Conseils Expos : 6 femmes artistes sorties de l’invisibilité : de Julie Manet à Nadia Léger
Sans oublier, deux artistes fascinantes du « fiber art » Olga de Amaral (Fondation Cartier > 16 mars) et Chiharu Shiota (Grand Palais > 19 mars) aux limites d’un syncrétisme religieux universel.
Olga de Amaral ou la texture du temps (Fondation Cartier)

Olga de Amaral (Fondation Cartier) Photo OOlgan
Quant l’art s’exprime à travers le tissage. Un art fascinant d’ expérimentations avec la matière, l’échelle et la tridimensionnalité que l’artiste colombienne a menées tout au long de sa carrière. Une dimension sculpturale et environnementale qui saisit au sens propre le visiteur par la mise en scène de Lina Ghotmeh. Son parcours à la Fondation Cartier offre un dialogue entre les œuvres matières pour créer un ressenti de profonde spiritualité et de méditation active.
Entrer dans les œuvres d’Olga de Amaral c’est aussi entrer dans une cartographie des territoires, dans une autre forme de représentation des paysages. Lorsqu’elle n’est pas dans une représentation figurative du territoire colombien, Olga de Amaral se rapproche d’une représentation métaphorique des éléments : l’eau, l’air, le cycle de la lune et du soleil, le feu, …
En construisant ces surfaces, je crée des espaces de méditation, de contemplation et de réflexion. Chaque petit élément qui compose la surface est non seulement signifiant en soi, mais entre en résonance avec l’ensemble, tout comme l’ensemble entre profondément en résonance avec chacun des éléments qui le composent.
Olga de Amaral
Son travail pourrait être perçu comme une expression visuelle de ce “syncrétisme religieux”, son œuvre faisant dialoguer plusieurs systèmes de croyances ; il pourrait incarner très justement toutes les identités d’un pays comme la Colombie, à la fois provincialiste, catholique et conservateur, et une réalité culturelle profondément enracinée dans des traditions symboliques autochtones. María Wills Londoño, Les fils sacrés d’Olga de Amaral. jusqu’au 16 mars 2025, avec accès gratuit le dernier jour à la Fondation Cartier
A lire : Catalogue éditions Fondation Cartier pour l’art contemporain, Paris (bilingue) avec les contributions d’Ann Coxon, conservatrice et spécialiste de l’art textile ; de Lina Ghotmeh, architecte de l’exposition ; de Marie Perennès, commissaire de l’exposition ; et de María Wills Londoño, historienne de l’art.
Chiharu Shiota. Les tremblements de l’âme (Grand Palais-RMN)

Chiharu Shiota The Soul Trembles (Grand Palais RMN) photo OOlgan
Autre facette de « fiber art » tout aussi immersive et fascinante, les fils suspendus de Chiharu Shiota déployés en sept installations monumentales au Grand Palais. Dès l’escalier monumentale d’accès, l’artiste japonaise fascine par son élégante sculpture suspendu. Mais ce n’est rien par rapport au vertige qui saisit le visiteur rentrant dans cette immense grotte quasi utérine, où six barques retiennent un immense essai de fils rouge. « Voyage incertain » semble suspendu entre la naissance et la mort, retenu par un fil. A la fois cocon et nid, la fragilité de l’existence prend un corps paradoxal et flottant.
Les fils reliés sont le signe distinctif de sa pratique.
Elle matérialise ainsi les liens immatériels qui nous relient les uns aux autres. Chaque fil, chaque nœud témoigne de la complexité de nos émotions et de nos relations aux êtres et à l’espace. » es sujets sont intimes, mais ils ne font que renforcer la portée universelle de son art, qui est une profonde réflexion sur la condition humaine. Chiharu Shiota nomme « présence dans l’absence » ce qu’elle cherche à matérialiser dans ses œuvres, qui invitent le spectateur à une méditation intime.»
L’autre choc en contrepoint vient de cette salle de concert en voie de consumation, comme aspiré par des fils noirs. In Silence (2002) s’organise autour d’un piano à demi carbonisé au milieu de chaises noircies par le feu, tous emprisonnés une toile serré de fils noirs. L’impression est suffocante, tant le plafond des fumées est bas, évoquant à la fois la propagation de fumées mais aussi les ondes d’une musique, imprimée dan sles mémoires, longtemps après que tout s’est tu… jusqu’au 19 mars 2025, Grand Palais RMN
A lire : Catalogue Grand Palais RMN Editions, encadré par deux textes clés, un essai de Mami Kataoka, directrice du Mori Art Museum et un entretien mené par Andrea Jahn.
Nadia Léger. Une femme d’avant-garde (Musée Maillol)
Malgré les efforts accomplis par Aymar du Chatenet à travers la première biographie Nadia Leger, l’histoire extraordinaire d’une femme de l’ombre (éditions IMAV, 2019), puis son commissariat d’une première exposition Les couleurs de Nadia, au Musée de l’Annonciade de Saint-Tropez (2021), Nadia Khodossievitch-Léger (1904-1982) reste désespérément sous les radars des historiens d’art et de la mémoire collective.
Pourtant le musée Léger à Biot, sa construction et son financement, la centaine d’œuvres de Fernand Léger léguée, c’est son don.
Comment expliquer cette invisibilisation ? Quelques pistes se dégagent dans l’effort très remarquable de l’exposition du Musée Maillol

