Essai : Quand la forêt brûle, Penser la nouvelle catastrophe écologique, de Joelle Zask
Paru en 2019 alors que les « mégafeux » détruisaient déjà l’Amazonie et la Sibérie, les feux non contrôlés de l’Australie début 2020, et de l’été 2021 confirment que les mégafeux restent des révélateurs de nos illusions. Le terrible constat de la philosophe Joëlle Zask dans son livre Quand la forêt brule n’a hélas rien perdu de son actualité. Son injonction à Penser la nouvelle catastrophe écologique s’impose face au « rapport complètement détraqué et impensée et à la nature » de nos contemporains.
Interview d’une indispensable lanceuse d’alerte qui rappelle que si beaucoup de questions ne sont jamais posées. Les « mégafeux » nous invitent à le faire.
« Beaucoup de questions ne sont jamais posées. Les « mégafeux » nous invitent à le faire. »
Le livre réquisitoire sur l’incurie des hommes à bien gérer leur forêt, n’a hélas rien perdu de sa pertinence, alors que le changement climatique, la déforestation et la cupidité fragilisent chaque jour la forêt. La philosophe Joëlle Zask rappelle que ces mégafeux sont « le symptôme de deux illusions contradictoires : notre neutralité sur le climat, notre supériorité sur la nature ». Les pratiques ancestrales ont laissé place à des pratiques industrielles qui ont perdu le lien avec la nature.
… et de donner des pistes pour d’éventuelles solutions.
Une nécessaire approche pluridisciplinaire permet de ne pas confondre ‘feux anthropiques’ – les « brulages dirigés », ces feux que l’espèce humaine a apportés partout où elle est allée, qui ont sculptés les paysages comme le bush australien ou les grandes plaines américaines – et les incendies « pyromanes » : à 90% d’origine humaine, avec souvent une connotation criminelle. Après le constat que « tout ce qui est monoculturel – en agriculture comme en civilisation – est fatal » , l’auteure invite plus que jamais à cultiver la diversité de ce patrimoine vert, sans croire qu’une nature sans homme serait souhaitable, voir possible à l’échelle de temps proche qui nous préoccupe.
Pourquoi les « mégafeux » bousculent nos certitudes ?
Joelle Zask. Les mégafeux relèvent et révèlent des effets du réchauffement climatique : s’ils représentent seulement 3% des incendies, ils entrainent plus de 50% des surfaces brûlées de la planète. Ils y contribuent grandement par ailleurs. Par leur taille, leur durée et leurs impacts (notamment sur la fonte des banquises, des glaciers, et du thermafrost sibérien.
Leur multiplication interpelle aussi bien les certitudes des climatosceptiques, que celles de ceux qui croient aux équilibres spontanés, que les feux seraient bons pour la forêt, qu’ils feraient partis de ses rythmes naturels et qu’il faut les laisser passer. Plus généralement, ils mettent à mal notre idéologie de la domination de la nature, qu’elle serait ‘contrôlable’, qu’il suffirait de la préserver et d’intervenir le moins possible pour qu’elle s’accomplisse.
Comment penser ce phénomène récent et inédit si massif, et si peu analysée selon vous ?
Je ne comprends pas très bien que l’on ne cherche pas à mieux l’identifier, le comprendre et le prévenir ! Les mégafeux installent un cercle vicieux infernal partout sur la planère – pas seulement en Amazonie, en Afrique à Sumatra, en Sibérie … et pose des problèmes multiples : sols, géographiques, économiques, sanitaires et politiques …. L’attribution de responsabilités est un phénomène très récent.
Autre observation, penser le mégafeu n’apparait que par le décloisonnement des savoirs et des connaissances : scientifiques, géographiques, économiques, anthropologiques, …
Y a-t-il une corrélation entre ces «mégafeux» et notre rapport avec la nature ?
Il faudrait approfondir la corrélation forte entre le préservationnisme à tout prix et la cécité vis-à-vis des mégafeux. De plus ces phénomènes dissimilent des réalités extrêmement contrastées. Qu’elles soient géographiques, économiques, politiques voire sanitaires. Hélas les citoyens suffoquent.
Si tous les scénarios d’avenir sont plutôt pessimistes, seule la culture peut l’emporter. Non pas celle de ‘guerre contre le feu’ qui fait croire qu’une escalade de matériels technologiques nous la fera gagner (elle ne fait qu’empêcher que les habitations soient dévastées, ces incendies s’éteignant principalement grâce à des causes naturelles (pluie, neiges, vents…). On contient les feux on ne les éteint pas.
Comment réagir face à un phénomène qui ne peut que s’aggraver ?
Il est temps d’occuper de nos paysages, urbains comme ruraux pour limiter les foyers potentiels et réinventer un moyen de coopérer avec la nature, et arrêter de nous développer en opposition avec elle.
Quand les forêts sont occupées de façon non invasives, il y a moins de feu que lorsqu’elles sont abandonnées aux insectes destructeurs, à l’exploitation industrielle, aux tourismes… Cette nature anthropisée existe, habituée aux usages humains, entretenue et objet de soins (débroussaillage) et de culture (brulage en mosaïque). Un entretien de la forêt est plus que jamais audible et justifiée.
Plus il y a plus de connaissance, moins il y a de feux. Les espaces qui échappent à notre connaissance reste fondamentalement ignorées. En la matière le champ est immense. Pensons que l’on ne s’intéresse aux sols que depuis récemment. En 1960, l’humus, c’était la boite noire !
La préservation d’un espace anthropique
Le paysage est toujours hérité des générations antérieures. Les lieux auxquels nous sommes attachés nous ont été partagés. Il faut endosser l’héritage et le léguer aux générations futures. Une bonne définition d’un paysage est l’interaction entre activités humaines et phénomènes naturels. Il faut continuer à comprendre cette terre occupée par les hommes, cette ADAMA, cette terre jardinée qui risque de nous faire défaut si l’on continue. Ce qui est en danger, ce sont les réalités auxquelles nous sommes attachées.
Propos recueillis en septembre 2019 par Olivier Olgan pour le Magazine Culture Papier n°37