A la mode, L'art de paraitre au XVIIIe (Musée des Beaux-Arts de Dijon)
Catalogue, sous la direction de Adeline Collange-Perugi et Pascale Gorhet-Ballesteros, Snoeck / MBA Nantes /MBA Dijon, 35€
Après Nantes, le Musée des Beaux-Arts de Dijon présente A la mode, L’art de paraitre au XVIIIe dans une somptueuse mise en scène jusqu’au 22 août. Du théâtre au sens propre et figuré, il est en partout question dans cette stimulante exposition (et catalogue) qui éclaire les liens entre modistes et peintres, entre peinture et teinture, pour une frénétique obsession de paraitre et d’appétits de vivre.
De la scène au tableau, des interférences créatrices
« Il n’y a de nouveau que ce qui est oublié » si le mot de Mme Bertin marchande de mode de Marie-Antoinette garde tout son actualité, c’est que sur le sujet aussi le siècle des Lumières a modelé notre vision de la mode. Si les grandes maisons de couture d’aujourd’hui s’appuie sur les artistes pour lancer des tendances, au XVIIIe les artistes traquaient les innovations en teintures ou brocards pour en éblouir leurs commanditaires. « L’exposition présente quatre univers – phénomènes de mode, les peintres et la fabrique de la mode, Fantaisies d’artistes et pour une histoire du négligé -déshabillé – qui révèlent les interférences constantes entre les arts graphiques et le vêtement dans le dernier quart du XVIIIe siècle » détaille Sandrine Champion-Balan, commissaire de l’exposition et du catalogue très fourni en contributions pluridisciplinaires.
Un jeu de miroirs de prescriptions et de présentations des corps
Rarement autant de ravissements et de niveaux lectures ont été proposés et développés sans artifice dans une exposition pluridisciplinaire sur la délicate notion, du paraître. En croisant les rapports fructueux entre la mode et les arts visuels, elle en révèle les ressorts, la dynamique et … les abimes. Le paraître loin d’être réduit à une futilité prend ici de multiples dimensions autant sociales qu’esthétiques, que sociétales qu’économiques : la soif de reconnaissance de son rang, de son aisance et de son talent, le règne du divertissement et de l’envie de vivre est partout, dans un vaste jeu « d’étiquettes » qui tient autant du théâtre que d’un imaginaire, que Gilles Lipovetsky désigne comme la « féérie des apparences »
Le culte de l’intimité exposé
Féru des jeux de miroirs entre apparats et postures, le visiteur est ébloui dès le haut de l’escalier d’honneur du Palais des Beaux-Arts, somptueux tremplin d’immersion pour être pris par les yeux par le somptueux défilé de parures, mise en valeur par une muséographie en cohérence avec sa virevoltante ambition, nous plonger dans un siècle de paraitre, de parures et de pouvoirs.
Les jeux de miroirs et de vitrines – ouvrant sur un brocard et rebondissant sur un tableau – sont fascinants. Au fil de salles, plongées dans une mise en lumière savante, l’habit – quel que soit l’âge ou la fonction – se donne à voir, marque une volonté d’appartenance, d’identification aussi. Avec ses contradictions, ses ambivalences, comme le double mouvement d’un coté la surenchère aux borderies de gilets, qui deviennent de véritables œuvres d’art, inspirés par les cartons d’artistes, de l’autre, la simplicité exacerbée du négligé-déshabillé, linges de corps blanc immaculé d’innocence. C’est que l’intimité, des boudoirs et de l’atelier, propice à la libération des corps et des esprits deviennent une quête … à la mode avant de s’imposer comme un mode de vie révolutionnaire.
Au cœur de la fabrique de la mode
Progressivement, pour le visiteur curieux de ces disciplines entrecroisées s’éclairent les liens entre tableaux, costumes et accessoires, car – c’est la force du propos, artisans de mode et artistes de portrait mais aussi commerçants et presse – tous « prescripteurs » travaillent de concert. C’est à celui qui fixe le modèle à suivre – au sens propre et figure –que sont promis la clientèle la plus aisée et les commandes les plus rémunératrices, qui à l’heure tour détermine la mode.
Chacun devient acteur et participe à un « écosystème » du raffinement et du divertissement – tout s’expose notamment au théâtre dont cette société raffole – à la fois dynamique et fragile, aux règles non écrites mais à la rotation qu’on devine au fil de salles rapide, voir étouffante.
Une histoire sociale de l’art et du goût
Entre les excès du paraitre et de l’efficacité d’un écosystème pour y répondre, surgir une véritable histoire sociale de l’art et du goût, révélatrice d’enjeux tant sociétaux, économiques que culturels. Pour la ressentir, le parcours multiplie les correspondances voir les approches didactiques pour identifier les étoffes… Il n’est pas nécessaire de connaitre ni les artisans coloristes, ni les peintres. Certains icones de ce siècle de légèreté ne manquent pas à l’appel : Van Loo, Boucher, Fragonard, Watteau, Lancret, ... D’autres plus spécialisés : Colson, Boquet, Drouais, Nattier, Garsaut, Troy, Roslin,… révèlent leurs savoir-faire et ingéniosité pour peindre les clients dans les meilleurs apprêts dans l’esprit si insaisissable du temps, quitte parfois à les inviter.
Tous participent à entretenir – voir à exacerber – une compétition dispendieuse entre noblesse déclinante et bourgeoisie conquérante et de la mettre même en scène – de la cour à la ville – pour un culte du luxe, de la volupté, de la superficialité, ce que certains valorisent en la désignant comme l’élégance à la française, dont cette exposition est la quintessence.