Don Quichotte cherche moulin à vent, désespérément à l'Opéra Bastille
Loin de l’imagerie du chevalier errant
Pas de plat à barbe recyclé en casque de chevalier, pas de haridelle surnommée Rossinante, ni de Sancho Panza grimpé sur un âne, et pas davantage de moulins à vent. C’est un Don Quichotte « new age » proposé par l’Opéra Bastille jusqu’au 11 juin 2024. Mais d’abord le Don Quichotte, de Jules Massenet sur un livret d’Henri Cain, bien sûr. Pour le diriger, on est allé chercher le grand spécialiste du compositeur français, Patrick Fournillier, actuellement à la tête de l’Orchestre national de Pologne. La musique donne toute la puissance, les couleurs et la générosité voulue à la partition.
La distribution est tout aussi sublime, avec le baryton-basse Christian van Horn dans le rôle-titre, la mezzo-soprano Gaëlle Arquez en Dulcinée et le baryton Etienne Dupuis en Sancho. Le public d’ailleurs ne s’y trompe pas qui les applaudit à de nombreuses reprises avant de leur accorder une ovation au tomber de rideau.
Mais pourquoi diable cette mise en scène qui nous raconte une autre histoire ?
On ne sait pas trop laquelle et le metteur en scène Damiano Michieletto, non plus. Le public, encore lui, à l’entracte comme après la représentation, balance entre la franche rigolade et la mauvaise humeur.
L’opéra s’est toujours saisi de sujets pittoresques, fabuleux, impressionnants, voire picaresques, pleins de péripéties et de couleurs. Les auteurs voulaient faire le spectacle, de quoi édifier le public, comme plus tard le cinéma. Alors, il y avait la partition pour mettre l’argument en musique et le livret pour le raconter. Comme l’histoire est souvent complexe, et même alambiqué, la mise en scène et les décors étaient supposés aider à la compréhension. Sauf que maintenant, tout porte à croire qu’ils servent plutôt à égarer le spectateur.
Rendre grâce au metteur en scène de nous avoir épargné le pire
Ici, pas de personnages en costume trois pièces attaché-case comme on en a trop l’habitude. Et pas davantage de troupe de break danse pour se contorsionner. Non, non, on a échappé à cela.
Reste beaucoup de choses qui interloquent comme cette scène bizarrement verte, quoique sans luxuriance, on n’est pas dans la forêt de Fontainebleau par une belle journée de printemps, mais plutôt d’un vert maladif, d’un vert sanatorium, ou d’un vert RATP,
parce qu’avec la cravate, ce Don Quichotte fait parfois penser à un contrôleur du métro : « Ticket, si vous plait… ».
On n’est pourtant pas du tout dans les boyaux sous le sol de Paris parce que le décor évoque tout d’abord dans un appartement de CSP+ des années 60 ou 70, avant de s’élargir jusqu’à ressembler vaguement à un hall de gare, toujours tout vert. Des gnomes sautillants, en uniforme de collégien anglais – allez savoir ce qu’ils font là – et, dans un autre acte, une sorte de bal des années yéyé, les femmes en jupe corolle sur jupon.
Enfin, parce que c’est inévitable, des images vidéo sont projetées sur le fond du décor, comme dans toutes les représentations de théâtre subventionné depuis une quinzaine d’années.
Un stéréotype de non-conventionnel « canal officiel ».
Il y a quand même une idée qui sauve de l’ennui : ces danseuses et danseurs de flamenco, visage masqué, noirs de la tête aux pieds, dont on devine qu’ils symbolisent les spectres venus hanter le vieux Don Quichotte…
Le public, lui, il y a belle lurette qu’il a pris la fuite, qu’il est dans le brouillard. Loin de cette verdeur maladive, il pense à Miguel de Cervantes et se surprend tout d’un coup à rêver de haridelles, d’un chevalier à la triste figure et de moulins à vent.