Cinéma en salles : The Fabelmans, de Steven Spielberg
Le vertige de la salle de cinéma
Deux bonnes grosses joues bien rondes, toutes roses occupent tout l’espace de l’écran, assorties de deux grands yeux d’un bleu intense qui semblent déjà filmer tout ce que l’enfant regarde…! Affectueusement encadré par son père et sa mère, l’enfant est au cinéma. C’est son premier film dans une salle. Cet enfant s’appelle Sammy Fabelman alias de Steven Spielberg, il a 5 ans et le film projeté, se nomme « Sous le plus grand chapiteau du monde » !
Ainsi commence The Fabelmans.
La célèbre scène de train qui déraille du film de Cecile B. DeMille frappera les trois coups du puissant imaginaire du futur cinéaste. Le rideau peut alors se lever sur deux heures trente de plaisir pur jus, sans sucre ajouté. Cet accident spectaculaire, l’enfant Spielberg fasciné, le reproduira dans sa petite chambre à l’aide d’un petit train électrique sous l’œil attentif de sa toute première caméra…et attendri de sa jolie maman ! C’est la scène originelle du cinéaste qui donnera forme et force à son œuvre : L’accident… L’accident qui fait basculer dans la peur et parfois le chaos, l’ordinaire des vies !
Le sens de l’accident
Accident de la route angoissant avec Duel,
Accident de la nature effrayant dans Les Dents de la mer,
Accident de l’histoire tragique avec La liste de Schindler.
La mère musicienne aérienne (Michelle Williams) et le père scientifique terrien (Paul Dano), tous deux parents aimés, aimant, très aimant, forment un couple uni jusqu’à l’accident conjugal… Un carambolage amoureux provoqué par un ami proche, et révélé, par l’œil implacable et cruel de la caméra de l’adolescent … Samy (Gabriel LaBelle) alias pielberg !
Cette scène de pique-nique dominical, où au visionnage, alors qu’il filmait ses sœurs jouant sur le gazon, il découvre en arrière-plan, pétrifié, sa mère adorée dans les bras de l’ami du père…est la clé de voute du film ! Seul le cinéma, qui s’inscrit ici dans l’histoire d’une vie de famille déchirée, peut révéler une vérité dramatique que tout le monde cache, nous dit l’homme aux 33 films…
Le père accepte alors un travail en Californie bien rémunéré. Le déménagement familial offre, de plus, l’avantage collatéral d’éloigner l’amant… provisoirement ! L’ado Spielberg, déraciné dans une Californie des années 60, à la jeunesse blonde, bodybuildée, antisémite, découvre brutalement les joies du sexe et dégoulinante d’une religiosité guimauve, mais déprime en révélant de sérieuses fissures de l’American Way of Life…
Entre en scène le plus grand réalisateur du XXe siécle
Et puis viendra la rencontre déterminante avec John Ford mâchouillant un cigare (interprété par un autre géant, David Lynch)…
Deux minutes à peine, trois échanges bourrus dans un bureau minable et enfumé, un conseil
et soudain… un immense horizon qui s’ouvre !
Spielberg, un peu comme Truffaut, va chercher l’enfant en nous ..et le trouve !
Et tu pleures ! Dans la vie ordinaire, la vraie vie, il n’y a pas de héros.
Les héros n’existent qu’à la guerre et au cinéma. Les films de Spielberg ont des envolées musicales qui t’embarquent très loin au grand large de toi…alors, tu ranges les rames, hisses les voiles et tu retrouves le bonheur du ciné, le vrai, celui des salles pleines qui hurlent en serrant les fesses, rient à gorges déployées, les salles de ciné ou des ouvreuses à talons te fascinent dans leur petit tailleur cintré avec leur petit panier en osier, tendu à l’horizontale, plein à craquer d’inimaginables et affolantes douceurs que tu déplies lentement, sans bruits avec d’infinies précaution dans le secret d’une obscurité protectrice.