Voyages
Dans les Pouilles, l’art de la céramique prospère avec bonheur
Auteur : Robert Mauss
Article publié le 23 avril 2023
Dans le talon de la botte, plusieurs dizaines de fabriques perpétuent l’art ancestral de la céramique et du travail de la terre cuite. Pour le plus grand bonheur des touristes, mais surtout des Puglieses qui décorent volontiers leurs intérieurs avec cet artisanat local qui reste tendance. Si Grottaglie peut prétendre au titre de capitale locale de la céramique, d’autres villes comme Cutrofiano, Laterza, Rutigliano ou Terlizzi offrent une production locale remarquable. Robert Mauss nous y emmène pour Singular’s.
Avant que l’Homme ne sache lire et écrire, il savait travailler la terre. La faire cuire, la modeler et l’utiliser pour préserver l’eau et la nourriture. Et puis rapidement, l’Homme a voulu décorer ses porteries et ses plats. Historiens et archéologues s’accordent pour dater les premières faïences et céramiques en Chine voilà une vingtaine de milliers d’années.
En Italie, comme ailleurs en Méditerranée, l’affaire est plus récente.
Cinq mille ans tout au plus, mais tout de même bien avant l’écriture. Le besoin d’art et de décoration a donc précédé celui de communiquer. En Europe, bien des pays peuvent justifier d’une industrie et d’une tradition de la céramique. Rappelons-nous en France de Bernard Palissy qui brula ses meubles pour fabriquer des céramiques. L’affaire dura vingt ans de 1536 à 1556 dans un atelier du Saintonge avant que Bernard n’arrive à reproduire la ‘’glaçure’’ d’une coupe italienne rapportée par l’un de ses amis lors d’un voyage dans la Botte. « Il me fut montré une coupe de terre, tournée et émaillée d’une telle beauté, que dès lors j’entrais en dispute avec ma propre pensée » pourra-t-il expliquer pour justifier cette quête qui manqua l’engloutir avec sa famille avant de l’enrichir. Glaçure ou émail, ou encore couverte peut-on dire.
Une industrie bien vivante
En tout cas, la fameuse coupe d’émail blanc ‘’jaspé’’ avait traversé les Alpes. L’Italie déjà, où de la Vénétie à la Sicile, en passant par la Toscane et surtout par les Marches et les Abruzzes des milliers d’artisans font rugir les fours pour cuire l’argile.
Céramique ou porcelaine ? Tout est une question de température. La seconde requiert seulement un feu plus ardent que la première afin de transformer un bête objet fait d’argile émaillé en sujet d’admiration et de contemplation.
En France ou aux Pays-Bas, il ne subsiste plus grand-chose de la prodigieuse industrie de faïence et de céramique dont la production fit le bonheur des ménages bourgeois dès le XVIème siècle. Limoges se bat pour survivre. Les techniques au grand feu qui firent la réputation des faïenciers de Marseille sont au mieux des souvenirs livresques. Les supermarchés et les marchands chinois ont mis par terre les ateliers et leur savoir-faire. Tout en permettant, il est vrai, au plus grand nombre de profiter d’une vaisselle plus jolie. L’Italie encore. Où l’affaire continue de prospérer. Les industriels et les artisans locaux ne baissent pas les bras face à une concurrence asiatique terriblement efficace avec ses prix cassés.
La Fédération italienne de la céramique recense environ 250 entreprises et 25 000 personnes sur le territoire national qui exportent volontiers leur production : tuiles, dalles pour le sol ou produits sanitaires. Et de plus en plus objets de décoration et arts de la table.
Les Pouilles sont un centre de production considérable de la céramique italienne. Comme ailleurs, les artisans fabriquaient des objets utiles comme des amphores destinées à contenir la célèbre huile d’olive ou le vin de la région. Aujourd’hui, ces liquides sont conservés autrement.
Mais les Puglieses, les gens des Pouilles, aiment prendre leurs repas dans la vaisselle produite par l’une des dizaines de fabriques de la région. Beaucoup de gens décorent volontiers leurs maisons en accrochant des grands plats circulaires avec des décors ensoleillés : mer, fruits, paysages… Certains motifs ou objets sont d’ailleurs parfaitement typiques de la région et chaque atelier de la région propose sa production.
Pumo, sifflets, capasoni et pupa
Le “pumo” comme le bouton ou le bourgeon d’un fruit, est probablement l’objet le plus emblématique de la céramique des Pouilles. Il existe des pumi (un pumo, des pumi) de toutes les tailles, de toutes les couleurs et bien sur à tous … les prix. Il existe des lampes en forme de Pumo, des objets de jardin, des décors de cheminées, de places publiques…. Vous l’avez compris, il s’agit d’un porte-bonheur que tout un chacun doit posséder. Certains artisans jouent volontiers sur la forme du pumo afin de moderniser cet objet traditionnel, parait-il inspiré par un très ancien culte à la déesse Pomona chargée par Zeus de veiller sur les fruits.
