Cinéma : Hommage à Norman Jewison, réalisateur canadien (1926-2024)

Réalisateur et producteur de la plupart de ses films, Norman Jewison vient de disparaître à l’âge honorable de 86 ans. Il laisse derrière lui une solide filmographie de 24 films parfois engagée notamment contre le racisme, égrenée de quelques chefs d’œuvres emblématiques ; du « Kid de Cincinnati », « L’affaire Thomas Crown » à « Jésus Christ Superstar »  et certaines méconnues qui méritent pour Calisto Dobson d’être redécouvertes : de « Soldier’s Story » à « Crime contre l’humanité ».

Un réalisateur canadien, moins célébre que ses films

Né à Toronto le 21 juillet 1926, décédé le 20 janvier 2024 à Los Angeles, le producteur réalisateur nous lègue 24 longs-métrages qui ont obtenus 46 nominations aux Oscars, dont quelques-uns ont su marquer l’histoire du cinéma et d’autres plus enclins à nous rappeler ce qu’est un bon confectionneur de films. Sa carrière impressionnante, étalée sur plus de 40 ans a défié toute catégorisation facile. Il a toujours frappé les critiques comme quelque chose de plus qu’un artisan talentueux, mais autre qu’un « auteur » qui ne cessa de lutter contre le rejet de dirigeants de studios qui refusaient de croire en ses rêves.

 Si Jewison se révoltait contre quelque chose, c’était bien l’idée que ses films étaient responsables de tout ce qui allait au-delà de leur propre raison d’être.
Ira Wells auteur de Norman Jewison: A Director’s Life.

Sa carrière commence avec une série de comédies plus ou moins romantiques telles que pratiquées dans la première moitié des années 60 (avec Doris Day ou le couple Curtis-Leigh). C’est en 1965 qu’il tourne la première bobine marquante de sa carrière.

Le Kid de Cincinnati, adaptation d’un roman éponyme de Richard Jessup.

Il raconte l’histoire d’un jeune et ambitieux joueur de poker qui s’attaque à un as légendaire. À l’origine le film devait être réalisé par Sam Peckinpah avec dans le rôle principal féminin Sharon Tate. Considéré comme fiable et expérimenté, Norman Jewison se retrouve à la tête du projet. A la suite de divergences majeures entre le futur réalisateur de La horde sauvage, qui voulait le tourner en noir et blanc avec une connotation érotique, et le producteur Martin Ransohoff (Le bal des vampires et toute une palanquée de productions jusqu’en 1997).
Steve McQueen, co-producteur non crédité, qui incarne le Kid, cherche à imposer Spencer Tracy pour incarner Lancey Howard, son adversaire le maître du Stud. Ce sera Edward G. Robinson pour le résultat éclatant qui fait du film l’une des plus belles réussites sur le jeu à cinq cartes. Ann Margaret avec la trop méconnue Tuesday Weld, Karl Malden, Rip Torn (oui le directeur Z des Men in Black) et Cab Calloway complètent un casting soigné. Aujourd’hui ce long-métrage est un classique qui marque le premier jalon de la carrière de Norman Jewison.

Après une nouvelle comédie potache sur la paranoïa de la Guerre Froide (The Russians Are Coming, the Russians Are Coming) qui lui vaut quatre nominations aux Oscars…, Jewison frappe les esprits avec Dans la chaleur de la nuit.

Dans la chaleur de la nuit, premier polar anti raciste

L’ œuvre anti-raciste âpre et violente est couronnée par 5 Oscars en 1968, dont meilleur film, meilleur acteur pour Rod Steiger et meilleur scénario adapté. Autant le rôle de Sidney Poitier, que la musique de Quincy Jones et sa chanson titre interprétée par Ray Charles contiennent en germe la future vague de Black Exploitation. Deux suites (Appelez moi Mr. Tibbs et L’Organisation), toujours avec Sidney Poitier en découleront. Sa réalisation suivante en 1968 est un triomphe.

L’Affaire Thomas Crown, son film le plus connu.

Faye Dunaway, mythique agent d’assurance, dans L’affaire Thomas Crown Photo DR

Alors que Sean Connery regrettera plus tard d’avoir refusé le rôle, Steve McQueen flamboie littéralement de coolitude dans le costume du banquier millionnaire joueur d’échecs adepte du braquage. La scène du baiser le plus long de l’histoire du cinéma avec la divine Faye Dunaway qui tripote une pièce d’échec reste un morceau d’anthologie. Entouré de Walter Hill (Driver, Les guerriers de la nuit, 48 Heures), en tant que 1er assistant, Hal Ashby (Harold et Maude, La Dernière corvée, Retour) au montage et Michel Legrand qui compose la musique, le film sera récompensé d’un Oscar pour la célébrissime chanson ‘The Windmills of your mind’ (Les Moulins de mon coeur). Pour la première fois, Norman Jewison utilise la technique du split screen qui permet de suivre plusieurs scènes différentes sur un même écran. Le succès est au rendez-vous, c’est sans doute la plus grande réussite commerciale du réalisateur producteur. Steve McQueen dira qu’il s’agit de son rôle préféré. Plus de 30 ans après, John McTiernan en tirera une nouvelle version avec Pierce Brosnan et Renee Russo qui n’aura pas le même impact.

Changement de registre

Tout d’abord deux films musicaux, vraies curiosités emblématiques de leur époque, tous deux adaptations de comédie musicale de Broadway : « Un Violon sur le toit » de Stein, Jerry Bock, and Sheldon Harnick

et « Jésus Christ Superstar » de Andrew Lloyd Webber and Tim Rice.

