Culture

Essais : Eloge de la bienveillance, par Pierre Rabhi, Daniel Pennac, Richard Thaler et Cass R. Sunstein

Auteur : François Lebrun
Article publié le 8 décembre 2017 à 23 h 17 min – Mis à jour le 22 mai 2018 à 12 h 23 min

Dans la vie, il faut être méchant ! C’est le secret des intelligents qui réussissent socialement. L’axiome est aussi avéré que les vertus aphrodisiaques des cornes de rhinocéros. Mais en France, il perdure, et particulièrement à Paris. il est temps de valoriser la bienveillance ! avec Pierre Rabhi, Daniel Pennac, Richard Thaler et Cass R. Sunstein

C’est aussi la seule technique qui vaille pour survivre dans le monde qui se dessine. De fait, comme chacun y met un peu du sien, la fausse idée devient auto réalisatrice. Les vacheries individuelles s’agglomèrent pour former une bouse collective.
De la pensée de Sartre, bon nombre de nos contemporains n’ont retenu que la phrase qui leur assurait la moyenne au bac de philo : « l’enfer, c’est les autres ». Mais bien peu ont réalisé que nous sommes tous l’autre de quelqu’un. C’est comme l’environnement. On se lamente tous des atteintes qui lui sont portées. Parce qu’on s’imagine le monde comme une tapisserie fragile des Gobelins, devant laquelle il serait si agréable de disserter, si elle n’était pas en si mauvais état. Mais non, l’environnement est plutôt comparable à un Rubiks Cube©. Chaque être sur la planète, en touchant à l’une de ses faces, interagit sur tous les autres côtés.

Nous pourrions apporter un minimum de sens et d’harmonie à ces mouvements inconsidérés que nous imposons à nos prochains et au monde qui nous entoure. En philosophie, cela s’appelle la bienveillance. En spiritualité, elle se nomme empathie. En économie, c’est la doctrine du Nudge [« coup de pouce » en anglais], qui consiste à dire que l’accumulation, par chacun d’entre nous, de petits gestes utiles finit par créer un grand progrès pour la collectivité.

La part du colibri de Pierre Rabhi pourrait parfaitement illustrer cette thèse, mais on entendrait aussitôt les sarcasmes de ceux qui ont bien compris que pour tenir leur rang dans la société, ils doivent être persifleurs. N’insistons donc pas, et mentionnons seulement que la théorie du Nudge a quand même valu en 2002 un prix Nobel à son concepteur, Daniel Kahnemann. Puisque les forces de l’esprit résident dans l‘égoïsme et la condescendance, continuons donc à nous pourrir la vie. Dans le métro, la notion de « pardon » a été ravalée au rang d’avertisseur sonore. Le jour est proche où dans le « Robert », en lieu et place de ce mot sublime, on trouvera la définition suivante : « phrasé populaire, synonyme de : dégage connard ». On voudrait bien, pourtant, que le monde soit plus solidaire, ne serait-ce que pour garantir nos retraites et nos soins, mais nous sommes tellement plus enclins à former des foules de solitaires.

 

Une réforme structurelle s’imposerait…

La bienveillance est un cheminement

La bienveillance est un cheminement… © Jean-François Spricigo

Elle nous demanderait des efforts et des sacrifices. Pensez, il nous faudrait réapprendre à sourire à son voisin, à dire merci, bonjour monsieur. Fort heureusement, la société sait produire ses anticorps. Elle peut mobiliser dans l’instant une armée de pourfendeurs du sentimentalisme et de l’altérité. A peine un Mathieu Ricard ose-t-il émettre que l’homme est naturellement bienveillant, comme en atteste la découverte récente des neurones miroirs, que des courageux Zemmour, Finkielkraut et Yves Michaud prennent les armes pour éradiquer ces odieuses tentatives d’invasions de bisounours.

Leur dévouement est admirable pour nous rééduquer. Comment, naïfs, aveugles et soumis que nous sommes n’avons-nous pas vu que le monde est en guerre ? Il est menacé par le terrorisme fanatique, et bien d’autres afflictions, et nous, nous ne trouvons rien de mieux que de prôner le bien vivre ensemble ? Bien sûr, ces penseurs ont raison de pointer les nombreux périls qui nous menacent. De même, ils nous rappellent utilement qu’il ne faut pas faire don de sa confiance à la première personne venue. Mais à tout jeter dans le même sac, Daesch et les menus gestes du quotidien, ils rendent un fier service aux goujats. Les voilà légitimés de ne pas tenir la porte aux personnes âgées ou de se garer sur une place réservée aux handicapés. Pardi ! Ces attentions secondaires nous détournent de notre priorité qui est de lutter contre le salafisme !

Le crime d’apologie des bons sentiments

Il ne faudrait pas croire que cette pensée a germé sur les décombres de la crise actuelle. Elle est au contraire l’héritière de mœurs d’ancien régime. Daniel Pennac a souffert de ces traqueurs de bonnes nouvelles. Comme tous les écrivains affligés de l’étiquette infâmante de « feelgood writer», il a dû répondre de son crime d’apologie des bons sentiments. Il faut être un pitoyable plumitif, en effet, pour oser vouloir le bonheur de son prochain. L’écrivain m’avait confié un jour que pour lui, cette appétence bien française pour la vacherie remonte à la période des courtisans de louis XIV. Pour garder son rang, chacun devait dégommer son voisin. Tout en le submergeant bien sûr, de « mon cher » et de « ma belle »…

En art ou en sciences, ces suiveurs n’ont rien produit. Mais eux se sont reproduits, et leur persiflage demeure. En son nom, chaque jour, des tonnes de matière grise sont transformées en matière rosse. Alors qu’elle pourrait être tout simplement rose. Ce serait intelligent. Car de fait, il en faut des neurones, pour être bienveillant. Cela suppose de s’émanciper des jugements de valeur à l’emporte pièces. Il faut être curieux, ouvert à la différence, à l’altérité, être capable de penser par soi-même.

L’éthique peut et doit être esthétique

Cela n’est pas donné à tout le monde ? Bien sûr que si. Mais c’est comme la bonne forme physique, il faut d’abord commencer par s’exercer régulièrement. Nous sommes nombreux à nous rejoindre sur l’importance de soigner son apparence physique. Tant mieux. Mais l’élégance doit aussi être morale. L’éthique peut et doit être esthétique. Sinon, on ne vaut guère mieux que Talleyrand lorsqu’il était ainsi décrit par Napoléon : « un étron dans un bas de soie ».

Ouvrages

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