Culture

Le Carnet de lecture de Régis Campo, compositeur du Bleu du ciel

Auteur : Olivier Olgan
Article publié le 5 février 2021

Qualifié de « musique de l’émerveillement », les partitions de Régis Campo se nourrissent de littérature, de peinture et de cinéma. Le compositeur nous a confié ses goûts éclectiques. Et son désir de réconcilier les arts, comme en témoigne Le Bleu du ciel, musique inspirée par la migration des hirondelles et traduction sonore des photographies d’Edouard Taufenbach. Ce travail, Prix Swiss Life à 4 mains, est présentée à la Galerie Thierry Bigaignon jusqu’ au 16 février 2021.

Harmoniser des courants parfois contraires

« Sa musique interpelle l’auditeur et qu’elle est suffisamment complexe, très «écrite», pour donner l’envie de la réécouter; mais elle frappe aussi par sa singularité faite de lumière, de joie, parfois d’humour surréaliste, d’entrain rythmique et… d’émerveillement » Thierry Vagne dans le préambule de son livre, Régis Campo – Musique de l’émerveillement (Éditions Aedam Musicae) condense bien la dimension et la portée de l’œuvre de Régis Campo.

Loin des stéréotypes du compositeur contemporain

Régis Campo définit son rôle de compositeur comme « tout en étant original, d’essayer d’harmoniser des courants parfois contraires ». L’ancien résident de la Villa Médicis, devenu membre de l’Académie des Beaux-Arts en 2017, s’est forgé son style aussi bien auprès de ses prestigieux confrères (Dutilleux, Denisov) qu’au contact de la musique populaire, de la variété à la musique de films.
Pour l’auditeur attentif, hommages, pastiches et citations se nichent souvent dans un catalogue de plus de 300 opus dont deux opéras, Les quatre jumelles (2008) d’après Copi et Quai ouest d’après Koltès (2014). La vitalité pour capter la musicalité du monde constitue le ressort sensible d’un compositeur ancré dans son temps, dont l’œuvre refuse toute étiquette. Le carnet d’écoute qui suit le prouve avec humour et détachement. Pour l’ensemble de cette carrière lumineuse et éthique, la SACEM vient de décerner à ce pédagogue attachant le Grand Prix de la musique classique contemporaine 2020.

Ce Bleu du ciel, stimulante collaboration

Edouard Taufenbach & Bastien Pourtout LBDC 01078010, 2020 © Édouard Taufenbach

Véritable symbiose poétique et synesthésique entre les images – mouvements des ailes, nuances du ciel – et la musique – bruissement des ailes et des chants d’oiseaux – , le stimulant travail collaboratif (couronné par le Prix Swiss Life à 4 mains) avec le photographe Edouard Taufenbach se vit et s’épanouit à plusieurs niveaux, esthétique, artistique et musical, où notes et photographies se répondent, se devancent et se pourchassent. Le thème des hirondelles ne doit rien au hasard tant il plonge pour les deux artistes au cœur de leur art. Le photographe défie le mouvement en tentant de capter la magie du vol, utopie au cœur des origines de la photographie. Le musicien tente de retranscrire par ses notes comme nombre de ses prestigieux devanciers, la sonorité de la nature, et la liberté des oiseaux dans leur liberté de mouvement. Les deux artistes s’en expliquent subtilement dans le magnifique livre-objet-cd édité par les éditions Filigranes.

Le rapprochement d’un vocabulaire (en) commun.