Rollerball, seule incursion dans l’anticipation

Le cultissime « Rollerball » (1975) avec son ouverture mythique au son de la Toccata en ré mineur de J.S. Bach, est porté par un James Caan charismatique. Très recommandée, cette extrapolation futuriste sur un sport ultra médiatisée assimilée aux arènes de gladiateurs recueille encore aujourd’hui la ferveur des adeptes du genre.

À nouveau John McTiernan tentera d’en faire un remake, ce qui en sus du naufrage industriel de la caricature qu’il a pu en tirer, lui coûtera un an de prison ferme pour écoutes illégales de son producteur.

Nouveau tournant de carrière.

En 1978, il tourne « F.I.S.T », un semblant de biopic inspiré par Jimmy Hoffa, un dirigeant syndicaliste américain pris dans les mailles de la Mafia, incarné par Sylvester Stallone, en pleine starification ascensionnelle. Le film est un succès.

Justice pour tous, un autre carton au box office

Dans le rôle principal, Al Pacino (fougueux à souhait), est un avocat qui accepte de défendre un juge accusé de viol qu’il méprise. Co-écrit par Barry Levinson (futur réalisateur de Rain Man) et sa compagne Valérie Curtin, ce duo sera à l’origine du film suivant de Jewison, Best Friends,  qui n’est ni plus ni moins que l’histoire de leur couple.

Enthousiasmée  à la lecture du scénario, Goldie Hawn  réussit à convaincre Norman Jewison malgré ses réticences sur le projet. Le rôle masculin est dévolu à Burt Reynolds. Oubliée aujourd’hui cette comédie romantique qui lorgnait sur les grandes heures des couples légendaires de l’écran, Clark Gable et Carole Lombard ou Spencer Tracy et Katharine Hepburn, reçut un accueil mitigé, arguons qu’une revoyure serait séduisante.

Deux films à réévaluer, Soldier’s Story et Agnès de Dieu

À nouveau, en 1984, avec Soldier’s story, il s’attaque au racisme. Durant la deuxième guerre mondiale, sur une base militaire composée uniquement d’afro-américains commandés par des blancs, un soldat est tué par balles. Un officier noir est envoyé par Washington pour enquêter. Adapté par Charles Fuller de sa propre pièce de théâtre couronnée du prix Pulitzer; le propos tout en finesse dévoile autre chose qu’un monde manichéen en noir et blanc. L’ensemble du casting est resté dans l’ombre, cependant nous pouvons y découvrir un tout jeune Denzel Washington.

Dans Agnès de Dieu (1985), Jane Fonda et Anne Bancroft  s’y affrontent autour d’une jeune nonne accusée d’avoir assassiné son nouveau-né. Une thématique féministe pour une histoire proprement passionnante rehaussée par deux actrices au sommet de leur art.

Éclair de lune, la rom com qui séduit Hollywood

Ce succès critique et publique verra Cher décrocher l’Oscar de la meilleure actrice avec deux autres statuettes, meilleure actrice dans un second rôle pour Olympia Dukakis et meilleur scénario pour John Patrick Shanley. Un jeune Nicolas Cage complète le casting;  actuellement disponible sur Amazon Prime Moonstruck en VO reste aujourd’hui une référence du genre

La suite est plus inégale

Le premier rôle dramatique de Bruce Willis, qu’il tourne dans la foulée du raz de marée Die Hard, « Un héros comme tant d’autres » (In Country, 1989) permet à Jewison d’aborder la guerre du Vietnam dans la lignée de Retour (Hal Ashby), ou Né un 4 juillet (Oliver Stone).

https://youtu.be/lZ0iGiK8sgA

« Larry le liquidateur » est un pamphlet sur la finance avec Danny de Vito dans le rôle d’un impitoyable repreneur d’entreprise en faillite.

En 1994, il réalise une romance, Only you, avec Marisa Tomei (La tante May de Spider-Man/Tom Holland) et Robert Downey Jr juste avant la chute.

Bogus (1996) est une fantaisie pauvrement reçue, où Haley Joel Osment, le futur petit garçon qui voit des morts dans Sixième sens est entouré de Whoopi Goldberg et Gérard Depardiou.

Hurricane Carter, avec Denzel Washington, reste un film controversé pour ses contre-vérités . Il s’inspire d’une erreur judiciaire à l’encontre du boxeur Rubin Carter dénoncée par la chanson Hurricane tirée de l’album Desire de Bob Dylan en 1976.

Crime contre l’humanité, son dernier film

En 2003, le film avec Michael Caine est tiré du roman de Brian MooreLa Déclaration’ écrit à la suite du premier non-lieu dans l’affaire Paul Touvier, collaborationniste antisémite sous le régime de Vichy, finalement condamné à la prison à perpétuité pour crimes contre l’humanité.

Jamais récompensé aux Oscars comme « meilleur réalisateur », Norman Jewison reçoit en 1999 en tant que producteur le Irving G. Thalberg Memorial Award pour la qualité de l’ensemble de ses films.

En 40 ans celui qui revendiquait « Je veux que les gens se reconnaissent dans les films que je fais. Je n’aime pas les films d’action simples » nous lègue une filmographie conséquente d’une grande intégrité forte de quelques œuvres entrées dans l’histoire et la légende du cinéma américain, que confirme la malice du titre de sa biographie « This Terrible Business Has Been Good to me » parue en 2004 (non traduite).

Calisto Dobson