Concert Camille et Julie Berthollet, Festival C’est pas classique (Nice Acropolis)
Orchestre de Cannes Provence-Alpes-Côte d’Azur, dirigé par Samuel Jean avec Camille, violon et Julie Berthollet violon, alto et violoncelle.
A l’occasion de la 16e édition de C’est pas classique, festival décomplexé organisé par le département des Alpes Maritimes, Singular’s en a profité pour cerner de près le phénomène musical Camille et Julie Berthollet, duo révélé par l’émission Les Prodiges de France 2, une fratrie aussi renommée pour l’éclectisme que pour la flamboyance de leurs interprétations à la télévision ou au disque. La performance en live est un peu différente.
La musique classique sans filtre, et sans tarif
Le président du département, Charles Ange Ginesy, et Olivier Bellamy donnent le ton avec humour en début de spectacle. Il s’agit ici de « démystifier la musique classique », et d’en offrir l’accès au plus grand nombre, ceci principalement grâce au tour de force de la gratuité : Il n’est en effet pas nécessaire de débourser un centime pour assister aux spectacles du festival.
Difficile pourtant de croire à la variété du public, quand un rapide coup d’œil en début de spectacle permet d’établir une moyenne d’âge supérieure à 40 ans.
Une explosion de couleurs acidulées
Les deux sœurs arrivent dans une explosion de robe de couleurs vives, rouge, jaune pétaradant, et tranchent sur la tradition selon laquelle les solistes sont vêtus de noir et blanc. Casser les codes visuels est un premier pas qui est confirmé par le ton jeune et dynamique employé en annonce du concert – « Vous êtes là Nice ? On vous entend pas ! ». Interpellation familière digne des meilleures punchlines d’artistes de variété ! Mais qui semble pour le moins décalée dans une salle philharmonique de 2000 personnes détaillant 50 nuances de population niçoise, dont 60% avait déjà plus de 30 ans en 2018 (INSEE).
Un cocktail musical
Le duo propose un cheminement entre les genres depuis le classique jusqu’à la musique actuelle, en partant du baroque pour arriver à leurs compositions plus personnelles. De Vivaldi dit le « prête roux », l’aînée Camille l’évoque par sa chevelure flamboyante et son sens de la démonstration. Performance qui faisait mouche il y a six ans quand les deux sœurs ont fait irruption sur la scène musicale, mais un poil réchauffée ce soir – il y a de la technicité, mais pas de vie, l’interprétation est fade. La partie classique (Karl Jenkins, Vivaldi, Mozart, Bach) est peu convaincante et manque de personnalité musicale.
En revanche, la mise en scène est au rendez-vous. Les déplacements, autant que la mise en lumière et la scénographie sont le résultat d’un travail méticuleux. L’énergie des deux solistes est remarquable, d’autant plus qu’elle est mise au service d’une cause louable : rendre la musique classique pétillante.
Le risque du jazz
Le groupe passe aussi sur des thèmes traditionnels de jazz. Mais ici aussi, la vitalité est absente, malgré les chorégraphies élaborées. Il manque le souffle du jazz, c’est-à-dire la capacité à improviser, absente dans la retranscription très réussie, et quasiment note pour note du solo de Stéphane Grapelli dans Minor Swing. Les deux artistes invitent la rigidité de l’apprentissage classique dans un répertoire par essence défini par son improvisation anticonformiste et son éloignement des règles de conservatoire. Contraste d’autant plus remarquable lors des passages solo au piano et au clavier réalisés par d’authentiques musiciens de jazz, en improvisation.
Un doux mélange de séquences formatées
Le programme s’oriente, après un 3e changement de costume, vers les compositions personnelles des deux musiciennes, de reprise de musique klezmer (Czardas, en bis), de tango, avec un très bel hommage à Piazolla sur son tube Libertango. Tout ceci réuni sous le titre Nos 4 saisons.
S’en suivent – collant à la sortie de leur CD Séries (Warner)- des reprises de musique de film (Game of Thrones, Pirates des Caraïbes), et une composition touchante sur laquelle Julie Berthollet prend le micro.
L’usage de séquences (instruments préenregistrés) sur certains morceaux fait perdre davantage en spontanéité là où les sonorités plus électro – un peu cheap tout de même – doivent livrer un signal de modernité.
Défaut de jeunesse
Le duo souffre ici de l’éclectisme tourbillonnant qui fait son succès. Encore au début d’une carrière démarrée en trombe, il peine à trouver sa cohérence dans sa programmation (unique à la soirée) malgré ses bonnes intentions. Il lui faut sans doute encore du travail et de cette discipline qui donne liberté et spontanéité à une représentation live, autant dans la musique que dans le jeu avec le public.
L’historique de programmation du concert en donne deux exemples très différents, Nemanja Radulovic, au ton très rock pour un discours classique/musique folklorique, et Ed Banger, au ton classique sur fond de musique actuelle.
Le spectacle se conclut sans appel, ou plutôt avec rappel.
La salle entière se lève pour acclamer les deux vedettes et réclamer un bis qui s’achève sous les vivats. Les deux sœurs ont peut-être ici réussi leur pari – non pas servir de la musique classique à un public populaire, mais offrir une entrée dans la variété actuelle à un public classique.