Une partition de Régis Campo en regard d’un tracé d’hirondelles

« Le bleu du ciel cherche à développer une représentation sensible du passage du temps, du mouvement, des échanges et des circulations au sein d’un espace. (…) Ce travail est une expérimentation au croisement des usagers artistiques et scientifiques des médiums photographique et musical. précise Régis Campo qui compose à la gomme et au crayon pour mieux noter ce qui capter au grand air, dans le libre mouvement du corps. C’est comme un mouvement ascendant, une danse qui virevolte, avec des mouvements parfois contradictoires dans le ciel. Pour un musicien, ce sont des notes qui se transforment en oiseaux. Les oiseaux semblent suivre une partition faite de ruptures, d’accélérations et de silences, dessinant ses formes abstraites comme des signes à interpréter. »

« Ce projet onirique autour du vol de l’hirondelle est l’histoire d’un voyage. décrit le photographe né en 1988, Il part d’un souvenir d’enfance, de la musique de ces oiseaux dans le ciel et de leur rassemblement sur les fils électriques annonçant la fin de l’été et la rentrée des classes. Plus tard, en observant leurs vols, j’ai été saisi et frappé par la musicalité de cette expérience, le côté très ciselé, découpé, éminemment musical et très contemporain, qui pourrait aussi être anxiogène, d’ailleurs, quelque chose de très riche, très gracieux, très lumineux. Mon travail jusqu’à maintenant s’est fait en lien avec les notions de mouvement, de rythme, avec la fluidité, cela je l’ai retrouvé dans le vol de l’hirondelle, il y avait une source d’inspiration presque infinie et assez incroyable. C’était donc presque déjà de musique dont il s’agissait. »

Le pari du leporello de papier

Les editions Filigranes ont choisi le format leporello pour valoriser en parallele le travail d’Edouard Taufenbach et Regis Campo @ Editions Filigranes

Pour restituer cette expérience unique, Filigranes a retenu le principe du leporello, une seule bande de papier, sans coupure, déroule le fil de la vie et des images. Le patchwork produit un magnifique mouvement. Au verso ; quelques textes et surtout la « correspondances de notations », parallèle très visuel entre compositions écrites à la main de Campo, et les légers tracés de vol d’hirondelles. Au verso, l’ensemble continu des images d’Edouard Taufenbach, images kaléidoscopiques, captant le désordre apparent de l’égaiement des oiseaux.

Tout le long de la bande de papier, les correspondances visuelles et sonores s’accrochent comme les hirondelles et les notes sur le fil, et en démultiplient la portée au double sens du terme. La partition prend toute sa dimension avec les notes insufflées par les voix de Mylene Ballion et Cyril Marinelli.  Les titres et les dédicaces des cinq morceaux qui composent ce jeu d’ailes parlent d’eux-mêmes : Become a bord, Rondini, addio al maestro (in mémoriam Ennio Morricone (1928-2020), Fly away, Ast (A Bjork), The light (A Orlan).

Plus puissante encore est l’installation de la Galerie Thierry Bigaignon jusqu’ au 16 février 2021, où le spectateur peut s’immerger dans la longue mélopée chantée de Régis Campo au fil de sa déambulation sur les images aériennes d’Edouard Taufenbach.

Alter-moderniste radicant 

Avec cet humour qui constitue sa personnalité, Régis Campo se dit alter-moderniste : « radicant comme du lierre qui fait pousser ses racines à côté d’une racine principale ». Et d’assumer la connotation ludique qui s’impose souvent. Pour mieux s’en échapper : « Je ne peux pas enlever cette étiquette, elle existe par défaut je dirais. Or ce terme de ludique a toujours existé, il est intrinsèque à toute musique. Les variations Goldberg de Bach sont ludiques par définition, Mozart et Stravinsky sont ludiques. » Son carnet de lecture l’est aussi !

Carnet d’écoute de Régis Campo

J’aime toujours autant la naïveté et l’énergie des premières pièces d’un Steve Reich même si comme Philip Glass il devrait s’intéresse plus à ce que l’on compose aujourd’hui en France ! J’aime le côté primaire de Music for 18 musicians, Desert Music, Eight Lines, City Life ou Different trains qui expriment une véritable énergie vitale. Ses Eight Lines sont une bouffée d’oxygène anti-confinement !