Le panthéon de Nadia Léger. Une femme d’avant-garde (Musée Maillol) Photo OOlgan
Son « panthéon » secoue les yeux
Il ouvre le parcours, dédié aux grandes figures du communisme, de Marx à Gagarine, de Staline à Thorez…. constitue un véritable choc. Nadia était communiste, de la plus dure espèce, stalinienne, inébranlable et jusqu’au-boutiste.

Nadia Léger. Une femme d’avant-garde (Musée Maillol) Photo OOlgan
Malgré son intégration comme directrice du Studio Léger où plus de 200 élèves assidus ont reçu son enseignement (de Sam Françis à Nicolas de Staël) notamment pendant l’exil de Fernand, elle était et reste une étrangère, venue très jeune de sa Biélorussie natale. Enfin, nulle doute qu’être femme dans un milieu artistique parisien plutôt patriarcal n’était pas un frein pour une carrière, l’intérêt voir le soutien du marché, mais dés qu’il s’agit de rentrer dans l’Histoire…
Plus rédhibitoire, la difficulté de déceler une unité de style et d’inspiration dans une œuvre, qui reste dans le sillage de Fernand Léger, tout en étant successivement ou en même temps, de tant de courants et de genres : suprématisme, constructivisme, cubisme, nouveau réalisme français, suprématisme coloriste…
Pourtant, ses talents de coloriste aux tonalités chromatiques annonciatrices du Pop art restent d’une puissance modernité, qui pourraient (enfin) lui faire traverser le mur de verre de la notoriété. Encore faut-il ne pas s’arrêter aux héros du réalisme socialiste qu’elle représente avec tant de puissance! jusqu’au 23 mars, Musée Maillol
Julie Manet & ses cousines, la liberté de créer au féminin (Franciscaines Deauville – édition des Falaises)

Julie Manet, Jeune femme à l’étole d’hermine, 1898-1899) (Franciscaines Deauville) photo OOlgan
De Julie Manet (1878-1966), fille de Berthe Morisot et nièce d’Edouard Manet on connait mieux l’importance depuis l’exposition « Julie Manet, la mémoire impressionniste » du Musée Marmottan en 2022. L’angle adopté par la commissaire Dominique d’Arnoult dépasse l’engagement de sa vie : faire reconnaitre l’impressionsime à travers l’œuvre de sa mère et de son oncle. Il cherche au contraire à l’éclairer comme artiste coincé entre ses devoirs de mémoire et ses devoirs de femme mariée.
Il y a d’abord le foisonnement artistique de « l’escadron volant » qu’elle anime, hébergeant ses cousines Jeannie et Paule Gobillard.
Ces trois jeunes femmes, éprises de liberté marquent leur temps par leur créativité dans des disciplines variées : peinture, aquarelle, photographie, musique et écriture. Leur émancipation est rare pour leur époque, partageant voyages, vie artistique et liberté. Elles peuvent aussi compter sur des mentors bienveillants comme Renoir, Degas et Mallarmé.
Si l’exposition réussit à éclairer leur carrière trop méconnue, elle témoigne aussi des limites d’une histoire féminine dédiée à la création.
A son mariage avec le peintre Ernst Rouart 1900, Julie pose dorénavant pour son mari. Ernest l’immortalise le pinceau à la main, érigeant son épouse au rang d’alter ego alors que celle-ci arrête de peindre jusqu’à son décès. jusqu’au 11 mai 25, Franciscaine de Deauville – A lire: Catalogue aux éditions des Falaises, revient sur le contexte et les découvertes effectuées par la comissaire.
Judit Reigl, L’envol. Dessins et peintures, 1954-2012 (LAAC Dunkerque)