Les « capasoni » sont ces grands contenants destinés à l’origine à contenir le vin ou l’huile d’olive. Aujourd’hui, ils décorent les patios des maisons. Les céramistes locaux produisent aussi des sifflets en terre cuite et peints à froid. Ces objets prennent des formes différentes selon l’inspiration de l’artisan : femme, soldat, animal, etc.
La “Pupa” est l’autre produit typique de la région.
Il s’agit d’une sorte de poupée d’une grosse femme en porcelaine, peinte selon l’inspiration de l’artisan. Les historiens affirment que la figurine a traversé les siècles : richement parée, cette femme curieusement moustachue serait la descendante de l’épouse des serfs du Moyen Age, contrainte de passer sa nuit de noce avec le seigneur du coin. Il semblerait que la première Pupa fut originaire de la ville de Grottaglie, aujourd’hui le centre principal de la céramique des Pouilles grâce à son sol en argile.
Au cœur de la province de Tarente, Grottaglie est l’une des 28 villes italiennes pouvant arborer le label DOC sorte d’appellation contrôlée qui certifie que la production répond à des normes précises. Le long du ravin Saint Georges, dans le centre historique de la ville, aux pieds du château fort local, une cinquantaine d’ateliers sont regroupés au sein du quartier de la céramique, “li Camenn’re” ou les cheminées. Les visiteurs se pressent deux fois par an, en aout et en décembre pour profiter de deux grandes expositions. La ville a également ouvert un magnifique musée dédié à la céramique.
Si Grottaglie peut prétendre au titre de capitale locale de la céramique, d’autres villes comme Cutrofiano, Laterza, Rutigliano ou Terlizzi offrent une production locale remarquable.
A Cutrofiano, par exemple, la fabrique des Frères Coli existe depuis 1650 ! Leurs céramiques sont réputées pour leur brillance et leur résistance aux chocs : on peut laisser tomber une bille d’une hauteur de 90 centimètres sans dommage. Cette petite ville organise chaque année au sein de l’école communale au mois d’aout une ‘’Mostra della Ceramica’’ visitée par des milliers de personnes.
Une vaisselle originale
La céramique locale se caractérise souvent par l’emploi des couleurs verte, bleue et ocre. Les poteries, les jarres ou les vaisselles arborent volontiers un coq, souvenir du dieu Mercure. Les amateurs apprécient également les céramiques blanches typiques de la ville. Elles utilisent un émail blanc à base d’oxyde d’étain. Chaque artisan a ses secrets de fabrication, jalousement protégés et transmis de génération en génération.
Mais quelque soit l’atelier, les pièces sont toujours décorées à la main ! Certains faïenciers fabriquent des objets de style traditionnels. D’autres au contraire privilégient une véritable création d’avant-garde. Nicola Fasano ou Monica Righi sont chacun dans leur genre les vedettes de la céramique locale. Le premier est disons plus utilitariste. La seconde est davantage engagée dans l’exploitation de concepts inspirés de l’histoire de la région marquée par les invasions turques, arabes ou normandes.
La vaisselle des Pouilles est devenue également emblématique de la région.
Beaucoup de plats arborent le fameux coq, symbole de protection et de bonne fortune. L’animal mythifié est souvent entouré de fleurs stylisées de couleur bleue. Aujourd’hui, les clients privilégient à raison la vaisselle tachetée. ‘’Macchiato’’ en italien. L’artisan badigeonne ses créations avec une branche de romarin ou d’olivier trempé dans la couleur avant de les placer au four. Aucune assiette ne ressemble à une autre. Effet garanti
#Robert Mauss
Informations pratiques sur les fabriques de céramiques italiennes
Trois musées à voir
- Museo della Ceramica di Grottaglie, Castello Episcopio, 74023 Grottaglie – Horaires : 10:30 – 13:00 et 15:30 -19:00
- Museo Archéologique Francesco Ribezzi, Piazza Duomo, 6, 72100 Brindisi BR – Horaires : 9:00 – 19:00 Fermé le lundi
- Museo del Fischietto « Domenico Divella », Palazzo San Domenico, Via L. Tarantini, 28, Rutigliano Bari, Horaires 24 x 24 :00 ! – info@museodelfischietto.it
Cinq fabriques de céramique
Fratelli Coli, 2 Viale della Ceramica, Cutrofiano Province de Lecce
Nicola Fasano, 6 Via Francesco Crispi, Grottaglie
Monica Righi, 11 Via degli Ammirati, Lecce
La Terra Incantata, 67 Via S. Sofia, Grottaglie
Ceramiche Carella, 31 Via Cattedrale Ostuni
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