Pierre Barbizet était immense pianiste et pédagogue, il était le directeur du Conservatoire de Marseille de 1963 à 1990.

J’ai ce souvenir incroyable d’un Pierre Barbizet jouant spontanément les premières pages des Jeux d’eaux à la Villa d’Este sur un piano qui avait appartenu à Liszt pour ses tournées. J’avais eu la nette impression que cette œuvre était improvisée en temps réel et que le génie de Liszt était passé à travers les mains de ce si grand pianiste. Pierre Barbizet présentait parfois la musique classique à la télévision en 1974 dans L’Île Aux Enfants en jouant même une partition de musique contemporaine composée par … Casimir !

La musique de György Ligeti dans 2001, l’Odyssée de l’espace, avec l’impression de voir ces faisceaux harmoniques à travers un hublot d’avion, douze minutes faisant partie de quelque chose d’infini.

Je suis fou de la chanson A Day In A Life des Beatles de l’album Sgt. Pepper’s Lonely Hearts Club Band. Surtout pour le bizarre glissando de l’orchestre symphonique et l’immense accord de Mi majeur joués par plusieurs pianos clôturant la chanson. Orchestration géniale.

« J’eus le vertige et je pleurai car mes yeux avaient vu cet objet secret et conjectural dont les hommes usurpent le nom, mais qu’aucun homme n’a regardé : l’inconcevable univers ». Cet objet dont parle ici Jorge Luis Borges dans sa nouvelle : l’Aleph.

Ma nouvelle préférée avec La Bibliothèque de Babel. À écouter, ses entretiens radiophoniques très bizarres et oniriques.

Souvenir aussi d’un concert de musique contemporaine près du Vatican en 2001 à l’Auditorium della Conciliazione, avec le compositeur Ennio Morricone : On s’est alors vaguement parlé après le concert dans la rue. Forte poignée de mains : Il avait des mains d’artisan, d’ébéniste, franches et calleuses. Souvenir émouvant de son passage sur terre, il nous a offert des musiques insensées avec la voix sublime d’Edda Dell’Orso :

L’Homme au casque d’or de Rembrandt, que mon père avait génialement copié. La copie de mon père était plus géniale que la peinture originale. Enfant, j’adorais avoir peur de ce tableau copié dont les yeux du personnage me suivaient du regard. Il semble aujourd’hui, que le tableau est faussement attribué à Rembrandt. Peu importe pour moi : il est de mon père !

Mes oeuvres

Avec un souvenir très drôle sous la Coupole moi en habit d’académicien, mon surréaliste Dancefloor With Pulsing pour thérémine et orchestre aux 130.000 vues avec ses commentaires surréalistes et cosmiques !

Ma pièce sentimentale et galactique Une Solitude de l’espace

Street-art (avec un ourson qui danse et qui explose à la fin !)

Ma pop song Àst (amour en islandais) en hommage à Björk issu de mon album pop Le Bleu Du Ciel ! J’ai écrit les paroles en anglais et islandais. Björk si vous me lisez !…

La remise de mon épée académicienne et connectée par Yann Arthus-Bertrand sous la Coupole : mon père me téléphone pendant le séance. Grande hilarité de l’assemblée.

Pour suivre Régis Campo, et Le Bleu du ciel

Son blog

Le bleu du ciel, livre-objet-cd, Filigranes Editions.

A lire

Prochaines dates de  l’exposition Le Bleu du ciel

  • jusqu’au 16 février 2021, Galerie Thierry Bigaignon, 9 rue Charlot 75003 Paris, .
  • du 2 mars au 2 mai 2021, Musée de la Piscine, à Roubaix,
  • Juillet 2021 : projection de l’œuvre aux Rencontres d’Arles ;
  • du 9 au 30 septembre 2021, Arrêt sur l’image galerie, à Bordeaux
  • octobre 2021 : 4e édition du Prix Swiss Life à 4 mains au Jeu de Paume.

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