Judith Riegl, encre sur toile, 2011 fonds de dotation PH Boudreaux ADAG
Celle qui définissait toute démarche créatrice comme « le désir désespéré de détruire les contradictions et les limites de l’existence personnelle, humaine et cosmique » n’a pas encore eu la rétrospective embrassant l’ensemble d’un œuvre brassant l’invention du geste, de l’intelligence de la forme ou de la jubilation de la matière. MBA Caen – LAAC Dunkerque ont choisi d’en éclairer avec le dessin une expression singulière.
« Qu’il annonce le tableau à venir, qu’il en déjoue l’impossible jaillissement ou qu’il en constitue le parachèvement, le dessin reste pour Judit Reigl intimement lié à l’acte de peindre. »
Emmanuelle Delapierre, Directrice du MBA et commissaire de l’exposition
Intensément engagée dans un travail de la création libre

Judith Reigl, Centre de dominance, 1958, huile sur toile, Galerie Dina Vierny © ADAG
Tout au long de sa vie, résolument libre, Judith Reigl a refusé de se limiter à un langage unique susceptible de restreindre son champ d’exploration. Pourquoi choisir entre la figuration et l’abstraction si la quête est d’un autre ordre et qu’il s’agit d’interroger sans relâche les moyens de la peinture, les outils, les gestes, l’espace du tableau, les formes advenues ? Tout chez Judit Reigl, à commencer par son arrivée en France depuis les frontières hongroises, est affaire de libération :
« La lutte pour la liberté est fondamentale. Les frontières que je rencontrais, je devais les franchir. Les murs, je devais les traverser, qu’il s’agisse d’une cloison en briques ou d’une toile saturée de peinture. J’ai toujours voulu me libérer, dans la vie et dans mon travail. En regardant ce monde comme si j’étais déjà sur une autre planète, j’ai encore envie de me libérer. »
Judit Reigl
De la chute des corps à l’envol des oiseaux, l’irrépressible besoin de libération ouvre un inévitable vertige. Sa fidélité à l’automatisme « psychique-physique » l’invite à prendre à tous les risques, gouverné par les polarités négatif-positif, disparition-apparition, ensevelissement-libération.
du 26 avril 2025 au 14 septembre 2025, Lieu d’art et action contemporaine (LAAC) à Dunkerque.
Geneviève Asse. Le bleu prend tout ce qui passe. (Musée Soulages Rodez)

Genevieve Asse Horizontale Bleue 1972. Collection de Bueil & Ract-Madoux, Paris. Photo JL Losi (Musée Soulages Rodez)
Si l’outre noir est associé à Soulages, la couleur bleue devrait être associé à Geneviève Asse qui s’est imposé à elle à partir des années 1970. Quel que soit le format, la peinture de Geneviève explore les limites de l’effacement, construit des espaces fait de transparence et de lumières, de silence aussi.
Cette peinture énigmatique construite d’espace et de silence est une invitation à la méditation, au voyage.
Sa palette joue de blancs, de bleus, de gris aux nuances infinies, avec des gestes Insoupçonnés au premier regard. Instinctif, il est fait d’un coup, sans repentir. La matière est fluide, posée par de larges brosses aux poils usés. La trace fine et transparente recouvre progressivement les couches précédentes. Jusqu’au 18 mai, Musée Soulages Rodez
Suzane Valadon (Centre Pompidou)
La magnifique exposition enfin au Centre Pompidou couronne le formidable travail des institutions muséales européennes de réhabilitation du regard porté par Suzanne Valadon sur les femmes dans l’art en inventant un réalisme féministe singulier. Il était temps, la dernière monographie parisienne remonte à 1967 alors même que sa reconnaissance artistique, intervenue très tôt, par ses pairs et la critique n’empêchait pas quelques stéréotypes de genre.

Suzanne Valadon, Le lancement de filet, 1914 (Centre Pompidou) photo OOlgan
Véritable « passeuse » d’un siècle à l’autre, son rôle d’artiste autodidacte indépendante et précurseur supplante désormais celle d’Utter (mari) et Utrillo (fils).
Par son ampleur, les thèmes approfondis – en particulier le nu en général et le nu masculin en particulier qu’elle a su transcender, sans artifice ni voyeurisme, ¨- l’œuvre a gagné sa légitimité propre; du sujet passif à l’artiste agissante, elle est symptomatique de l’émancipation des artistes femmes à l’aube du 20e siècle.
Libérée des carcans sociaux et artistiques, Valadon investit le domaine de la sexualité en peinture, longtemps cantonné à l’antagonisme « artiste mâle / modèle femme nue.
Nathalie Ernoult, Chiara Parisi, Xavier Rey,Commissariat
Par ses efforts pour soutenir ces consœurs, l’artiste indépendante et résolument moderne qui a choisi de peindre le réel e reste aussi plus que jamais un exemple d’émulation pour une reconnaissance de la femme artiste. jusqu’au 26 mai 25, Centre Pompidou. A voir : Suzanne Valadon, peintre sans concession, Arte TV
https://youtu.be/OAoVmJlPn38