalisme par Zoë Kravitz), elle finit de dépeindre le désarroi profond dans lequel le personnage est plongé. Robert Pattinson face à l’ampleur du costume prouve à nouveau si besoin était qu’il a fait du chemin depuis Harry Potter et Twilight en livrant une interprétation pleine d’humilité des tourments du justicier masqué.
Aux deux tiers du film, après une course poursuite toute en tension qui évite la caricature de l’exercice, un plan d’une envergure magnifique éclabousse l’écran et symbolise le contre-pied réussi de Matt Reeves dont la seule exigence auprès des pontes de Warner était de réaliser le Batman ultime.