Désir d’humanité. Les univers de Barthélémy Toguo (Musée du Quai Branly)

Jusqu’au 5 décembre, galerie Marc Ladreit de Lacharrière, Musée du Quai-Branly-Jacques-Chirac, Paris.
Catalogue sous la direction de Christiane Falgayrettes-Leveau. Coédition Gallimard – musée du quai Branly, 160 p. 29€

Plus que quelques jours pour se frotter au ‘Désir d’humanité’ de Barthélémy Toguo tant pour son dialogue créatif avec l’art africain classique (Grassfields, Songye) que par l’engagement humaniste de l’artiste camerounais. Conçue comme une unique installation, le parcours plonge dans un labyrinthe de signes magiques. Ce témoin des dérives de notre temps sait interroger notre humanité tout en s’ancrant dans toutes les disciplines artistiques disponibles dont il précipite une fascinante alchimie  de formes, de matières, et de couleur.

Un labyrinthe d’une aura fertile

Le labyrinthique ‘désir d’humanité’ de Barthélémy Toguo (Quai-Branly) Photo OOlgan

Personne ne sort indemne de la nouvelle galerie Marc Ladreit de Lacharrière, au cœur du  Musée du Quai-Branly-Jacques-Chirac, car le condensé des multiples univers de Barthélémy Toguo exige une participation physique du spectateur dans un parcours ne peut laisser indifférent. Le visiteur plonge dans une imbrication serrée d’objets qui se répondent, au recul volontairement limité, magistralement orchestrée pour libérer leur toute puissance symbolique. Littéralement immergé dans un vaste déploiement chromatique, il ressent à la fois leur magnétique aura, entre rituels et appels à conscience, toute ancrée dans l’histoire de tout un continent, et la projection de leur explosive créativité.

Barthélémy Toguo, Strange Fruit, 2010 (Quai-Branly) Photo OOlgan

« Ils sont là, écrit avec justesse en ouverture du catalogue, Emmanuel Kasarhérou Président du musée du quai Branly – Jacques Chirac, les univers de Barthélémy Toguo. dans cette interpénétration des milieux – et des matériaux – que travaille une large palette d’humeurs, de tons, de valeurs, comme autant d’échos au propos de l’exposition conçue par Christiane Falgayrettes-Leveau, directrice de la Fondation Dapper: faire sentir ce qui ouvrage l’humanité, trop humaine parfois, forcée de composer perpétuellement avec les forces qui l’entravent et l’affranchissent à la fois. »

Le vocabulaire plastique de l’immédiat et de la suggestion

Statuette, nyeleni, Bamana Marka, Mali (XIXe) & The Love Barthélémy Toguo (Quai-Branly) Photo OOlgan

« L’artiste doit montrer, interpeller, mais sans se faire donneur de leçons. J’ai toujours su que mon art devait avoir une dimension sociale forte. Mon art est tourné vers le peuple. » depuis bientôt deux décennies, Barthélémy Toguo né en 1967 revendique un geste artistique de l’immédiat présent. « Je suis un artiste contemporain qui s’inspire du quotidien, de son environnement, de ce qui se passe dans le monde. » insiste l’ancien élève de l’école d’art de Grenoble (DNSEP [Diplôme national supérieur d’expression plastique] en 1997), de la Kunstakademie de Düsseldorf.

Ce qui ne l’empêche pas, de se nourrir comme le souligne Christiane Falgayrettes-Leveau dans son introduction stimulante du catalogue « de référents qui témoignent d’un dialogue entre des cultures parfois fort éloignées, dialogue qui s’effectue au niveau tant plastique que symbolique. (…) Les créations explorent des situations de déséquilibre, de drame ; elles font surgir des univers où s’affrontent destruction et reconstruction. L’art visuel met ici en scène des récits dont l’enjeu est social et politique, car le sujet est collectif. En effet, le « je » fait irrémédiablement place au «nous

Water Matters, 2021, Quai Branly

Barthélémy Toguo, Water Matters, 2020 ( Désir d’humanitéQuai-Branly) Photo OOlgan

« C’est l’homme qui donne, qui se sacrifie pour récupérer l’eau du monde entier et redistribuer une goutte à chacun », explique Barthélémy Toguo au sujet de cette œuvre-manifeste créée pour l’exposition. Un homme aux multiples bras peint au « bleu togo » outremer dont les flux se lient aux 200 bouteilles gravées remplies d’eau provenant du monde entier.

« Par ses propriétés uniques, le bleu de Barthélémy Toguo paraît devoir exprimer au plus juste la substance de son créateur: généreux, résolu, agile. nous éclaire Emmanuel Kasarhérou, Et si le bleu n’est pas la couleur dominante de son œuvre, le dernier mot pourrait lui revenir, à l’image de l’imposante installation sur le thème de l’eau par laquelle se clôt Désir d’humanité. L’eau comme principe de vie, comme ressource – âprement – disputée ; l’eau symbole des enjeux environnementaux et géopolitiques auxquels l’humanité fait face. »

Une esthétique de l’engagement, de l’atelier au Bandjoun Station

Complément indispensable au parcours esthétique, le catalogue apporte beaucoup d’éclairages pour mieux appréhender son travail et sa vision du monde, et le dialogue de ses œuvres avec des pièces d’arts africains anciens tels ceux des Grassfields (Cameroun) étudiés par Jean-Pierre Warnier, anthropologue, et des Songye (République démocratique du Congo) présentés par Anne Vanderstraete, historienne de l’art. Les textes de Salimata Diop et d’Aude Leveau Mac Elhone mettent en lumière des thématiques qui fondent un discours sur et pour l’autre.
Cet engagement artistique est indissociable de celui des actions de terrain au sens propre et figuré, menées au quotidien à Bandjoun Station (Cameroun), le centre d’art et ferme fondés par Barthélémy Toguo, comme le montre le témoignage d’Androula Michael, qui a séjourné dans ce lieu original.
«  Ce fil directeur relie les motivations qui structurent une esthétique de l’engagement de Toguo » insiste Christiane Falgayrettes-Leveau. dont chaque création porte une cause à défendre, nous invite-t-il à aller au-delà des questionnements. Nous devons prendre pleinement conscience des injustices qui gangrènent nos sociétés, des désordres qui menacent la planète. Être responsables. Agir. »
Parcours physique et lectures permettent de pénétrer voir de partager la quête et le besoin d’utopie d’un artiste, qui ne cesse de nous interpeller, de la terre à l’eau, de la liberté de conscience à la préservation de la planète : « Que faisons-nous de notre humanité ? »
Non vous ne resterez pas indemne !

Barthélémy Toguo, Road to Exil, 2008 (Quai-Branly) Photo OOlgan

Pour aller plus loin : barthelemytoguo.com

Lire :  Barthélémy Toguo, par Philippe Dagen, 268 pages, éditions Skira. Odysséenne, cette première monographie se veut autant initiatique que typologique pour approcher les ressorts d’une œuvre kaléidoscopique, et éminemment politique tant il est profondément enraciné dans son temps. Si l’artiste ne cesse de transgresser les disciplines et les genres, sait aussi le pouvoir des images dont il est passé maitre à questionner, bousculer et utiliser à ses fins.

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