Cren & Akte Collab’, des trains Berlinois à la Nightime Gallery via District 13

A District 13 à Drouot, Nightime Gallery exposait Cren & Akte one Collab’, le travail du duo berlinois : Michel « Cren » Pietsch & Akte One. Baptiste Le Guay est allé à leur rencontre pour décrypter leur passion partagée du graff, et leurs motivations pour créer des œuvres en commun. Entre monuments historiques comme le Gendarmenmarkt à Berlin ou Notre Dame de Paris, leur Collab’ combine l’Histoire de l’humanité dans le mouvement de l’art urbain, et une perspective de mise en abîme avec un effet en 3D.

  

Singular’s : Comment vous êtes-vous rencontrés et avez décidés de travailler ensemble ?

Cren & Akte Collab’, Cren (à gauche) et Akte one (à droite), présenté par Nightime Gallery à District 13 Drouot Paris photo Baptiste Le Guay

Michel « Cren » Pietsch: La première fois que nous nous sommes vraiment « connectés », nous avons parlé à une soirée car nous nous connaissions de vue avant mais pas plus que ça. C’était en 2016.

Akte One : Il m’a invité dans son studio, puis il a changé de studio et on a peint ensemble dans son nouvel atelier. La première toile était avec cet effet 3D, c’était un Yin-Yang en orange et bleu, nous en avons fait deux.
Au début, nous ne savions pas que nous allions bosser ensemble donc c’était chacun sa toile. On a rapidement réalisé qu’on faisait une bonne équipe et depuis Cren m’a donné les clés de son studio pour que chacun puisse faire ses propres projets.

Cren & Akte Collab’, le duo signe de leurs couleurs communes photo Baptiste Le Guay

Qu’est-ce qui vous a fait associer le jaune/orange (chaud) et le bleu (froid) ?

Cren : Nous avons essayé plusieurs couleurs mais celles-ci étaient vraiment les plus complémentaires d’entre elles.

Akte One : Pour les lunettes 3D nous avons remarqué que les couleurs devaient être contrastées entre une couleur chaude et une froide, une sombre et l’autre lumineuse. Si nous utilisions une mauvaise couleur ou une structure déficiente, l’image avait l’air plate.

Nous cherchions à obtenir au maximum cet effet de relief et de mise en perspective.

Cren & Akte Collab’, Berlin map Est & Ouest photo Baptiste Le Guay

Vous êtes tous les deux Berlinois. Pourquoi avoir décidé de représenter la place du Gendarmenmarkt (place emblématique de la capitale allemande) dans votre travail ?

Cren : C’était pour le 30ème anniversaire de la chute du mur de Berlin (1989). Cela symbolise la réunification de Berlin Est et Ouest. Akte One vient de l’Est et moi de l’Ouest, donc ça fait également partie de notre histoire à nous.

Cren & Akte Collab’, Notre Dame de Paris photo Baptiste Le Guay

Pourquoi avez-vous également représenté la Cathédrale de Notre Dame de Paris ?

AkteOne : J’ai visité pour la première fois Notre-Dame lorsque je suis venu à Paris en 2019. Le lendemain, en rentrant de l’aéroport, j’ai vu à la télévision la Cathédrale brûler. C’était fou ! Nous avons fait le tableau lorsque le monument a été restauré en 2024.

Sur ces monuments et partout ailleurs, comment le recours au pur graffiti avec ses lettrages et ses formes variées vous est-il venu?

Cren : Nous venons du graffiti! C’est notre signature à chacun, il a la sienne et j’ai la mienne, nous pouvons les lire sur nos toiles.

Akte one : C’est comme une bataille où chacun signe, le graff est toujours mis par-dessus un autre et ainsi de suite. Ça donne une certaine profondeur, c’est une sorte d’aquarium de mots, le tout est très compressé sans espace. Il y a aussi des taches de couleurs.

Il y a un mix entre le street art et le pop art.

Cren & Akte Collab’, Metro berlinois, photo Baptiste Le Guay

Nous pouvons voir des graphs sur des cartes de Métro, avez-vous commencé par graffer à cet endroit ?

Akte one : Oui j’aime les trains. Si je pouvais courir plus longtemps, le train serait mon premier support. Le train est la meilleure toile qui existe pour moi. C’est dur d’arriver à expliquer pourquoi. Le fait qu’il y ai un bord pour peindre, les formes du compartiment qui s’ajustent parfaitement.

C’est un acte romantique pour chaque vrai graffeur de peindre un train.

Est-ce qu’il y a un enjeu avec la sécurité également, comme c’est interdit ?

Akte one : Oui bien sûr. Certaines personnes dites « vandales » vont le faire pour l’adrénaline, ce n’est pas la raison pour laquelle je peins des trains. C’est vraiment romantique, il faut le vivre pour le comprendre.

Il y a deux catégories : les vandales qui vont bomber le plus d’endroit possible et les graffeurs romantiques comme moi. Personne d’autre peint des trains, seulement ces deux groupes de personnes.

Sachant que c’est un jeu du chat et de la souris avec les autorités, où il faut être « pas vu, pas pris », comment gérez-vous le temps lorsque vous taguez les trains ?

Akte one, Trains, photo Baptiste Le Guay

Akte one : Lorsque je peins un « Hall of fame » comme au festival de Tilbourg, je peins toute la journée (entre 8 et 10 heures). Pour un train, tu as entre 20 et 30 minutes de temps disponible. Ça a rend mieux lorsque tu fais un style plus simple car tu as le train en arrière-plan. Avec ses bords tranchants, ça donne un effet parfait. Les couleurs qui vont sur l’acier du bas du train, qui recouvrent les fenêtres, c’est romantique pour moi. (Rires)

La plupart des gens ne comprennent pas pourquoi nous faisons ça. Quand je me balade à travers la ville et que je vois mes graffs, c’est comme lorsque tu t’assois à Noël pour voir l’album de photos de famille. C’est la même sensation que j’éprouve lorsque je retrouve un graff que j’ai peint dans la ville.

Ce que j’aime lorsque je peins une toile, c’est que tu peux arrêter, reprendre la peinture trois jours après. C’est une tout autre approche.

Comment vous conciliez-vous le taguage des trains et la vente en galeries et votre présence à District 13 à Drouot ?

Cren & Akte Collab’, Gendarmentmarkt photo Baptiste Le Guay

Akte one : D’abord j’ai vécu pour cette chose, maintenant je vis de cela pour pouvoir prolonger l’expérience. Je veux continuer à vivre de ma passion donc je dois aussi vendre quelque chose. J’ai besoin d’argent pour être libre dans mon art. Je n’ai jamais peint quelque chose que je n’aimais pas. Il y a des artistes qui exécutent des commandes, je ne peux pas faire cela.

Pour la première à Paris, il y a quelques années. Lorsque j’ai vu la scène street art ici, j’étais choqué car il y avait beaucoup d’art avec les Banksy et autres. En Allemagne les gens ont moins d’acceptance vis-à-vis du graff que le public français.

Vous avez pourtant beaucoup de street art à Berlin…

Akte one : Oui nous en avons beaucoup et nous le faisons. Mais le public n’a pas cette tolérance d’accepter cela comme de l’art.

Lorsque c’est du Banksy ou un personnage connu, c’est de l’art, mais les lettrages et les graffitis ne sont pas encore considérés comme tels.

Propos recueillis par Baptiste Le Guay le 15 janvier 2025